Et si on prolongeait notre existence en diminuant notre température corporelle ? C’est l’étonnante hypothèse à laquelle ont aboutit des chercheurs après avoir mené des expériences sur les souris [1].

En étudiant l’impact d’un abaissement artificiel de la température corporelle des rongeurs, ils ont constaté que leur espérance de vie se trouvait prolongée d’environ 15%.

Voyons ensemble comment a été réalisée cette étude.

La température corporelle des animaux

Pour classifier la manière dont les animaux régulent leur température, on parle généralement d’animaux à sang chaud et à sang froid. Mais il s’agit d’un abus de langage, car ce qui distingue ces deux grandes catégories n’est pas la température de leur sang, mais le fait que leur température corporelle soit constante ou variable.

Chez les animaux dit poïkilothermes, la température corporelle varie avec celle du milieu extérieur. C’est le cas des poissons, des serpents ou des lézards. Ce sont eux qu’on appelle abusivement « à sang froid ».

Chez les homéothermes, la température corporelle est sensiblement constante, et elle est régulée pour rester à une valeur donnée, indépendamment de la température du milieu extérieur. Ce sont les animaux que l’on appelle abusivement «à sang chaud», et c’est le cas de la plupart des mammifères.

De manière assez surprenante, la température corporelle varie très peu d’un mammifère à l’autre : elle est presque toujours située entre 36°C et 39°C, comme le montre le tableau ci-contre.

Pour comprendre comment nos chercheurs ont pu altérer la température corporelle d’un groupe de souris, il nous faut comprendre comment cette température est régulée par nos organismes.

Les mécanismes de la régulation

Pour maintenir une température constante de 37°C, notre organisme a recours à des mécanismes qui peuvent rappeler ceux que l’on utilise dans nos maisons ou appartements : un thermostat, des radiateurs et de la ventilation.

Dans notre organisme, le thermostat se trouve dans le cerveau, au niveau de l’hypothalamus, dans une zone minuscule appelée l’aire préoptique (voir ci-contre). C’est à cet endroit que se situent les neurones jouant le rôle de capteurs chargés de mesurer notre température corporelle. En fonction de cette mesure, notre cerveau déclenche différents mécanismes pour réguler cette température à la valeur de 37°C.

Si la température mesurée est trop chaude, notre organisme fait de la ventilation : l’afflux sanguin est dirigé vers les vaisseaux cutanés, ce qui permet d’évacuer la chaleur par la peau, et c’est ce qui explique que l’on devienne rouge quand on a chaud ! Inversement si on a froid, l’afflux sanguin est prioritairement dirigé dans les vaisseaux profonds, et c’est pourquoi nos doigts ou nos pieds bleuissent.

Enfin pour produire de la chaleur, notre cerveau active les radiateurs de l’organisme : il s’agit des mitochondries, notamment celles contenues dans les cellules du tissu adipeux, c’est-à-dire notre graisse ! Sous l’effet d’une protéine appelée UCP-1, les mitochondries transforment les molécules d’ATP en chaleur, et augmentent notre température.

Comment trafiquer notre température corporelle ?

A première vue, modifier durablement notre température corporelle, ça n’est pas simple. Puisque cette température est régulée par notre organisme, ça n’est pas en vous plongeant dans une baignoire de glace que vous allez passer en dessous de 37°C. Pour cela, il faut ruser.

Pour abaisser la température de nos souris, les auteurs de l’étude ont décidé d’agir sur le thermostat. On sait par exemple qu’en insérant une petite sonde chauffante au niveau de l’aire préoptique, on fait croire à notre organisme qu’il est plus chaud que ce qu’il n’est réellement, et on déclenche des réactions pour abaisser sa température. C’est exactement comme si dans votre maison ou appartement, vous vous mettiez à placer une source de chaleur près du thermostat.

Insérer une sonde chauffante dans le cerveau, ça fonctionne bien, mais ça n’est pas très pratique pour étudier les souris sur le long terme. Pour cela, les chercheurs ont eu recours à un stratagème : ils ont injecté à nos souris un gène responsable de la production de la protéine UCP-2 (très proche de la protéine UCP-1, celle active la production de chaleur dans les mitochondries). Mais ils ont placé l’expression de ce gène sous le contrôle d’une autre protéine qu’on ne trouve que dans l’hypothalamus.

Cela signifie que dans nos souris transgéniques, ces protéines UCP-2 sont produites uniquement dans l’hypothalamus, où elles stimulent les mitochondries qui se mettent à produire de la chaleur. En pratique, c’est comme si on ajoutait un petit radiateur dans l’hypothalamus de nos souris. Donc le thermostat se trouve artificiellement chauffé, et commande d’abaisser la température globale de l’organisme des souris.

Une vie prolongée

Qu’ont constaté les chercheurs sur leurs souris transgéniques ? Tout d’abord, leur température corporelle est effectivement légèrement abaissée, d’environ 0.5°C en moyenne.

Le graphique ci-contre montre la température moyenne des souris femelles au cours de la journée ; en noir : les souris normales, en rouge : les souris modifiées. Comme vous le voyez, elle est significativement inférieure, notamment la nuit. Par ailleurs, ils ont mesuré que les souris modifiées ne montraient pas de réduction de leur activité physique, ni de leurs habitudes alimentaires.

En revanche, les auteurs ont observé que l’espérance de vie de leurs souris modifiées se trouvait prolongée d’environ 12% chez les mâles et 20% chez les femelles : une augmentation de 3 à 4 mois, pour des souris qui vivent en moyenne environ 2 ans. Transposez ça à l’homme, c’est loin d’être négligeable !

Actuellement, on ne sait pas exactement par quel mécanisme l’abaissement de la température corporelle permet de prolonger la vie. Une hypothèse est qu’en maintenant une température plus basse, les souris modifiées possèdent un meilleur rendement énergétique, consomment moins d’énergie et subissent donc moins de stress oxydant, en produisant moins de radicaux libres.

L’évolution n’aurait pas correctement fait son boulot ?

Du point de vue de l’évolution, on peut se demander pourquoi une température corporelle plus faible n’a pas été sélectionnée si elle permet effectivement de prolonger la vie. Une première réponse possible, c’est que cette prolongation intervient uniquement pour les animaux qui ne sont pas morts d’autre chose entre temps, et par ailleurs dans une période où les capacités reproductives sont réduites : il n’y a donc pas de pression évolutionnaire pour cet avantage.

Bien entendu, une seconde hypothèse, c’est que la réduction de la température corporelle est peut-être dommageable pour d’autres fonctions physiologiques, la rendant moins intéressante au global. C’est pourquoi tant qu’on en sait pas plus, je vous déconseille d’essayer de vous injecter des gènes dans l’hypothalamus pour abaisser votre température !

[1] B. Conti et al., Transgenic Mice with a Reduced Core Body Temperature Have an Increased Life Span, Science 314 (2006) p. 825

15 Comments

  1. « Du point de vue de l’évolution, on peut se demander pourquoi une température corporelle plus faible n’a pas été sélectionnée si elle permet effectivement de prolonger la vie. »

    Du point de vue de l’évolution, le raccourcissement de la vie n’est-il pas préférable, pour augmenter la rapidité de l’adaptation ? Je pense au moustique qui, je suppose, n’aurait pas aussi bien survécu au DDT s’il avait eu notre espérance de vie.
    Tout ça est très naïf, mais l’idée est là : vivre plus longtemps est-il réellement un avantage évolutionnaire – ce qui entrainerait qu’une réduction de la durée de vie par augmentation de la température pourrait être une conséquence de cette logique ?
    De mon point de vue individualiste, je suis tout prêt à ne pas évoluer personnellement encore quelques siècles, note bien ^^

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  5. Christophe Reply

    La température corporelle est également liée à l’efficacité du système immunitaire (au moins chez l’homme). Ces souris « froides » serait alors plus fragiles face à une maladie dont leur confinement en laboratoire les protège ?

  6. L’un des gros problèmes dans toutes les considérations évolutives sur le vieillissement est le contrôle de l’environnement. Un laboratoire bien contrôlé, etc… c’est byzance et n’a rien à voir avec le monde sauvage, c’est pour ça qu’on peut avoir des résultats contradictoires.

  7. J’ai bossé un peu sur les raisons évolutives du vieillissement (cf ce billet: http://svtcolin.blogspot.com/2010/05/pourquoi-vieillissons-nous.html)

    Le renouvellement générationnel n’entre pas en compte (même s’il peut profiter à l’espèce), en effet un individu qui vit plus longtemps pas plus de chance de se reproduire et donc de transmettre ses gènes anti-vieillissement.

    Par contre effectivement les espèces qui meurent de causes externes plutôt que de vieillissement, n’ont que peu de chance de sélectionner ce type de gènes. C’est le cas pour les espèces à stratégie « r » comme la souris mais pas le cas des espèces à stratégie « K » comme l’homme ou les oiseaux pour qui des gènes anti-vieillissement ont peut-être été sélectionnés (vu qu’ils n’ont que peu de prédateurs).

    Bref tout ça pour dire que je ne pense pas que cela soit transposable à l’Homme … à voir
    Il y a aussi la restriction caolorique qui marche bien (cf les japonnais d’okinawa)

    • Merci pour la référence à ton billet ! Effectivement l’impact de la restriction calorique était mentionné dans le papier. Et apparemment il peut s’agir d’un phénomène connexe (voire identique) si la restriction implique la réduction de la température corporelle.

      Et aussi merci de m’avoir appris l’existence des stratégies r et K…pour ceux qui comme moi ne connaissaient pas, je cite la page wikipédia

      la stratégie r, basée sur la production d’un grand nombre de jeunes, le plus tôt possible, et une mortalité très élevée. C’est une adaptation aux milieux instables et imprévisibles. C’est le cas des micro-organismes qui sont soumis à ce genre de conditions à cause de leur taille.

      la stratégie K, basée sur une durée de vie très longue, et une reproduction rare et tardive.

  8. « C’est pourquoi tant qu’on en sait pas plus »
    Il manque un « n' » => on n’en sait pas plus

    Je viens de découvrir votre blog, je me demande comment j’ai pu ignorer son existence jusqu’à aujourd’hui.
    Merci et joyeux Noël 🙂

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  11. Hypothèse : une température corporelle en deçà de laquelle l’individu est en danger. De la même manière que la fièvre n’est pas bonne, l’hypothermie n’est pas non plus très recommandée. Le corps ne cherche-t-il pas simplement à avoir une marge saine pour avoir le temps de s’adapter aux variations de température. C’est mal barré pour moi en tous cas, j’ai tout le temps trop chaud 🙂

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