Cette semaine, du 11 au 17 mars 2013, c’est la Semaine du Cerveau ! Pour célébrer l’occasion, les blogueurs du C@fé des Sciences ont décidé de se creuser les méninges, et de proposer une semaine thématique concernant notre (deuxième) organe préféré.
Comme je vous ai déjà parlé d’Einstein la semaine dernière, j’ai décidé d’en prendre le contrepied, et de vous entretenir cette fois du plus petit cerveau du monde : celui d’un minuscule ver appelé Caenorhabditis Elegans.
A quoi ressemble la bête ?
Caenorhabditis Elegans, dont on abrège généralement le nom en C. Elegans (oui, comme C. Jérôme) est un petit ver qui appartient à la famille des nématodes. Il mesure environ 1 millimètre et vit dans le sol. Toutefois on ne peut pas le qualifier de « ver de terre », car il est assez éloigné de notre habituel lombric.
Comme C. Elegans est tout petit, on s’est amusé à compter les cellules qui le composent. Et il se trouve que chez l’adulte, il y en a exactement 959 ! Pour ma part, je trouve qu’une telle constance est remarquable : deux vers C. Elegans normaux auront donc précisément les mêmes cellules au même endroit.
Mais on sait également que parmi ces 959 cellules, 302 exactement sont des neurones : C. Elegans possède ainsi le plus petit cerveau connu. Et pourtant ce dernier lui suffit pour accomplir ses fonctions essentielles : se déplacer, manger, dormir, déféquer et bien sur forniquer. Avec son cerveau minimaliste, C. Elegans peut même faire preuve d’une certaine forme de comportement social.
Comme ce petit ver a aussi la bonne idée d’être transparent, il est très facile de visualiser ses neurones, comme sur l’image ci-dessous où ils ont été rendus visible grâce à la protéine fluorescente verte GFP dont je parlais dans ce billet.
Est ce que la taille compte ?
La hiérarchie des cerveaux dans le monde animal est vraiment étonnante, et en fort contraste celle du nombre de gènes. Songez que C. Elegans possède à peu près autant de gènes que nous – environ 20 000 pour lui et 30 000 pour nous – mais que son cerveau est 300 millions de fois plus petit que le nôtre. Il faut dire que ce dernier compte environ 85 milliards de neurones. (A titre de comparaison, le processeur de votre ordinateur comprend certainement moins d’un milliard de transistors)
Le tableau ci-contre montre le nombre de neurones que l’on trouve dans le cerveau de divers animaux : tous les intermédiaires existent entre C. Elegans et l’être humain !
Alors certes, notre petit ver a un cerveau riquiqui, mais avec lequel il arrive quand même accomplir l’essentiel : il constitue donc un formidable objet d’étude pour les chercheurs. Pas étonnant que ces derniers aient cherché à comprendre exactement la structure de ce cerveau à 302 neurones.
La cartographie du cerveau
En 1986, le biologiste moléculaire John White publie le résultat d’un travail de titan [1] : la carte détaillée du cerveau de C. Elegans. Il ne représente pas seulement les 302 neurones, mais également les 8000 connexions qui relient ces neurones entre eux !
Pour établir cette carte schématisée ci-contre, il lui aura fallu pas moins de 20 000 images prises au microscope confocal (une technique largement développée à cette occasion).
Cette carte permet de nous éclairer sur le rôle de chacun des 302 neurones de C. Elegans, et des connexions qu’ils entretiennent. Ainsi la plupart de ces connexions se font au moyen de synapses, une structure qui permet à un neurone de se connecter à un autre neurone pour lui envoyer un signal via des neurotransmetteurs.
De part et d’autre d’une synapse, il y a donc un neurone « émetteur » (ou encore pré-synaptique) et un neurone « récepteur » (ou post-synaptique). Ce que l’on a remarqué chez C. Elegans, c’est que certains de ses neurones possèdent de nombreuses connexions pré-synaptiques, c’est-à-dire qu’ils peuvent envoyer des messages à de nombreux autres neurones. Ils correspondent généralement aux neurones liés aux fonctions sensorielles.
Inversement, d’autres neurones possèdent de nombreuses connexions post-synaptiques, ils peuvent donc recevoir des messages de plein d’autres neurones : il s’agit généralement de ceux qui commandent les fonctions motrices.
Une carte c’est bien, avec les noms de lieux, c’est mieux
L’analyse des connexions permet donc de classer les neurones en 3 grandes catégories : sensoriel, moteur ou intermédiaire. Cependant, elle ne nous dit rien sur le rôle exact de chacun des neurones. Pour le savoir, il faut faire des expériences bien plus fines.
Une manière de procéder, c’est de détruire avec un laser un neurone bien particulier, et d’observer en quoi cela modifie le comportement du ver. Au moyen de cette méthode, on a pu repérer quels étaient les neurones associés à la perception de la température, des odeurs ou de la nourriture, ou encore ceux qui jouent un rôle dans l’hibernation ou l’accouplement. Des chercheurs ont même identifié certains neurones qui jouent un rôle dans le comportement social de C. Elegans.
Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais on peut imaginer qu’un jour, on saura exactement modéliser le cerveau de C. Elegans, et comprendre parfaitement la chaîne des signaux cérébraux impliqués dans tous ses comportements.
La folie du connectome
Vous l’avez compris, la cartographie détaillée du cerveau de C. Elegans et la mise en évidence de ses circuits neuronaux peut potentiellement nous en apprendre beaucoup plus à son sujet que le séquençage de son génome. Pour désigner cette masse d’information à collecter, les chercheurs ont inventé un mot : le connectome. Ce thème est devenu très à la mode ces derniers temps, et comme les chercheurs voient grand (et ont besoin d’argent), ils ont décidé de passer directement de C. Elegans à l’être humain !
Ainsi le président américain Barack Obama a récemment annoncé une initiative pour réaliser l’équivalent du Human Genome Project, mais pour le connectome du cerveau humain. Avec un objectif différent mais relié, un consortium emmené par un laboratoire suisse a récemment reçu une méga-subvention européenne d’un milliard d’euros pour simuler le cerveau humain avec un superordinateur (voir ce billet chez le Dr.Goulu).
Voilà qui fait tourner la tête, et qui d’ailleurs fait avoir à certains de sérieux doutes quant au caractère réaliste de ces projets. Réponse dans 10 ans ?
En attendant, ci-dessous une vidéo de la sensuelle danse reproductrice de C. Elegans
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cXx35u7zLxs]
[1] J. G. White et al, « The Structure of the Nervous System of the Nematode Caenorhabditis elegans » Philosophical Transactions of the Royal Society of London – Series B: Biological Sciences, 314, 1-340 (1986)
Comments
Sympa comme article pour donner le coup d’envoi de cette semaine thématique. Par contre il faut comprendre que c’est un cerveau encore plus petit que tu décris: les 302 neurones sont ceux de l’intégralité du système nerveux dont seulement une partie forme le cerveau de C. elegans!
Tiens et j’y pense, une autre méthode pour réaliser des expériences tentant de comprendre le comportement individuel de chacun de ces 302 neurones est celle de l’optogenétique : http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.php?post/2011/01/10/La-technique-Strange-and-Funky-de-2010
« Chacun d’entre nous est un génie. Mais si vous jugez un poisson à sa capacité à grimper un arbre, il va croire toute sa vie qu’il est stupide. »
Albert Einstein
Le but inavoué (ou incompris) des neurosciences est le contrôle par l’altération. La pratique de la lobotomie n’est pas si ancienne que cela ; elle doit son déclin à l’arrivée des neuroleptiques qui sont des camisoles chimiques. Les drogues et les stupéfiants sont également de puissants excitateurs de neurones ; Ils agissent tous sur les neurones mais aussi les dégradent. Cette cartographie du cerveau humain, par la localisation des fonctions cérébrales, permettrait d’agir avec une grande précision sur les synapses. Mais ici que signifie ce mot d’agir si ce n’est de supprimer ou de bloquer telle ou telle fonction. C’est ce même constat amer qui auparavant me fit écrire ce mémo : http://0z.fr/00Pfs
Bien à vous…
Une petite recherche ( http://en.wikiquote.org/wiki/Talk:Albert_Einstein ) montre que cette citation d’Einstein n’est pas d’Einstein mais se trouve dans The Rhythm of Life : Living Every Day with Passion and Purpose (2004) by Matthew Kelly, p. 80 Un livre religieux apparemment…
J’ai appris à me méfier des « citations d’Einstein » ( http://drgoulu.com/2008/11/26/ce-queinstein-na-jamais-dit/ ) lorsque j’ai commencé à remarquer qu’elles étaient souvent utilisées pour appuyer des affirmations péremptoires dénuées de toute références sérieuses…
Au-delà de la signature c’est la citation qui me plaisait. Rendre à César ce qui est à César, je suis plutôt pour. Bien qu’elle ne soit plus d’Einstein, elle garde tout de même en moi toute sa place. Merci pour cette recherche fructueuse !
Bien à vous…
le contrôle par l’altération? ça me semble bien négatif tout ça, et un poil paranoïaque… quid des applications médicales, traitement/reconstruction suite à un traumatisme, etc?
Il est vrai que le plus souvent je m’attache à l’aspect négatif des choses, non par goût mais par devoir ; car le « ça va de soi » ne m’intéresse pas. Suis-je en mesure de répondre à ce poil paranoïaque ? J’en doute, n’ayant jamais eu à subir un quelconque examen psychiatrique ; science soit dit en passant des plus négatives.
Faut-il que je vous informe qu’une direction des applications militaires existe au CEA ? Que dans le monde entier, concurrence oblige, chaque pays œuvre à sa propre réussite ; et qu’à l’intérieur de chaque pays, des oligarques s’ingénient à conserver leur propre situation. Ô la belle mondialisation que voilà ! Et de ce monde décrépissant, vous voudriez y voir surgir des roses et des bluets. J’arrête ici mon pragmatisme qui est forcément fâcheux…
Bien à vous…
oui, oui, oui… la reconstruction d’un traumatisme et tutti quanti, c’est bien joli. Cela étant, et c’est triste pour l’image que je me fais de la science, je ne conseillerais JAMAIS à quelqu’un qui a subit un traumatisme d’avoir recours à la psychiatrie. Cela peut atteindre son but et avoir des effets positifs, mais le risque qu’on encourt est bien trop élevé compte tenu des préconçus médicaux sur beaucoup de sujets psy.
Pour ma part, j’y ai perdu une large part de ma liberté… et je vis 24h/24 dans la crainte de la psychiatrie.
Parano? Parano et demi…
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« le processeur de votre ordinateur comprend certainement moins d’un milliard de transistors ». C’est vrai s’il a plus de 3 ans. Et les GPU des cartes graphiques ont dépassé le million de transistors depuis 2008 http://en.wikipedia.org/wiki/Transistor_count
Hier j’ai découvert http://www.artificialbrains.com/spikefun qui devrait permettre de simuler ton nématode sur un PC. Sais-tu si ça a été fait ou si c’est prévu ?
Intéressant, intéressant …
Un détail de typographie: depuis Linné, on écrit le nom de l’espèce en minuscules. Et normalement, le nom complet (Genre espèce) en italique. Donc ici: Caenorhabditis elegans (pas sûr que le tag ‘italique’ passe ici…
Yep ! Les tags HTML sont bien interprétés. Donc en italique: Caenorhabditis elegans ou C. elegans comme l’a écrit taupossaft.
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De toutes façons, les spécialistes vont se ruer sur le projet pour avoir un financement…qui sera affecté à 80% à d’autres projets. Et, in fine, on présentera une cartographie superbe, qui ne servira pas à grand chose.
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Réponse à Goulu
Presque d’accord mais à débattre!!!!!!!!!!!!!!!Il y a psy et Psy. Vous avez raison d’avoir peur de la psychiatrie car elle regorge de commerciaux!!!!!!!!!!!!Il Expèrience dans une clinique de l’Est lyonnais. J’allais voir une amie en pleine dépression En parlant avec plusieurs patients je m’aperçus qu’ils avaient « presque » tous le même traitement tout au moins pour les benzodiazépines et anti dépresseurs Histoire de labo ou de soins!!!!!!!!!!!!!la clinique vit bien puisqu’elle est neuve
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