Sequencing-MoneyDepuis l’avènement des méthodes de séquençage, on prétend trop souvent tout expliquer par la génétique. Pas un jour sans que les médias ne nous annoncent la découverte du gène « de ceci » ou « de cela ».

Deux chercheurs en économie viennent de pousser le bouchon un peu plus loin, en prétendant corréler le niveau de développement économique des nations à leur diversité génétique. Autant dire que leur article a provoqué une salve de critiques de tous bords. Voyons un peu ce qu’il en est.

Le papier de la discorde

Deux économistes travaillant aux Etats-Unis, Oded Galor et Quamrul Ashraf, sont les auteurs de cet article controversé [1], qui vient tout juste d’être publié dans The American Economic Review, un des journaux les plus prestigieux du domaine.

Ils prétendent avoir démontré qu’il existe un lien entre le niveau de développement économique d’un pays, et son degré de diversité génétique. Ce lien prendrait la forme particulière d’une courbe en  « U inversé », c’est-à-dire que trop ou trop peu de diversité seraient néfastes pour l’économie.

Qualitativement, leur argument est le suivant : trop de diversité est nuisible pour l’entente et la coopération, mais trop peu de diversité ne favorise pas l’innovation. L’idéal serait donc d’être au milieu, ce qui expliquerait la supériorité des économies asiatiques et occidentales. On imagine aisément les implications politiques d’un tel résultat.

Il se trouve que ce papier circule depuis presque 3 ans dans la communauté, mais ça n’est que très récemment qu’il s’est attiré les foudres des uns et des autres.

Parmi les critiques adressées aux deux économistes, on trouve les habituels « une corrélation ne signifie pas une causation », mais aussi bien entendu les accusations de racisme ou d’apologie de l’eugénisme. Mais qu’en est-il sur le plan scientifique et méthodologique ?

Diversité génétique et effet fondateur

effet fondateur

A la base de leur analyse, il y a une mesure de diversité génétique dans les différentes régions du globe. Ces données bien connues sont issues d’un papier de référence [2], qui démontre le principe de ce qu’on appelle l’effet fondateur.

Cet effet (dont j’ai déjà parlé dans ce billet) explique que la diversité génétique décroit quand on suit le chemin des migrations de l’Homo Sapiens. L’idée est qu’une migration d’une région à l’autre est souvent le fait d’un petit nombre de pionniers, qui n’emportent donc qu’une partie restreinte des gènes de la population initiale, comme l’illustre le schéma ci-contre.

Quand on applique cet effet à plusieurs migrations successives, on obtient ce qu’on appelle l’effet fondateur en série illustré ci-dessous : une perte progressive de diversité génétique le long d’un chemin de migration.

effet fondateur en série

genetic diversity VS distanceOn a alors pu vérifier qu’en effet la diversité génétique des populations actuelles décroit quand on s’éloigne d’Afrique, berceau de l’Homo Sapiens : les peuples les plus divers génétiquement se trouvent autour de l’Éthiopie, les moins divers sont en Amérique du Sud.

C’est ce que montre le graphique ci-contre [2], qui corrèle l’hétérozygotie d’une population (une mesure de sa diversité génétique) à la distance à Addis Abbeba en Éthiopie.

La distance est bien sûr calculée pour un chemin fait ‘à pied’, conformément aux migrations d’Homo Sapiens :  les pays les plus éloignés sont donc bien ceux d’Amérique du Sud, la région du monde atteinte en dernier par l’homme moderne.

La performance économique des nations

Pour corréler la diversité génétique d’un peuple avec sa performance économique, il faut une mesure de cette dernière. Pour éliminer les biais liés aux migrations, les deux économistes se sont concentrés sur l’état du monde en l’an 1500, c’est-à-dire avant les grandes migrations modernes.

Le problème est qu’il est difficile de mesurer l’activité économique qu’avaient les nations en 1500. Ils ont donc utilisé une approximation, en considérant que la densité de population constituait à l’époque une bonne mesure de la performance économique. L’argument sous-jacent étant qu’avant la révolution industrielle, un accroissement de la performance économique conduisait plus à une augmentation de la population qu’à une élévation du niveau de vie.

En moulinant donc données génétiques et économiques, ils ont produit le graphique ci-dessous, qui démontrerait la fameuse relation en U inversé entre diversité génétique et densité de population. On y voit que les pays très divers (génétiquement) comme l’Éthiopie et les pays très homogènes comme ceux d’Amérique du Sud seraient les moins favorisés, tandis que l’Europe et l’Asie se trouveraient dans l’optimum de diversité.

genetic_diversity_population_density_1500

Des critiques méthodologiques

Évidemment, comme la conclusion fait grincer des dents, les critiques ont plu sur le papier. En premier, on trouve pas mal de contestations de la méthode statistique, et notamment le fait que les différents échantillons ne sont pas indépendants les uns des autres. Bien que n’étant pas très versé dans le domaine, j’ai tendance à penser que les économétriciens sont en général assez propres dans l’utilisation des méthodes statistiques. De surcroit si le journal est réputé, on peut certainement exclure l’erreur grossière de ce côté là.

Je serai en revanche plus réservé la fiabilité des données et donc la robustesse de la conclusion. Utiliser la densité de population comme approximation de la richesse économique, pourquoi pas. Mais j’imagine que collecter cette information de manière un peu fiable est assez délicat, surtout pour l’an 1500 !

Si on ajoute à cela la possibilité d’un facteur confondant non-considéré, on peut sérieusement envisager que l’analyse, bien qu’honnête, soit un faux positif. Cela se produit d’ailleurs semble-t-il assez souvent dans ce genre d’études. Bon et puis de toute façon comme le montre le graphique, la corrélation n’est quand même pas monstrueuse !

Les difficultés de la géno-économie

Ce domaine qui cherche à relier facteurs génétiques et conséquences économiques a été baptisé géno-économie. Si Ashraf et Galor se sont intéressé à la macroéconomie (la performance globale d’une nation), les principales investigations ont jusqu’ici porté sur la microéconomie, c’est-à-dire les comportements économiques individuels des gens, comme leur propension à prendre des risques.

Une bonne revue en a été donnée récemment par D. Benjamin [3]. Cette revue est d’autant plus remarquable que le principal auteur y mentionne ses erreurs et tous ses propres résultats qu’il n’a pas réussi à reproduire. Il cite notamment une étude réalisée en Islande, où il a dans un premier temps identifié 3 gènes associé au niveau d’étude ou à la propension à sacrifier l’avenir pour le présent. Mais comme il l’admet lui-même, ces corrélations étaient en fait très certainement des faux positifs. Alors faut-il penser la même chose de l’analyse de Ashraf et Galor ?

En attendant, et heureusement pour les fans d’économie, des travaux bien plus sérieux ont été réalisés, comme cette étude qui établit une corrélation entre la performance économique d’un pays et la taille moyenne du pénis dans sa population [4]. Les auteurs ont rapporté deux effets : le PIB d’un pays suit aussi une courbe en U inversé avec la taille du pénis (l’idéal est donc d’être intermédiaire). En revanche, la croissance du PIB serait inversement proportionnelle à la taille du pénis, comme le montre le graphique ci-dessous.

male organ and GDP

Bien qu’ils n’en fassent pas le cœur de leur résultat, les auteurs se livrent à quelques tentatives d’interprétation : la taille du pénis est notoirement corrélée au niveau de testostérone, qui lui-même peut impacter notre propension à prendre des risques. Autre interprétation possible, un petit pénis provoque un sentiment de frustration qui conduit à se dépasser dans le domaine économique. Je vous laisse vous faire votre idée !

Pour aller plus loin

Pour ceux qui veulent creuser, l’enchainement des critiques et des réponses est assez intéressant. Tout d’abord comme je le disais, le papier tourne depuis plus de 2 ans sans que cela n’ait ému quiconque. C’est un article plutôt élogieux de Science qui a mis le feu aux poudres, suivi par un article de Nature lui plutôt critique, et d’une lettre de biologistes et d’anthropologues indignés par les conclusions du papier.

Je trouve que cette première lettre était franchement faible dans ses critiques, en usant d’arguments très légers du genre « il existe un contre-exemple donc le lien est faux », ou encore en se réfugiant trop derrière des arguments purement moraux. La réponse de Ashraf et Galor ne s’est pas faite attendre, et elle est plutôt convaincante.

Heureusement, les indignés ont pondu un texte bien meilleur qui pointe notamment les faiblesses dans la robustesse des données de densité de population.

Seul point amusant, Ashraf et Galor se sont défendus en affirmant que « far from claiming that genetic diversity directly influences economic development, we are using it as a proxy for immeasurable cultural, historical and biological factors that influence economies ». Ca ressemble un peu à du rétropédalage, étant donné que ceci n’est pas du tout discuté dans l’article original.

[1] Ashraf, Quamrul, and Oded Galor. The » out of Africa » hypothesis, human genetic diversity, and comparative economic development. No. w17216. National Bureau of Economic Research, 2011.

[2] J. Z. Li et al., Worldwide Human Relationships Inferred from Genome-Wide Patterns of Variation, Science 319, 1100 (2008)

[3] Benjamin, Daniel J., et al. « The promises and pitfalls of genoeconomics. » Economics 4 (2012).

[4] Westling, Tatu. « Male organ and economic growth: does size matter?. » (2011).

Comments

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  2. Je trouve étonnant qu’on puisse même affirmer qu’il y a une corrélation, vue la dispersion des données.

    Cela relève quand même plus d’un nuage de points totalement aléatoire que d’un nuage de points concentré autour d’une courbe.

    • Oui il y a une corrélation au sens « un coefficient de corrélation significativement différent de zéro ». Mais c’est un des problèmes que l’on trouve parfois dans les publications scientifiques, on est contents quand le « petit p » est inférieur à 0.05, et on a tendance à oublier la taille de l’effet.
      En l’espèce ici, ils prétendent que la diversité génétique expliquerait 16% de la variance du PIB entre les pays. Pas énorme mais pas négligeable non plus. Mais on est loin d’une corrélation comme F = ma ou PV = NRT !

  3. En tous cas, c’est dans ce type de publication qu’on se rend compte à quel point la recherche est imprégnée de présupposés culturels (en l’ocurrence les vertus du « ni trop, ni trop peu » de diversité génétique). Même si elles sont moins quantitatives, les interprétations de Jared Diamond sur les inégalités de développement dans le monde me semblent quand beaucoup plus convaincantes (un résumé rapide ici: http://webinet.cafe-sciences.org/articles/les-civilisations-encore-une-affaire-de-scrabble/ )

  4. Il y aurait beaucoup à dire sur ce genre d’inférence statistique ne reposant sur pas grand chose sinon rien. Idem pour la relation PIB-taille du pénis, qui semble amusante mais avec des inférences se basant là aussi sur du vent!

    • Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation « ça ne repose sur rien » ou encore « sur du vent », car ça ne me paraît pas très spécifique comme critique…et donc c’est une critique « qui ne repose sur rien » 😉
      Je préfère quand on critique la méthode, la qualité des données ou encore les interprétations. D’ailleurs dans le cas de la relation PIB-Pénis, il n’y a justement pas grand chose à critiquer stricto sensu, puisque d’ailleurs l’article (qui, il faut le préciser, au départ était une blague) est très prudent et se garde bien de trop interpréter.

  5. J’aurais plutôt dû dire que ces «études» brassent plus de l’air qu’autre chose. Celle sur la diversité génétique corrélé au succès économique étant un exemple flagrant parce que dans le même esprit je pourrais tenté de corréler l’obésité et l’endettement publique en occident durant les 50 dernière années, que je suis quasiment sûr d’obtenir une corrélation intéressante, peut-être même très significative aux États-Unis, ça nous avanceras à beaucoup poils aux genoux. Cette publication me rappelle en effet le pseudo-reportage la révélation des pyramides.

    http://www.nioutaik.fr/index.php/2013/02/26/640-la-revelation-des-pyramides-le-documentaire-en-mousse

    Si ce n’est qu’ici à la place de trouver des proportions mathématiques comme le nombre d’or en mesurant les dimensions d’une bouche à incendie ou plutôt ici d’une pyramide, on trouve des corrélations entre des données biologiques et des données économiques dont nous savons de toute manière que ces dernières sont le fruit de processus culturels, sociaux et historiques complexes qui ne se laissent nullement expliquer par les données biologiques auxquelles on les corrèle ici. Surtout que les auteurs ignorent justement en bonne cette complexité notamment en matière de comportement humain comme la publication suivante l’explique assez bien.

    http://www.jstor.org/stable/10.1086/669034

    Bref dit autrement il n’y a rien à manger tout juste du vent à brasser, au mieux c’est amusant mais faire des hypothèses héroïque à partir de pareilles données. Enfin quoique pour le fun oui mais il n’y a hélas rien à manger! Bon ensuite vu que l’article sur la corrélation pénis-PIB était une blague c’est tout bon autant pour moi. Enfin il faut dire qu’on se souviens d’un sulfureux John Philippe Rushton pour qui la taille du pénis serait inversement corrélée à l’intelligence et au développement économique mais positivement corrélé selon-lui à une sexualité débridée. Je vous laisse deviner quelles populations il rangeait parmi les non-intelligents condamnés par leur Nature même à la pauvreté et à la débauche sexuelle! 😉

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  11. Le contre argument le plus fort que l’on peut émettre est bien entendu le problème de causalité. Observer une corrélation ne justifie en rien de telles conclusion. En statistique, il s’agit là de repérer les « variables cachées ». Petit exemple de corrélation sans causalité.
    La plupart des gens en sont convaincus : les antibiotiques fatiguent. De fait, il y a bien une corrélation avérée entre la fatigue du patient et la prise d’antibiotiques. Mais la relation s’explique entièrement par l’intervention d’une variable de confusion : la maladie.
    Je vous invite à jeter un œil rapide là-dessus : http://antisophiste.blogspot.fr/2007/11/mensonges-statistiques-7.html

    Seconde remarque : l’impact du journal dans lequel un article paraît ne justifie pas sa pertinence. En effet, bon nombre de journaux « impactés » publient des articles plus que médiocres uniquement pour l’aspect « polémique » ou « novateur » (au détriment d’un argumentaire sans fautes). L’objectif étant de faire parler de soi. Autre problème, certains auteurs publient quasiment ce qu’ils veulent : il suffit de connaître les bonnes personnes et/ou d’être un vétéran sur le domaine. De plus, les reviewers peuvent très bien rater des choses 😉

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  13. En ce qui concerne la variable de confusion dans le cas de l’estimation de la richesse par la densité de population, je vote pour l’environnement naturel. Il est plus facile d’avoir une forte densité de population sur une plaine alluviale à 20°C arrosé d’une petite pluie tous les deux jours que sur un désert de sable à 40°C avec une pluie tous les 3 ans.

    Et ce, quelle que soit la diversité génétique…

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