Au secours, les bactéries sont partout ! Sur les poignées des portes, dans les claviers des ordinateurs, sur les sièges du métro, et bien sûr sur vos mains !
Mais rassurez-vous, tout cela n’est rien à côté des bactéries installées bien confortablement au chaud chez vous. Et quand je dis « chez vous », je veux dire « dans vous » ! Nos corps sont littéralement envahis par les bactéries, et leur nombre a de quoi donner le vertige.
Petite plongée dans nos entrailles…
10 contre 1
Notre organisme est un endroit idéal pour certaines bactéries : nous leur donnons un support pour se développer, et leur fournissons chaleur et nourriture. Tant et si bien qu’à l’intérieur d’un corps humain, on dénombre environ 500 espèces de bactéries différentes !
En plus de celles qui vivent sur notre peau, nos bactéries logent principalement dans notre système digestif (bouche, œsophage, estomac, colon) ainsi que dans le vagin pour mesdames. Le diagramme ci-contre illustre les différentes espèces présentes aux différents endroits [1].
Ce sont tous ces organismes que l’on désigne généralement sous le terme poétique de « flore intestinale ». Mais le terme est doublement trompeur : d’une part la flore intestinale n’est pas limitée à l’intestin; d’autre part il ne s’agit pas réellement d’une « flore » puisque les bactéries ne font pas partie des plantes !
Nous en arrivons à la question qui fait peur : combien y-a-t-il de bactéries qui logent tranquillement chez nous ? Eh bien on estime qu’il y en a de l’ordre de 100 000 milliards ! Un si gros chiffre ne vous parle peut-être pas, alors sachez pour comparaison que votre corps est composé d’environ 10 000 milliards de cellules, soit 10 fois moins.
Oui, vous lisez bien : il y a dans votre corps 10 fois plus de bactéries que de cellules de votre propre organisme. Une autre manière de le dire : puisque chaque bactérie est elle-même une unique cellule, notre corps est fait à 90% de cellules qui ne nous appartiennent pas ! Flippant, non ?
Qui sommes-nous vraiment ?
Le chiffre a de quoi surprendre. Il s’explique par le fait que les bactéries sont en général beaucoup plus petites que les cellules de notre propre organisme. Il y en a donc une quantité énorme dans un volume restreint; enfin sachez quand même que nous portons en moyenne 1 à 2 kilos de bactéries, pour la plupart localisées dans notre colon. Il semblerait d’ailleurs que le colon humain soit l’un des écosystèmes les plus denses que l’on connaisse.
Pour continuer à se faire peur, on peut même pousser le bouchon encore plus loin : puisque ces 100 000 milliards de bactéries proviennent de 500 espèces différentes, chaque espèce apporte son propre lot de gènes. Il a ainsi été calculé que si on compte en nombre de gènes, seul 1 gène sur 100 présent dans notre organisme provient de notre propre ADN, les 99% restants viennent de l’ADN des différentes espèces de bactéries qui nous habitent.
A l’heure où l’on essaye d’expliquer une grande partie de notre identité par des facteurs génétiques, savoir que 99% des gènes de notre corps ne sont pas les nôtres a de quoi nous faire réfléchir sur cette notion d’identité. Nos bactéries sont une immense partie de ce qui nous définit biologiquement parlant ! On leur a même donné un nom : le « microbiome ». Notre microbiome fait donc partie intégrante de notre identité biologique, au même titre que notre génome.
Et toi, c’est quoi ton groupe fécal ?
Les chercheurs ayant pris conscience de l’importance du microbiome, ils ont entrepris des études systématiques des bactéries qui nous habitent. C’est loin d’être évident, car ces bactéries peuvent être extrêmement difficiles à cultiver en dehors de leur environnement naturel (nous).
Les premiers résultats sont sortis récemment, et certaines surprises sont de taille ! Ainsi des chercheurs ont trouvé que si la composition de la flore intestinale peut différer d’un humain à l’autre, il n’existe en gros que 3 types de composition possibles [2]. Un type de composition de flore intestinale est appelé un entérotype, et les chercheurs ont donc caractérisé les 3 entérotypes qui existent chez l’homme.
Suivant sa flore intestinale, chacun d’entre nous appartient donc à l’un des 3 entérotypes, de même que nous appartenons tous à l’un des 4 groupes sanguins. Sauf que pour connaître son entérotype, ça n’est pas une prise de sang qu’il faut faire, plutôt un prélèvement colo-rectal. On est donc en présence d’une sorte de « groupe fécal ».
Imaginons que vous ayez fait ce prélèvement et que vous ayez sa composition en bactéries, vous pouvez déterminer votre entérotype : le graphique ci-dessous issu de [2] montre l’abondance de 3 grandes familles de bactéries dans chacun des 3 entérotypes. Si vous avez une majorité de bactéroïdes, vous êtes entérotype 1, si vous avez plein de prevotella vous êtes entérotype 2, et dans le dernier cas vous êtes entérotype 3.
Vous êtes donc peut être entérotype 2 sans le savoir, votre voisin entérotype 1, et votre facteur entérotype 3. Mais contrairement au groupe sanguin, le type qui vous caractérise n’est pas dicté par les lois de la génétique : votre entérotype est peut être différent de celui de vos parents. Les chercheurs ont constaté que les types ne sont pas non plus liés à une origine géographique ou ethnique particulière.
Juste avant sa naissance, un nouveau-né ne possède pas de flore intestinale, et donc il n’appartient à aucun type. Dès sa naissance il acquiert ses premières bactéries, et son type se stabilisera avec la diversification du régime alimentaire. Mais on sait par exemple qu’il existe des différences en fonction du type de naissance (voie basse ou césarienne) ou du fait que l’enfant soit allaité ou pas.
Des bactéries et des actes
Il ne faut évidemment pas paniquer à l’évocation de toutes ces bactéries : si elles sont toujours là, c’est que nous et elles sommes dans une sorte de symbiose qui profite aux deux. Les bactéries jouent un rôle de premier plan dans les processus digestifs, ce qui explique par exemple les troubles digestifs donc certains peuvent souffrir lors d’un traitement antibiotique (traitement qui sert à buter les bactéries, rappelons-le). Pour éviter cela, certains chercheurs ont d’ailleurs proposé récemment des traitements de complément à base d’infusion de matière fécale, comme nous l’explique Vincent du blog Les dessous de la science.
Mais au-delà de leur rôle dans la digestion, il semble bien que les bactéries puissent aussi avoir une influence déterminante sur notre comportement ! Ainsi comme l’explique Xochipilli du Webinet des Curiosités, des chercheurs ont montré qu’on pouvait changer la personnalité de souris (notamment leur caractère « aventureux ») en leur greffant une nouvelle flore intestinale !
Alors, est-ce qu’on soignera bientôt sa timidité par une greffe de matière fécale ?
[1] Les Dethlefsen et al. An ecological and evolutionary perspective on human–microbe mutualism and disease, Nature 449, 811-818 (2007)
[2] M. Arumugam et al., Enterotypes of the human gut microbiome, Nature 473 174–180 (2011)
Pour aller plus loin : tracer la source
J’ai vu cité des tas de fois ce chiffre de « 10 fois plus de bactéries que de cellules ». Et pourtant, cette affirmation n’est pour ainsi dire jamais référencée. D’où ça sort ? Qui l’a mesuré ? J’en étais presque venu à me dire qu’il s’agissait d’une légende urbaine tenace, un peu comme le « 93% de la communication est non-verbale ». Alors j’ai décidé d’entreprendre des fouilles !
Première déception, je trouve un récent commentaire de Nature (journal sérieux)
D. Relman, Learning about who we are, Nature 486 (2012)
qui balance
« Microbial inhabitants outnumber our body’s own cells by about ten to one. »
mais ne fait aucune citation ! Je continue mes fouilles, je finis par tomber sur ce papier
C. L. Sears, A dynamic partnership: Celebrating our gut flora , Anaerobe 11 (2005) 247–251
qui est un article de revue sur le sujet, ça à l’air sérieux. Le chiffre fatidique s’y trouve mentionné !
« the estimated 10^13 bacterial cells in the gut exceeds by 10-fold the total ensemble of human cells (2)». Pas de calcul, juste une référence vers cet autre papier noté (2), que je m’empresse de me procurer :
Lora V. Hooper and Jeffrey I. Gordon, « Commensal Host-Bacterial Relationshipsin the Gut » Science 292 (2001)
Encore un journal réputé sérieux, mais à ma grande déception, l’article ne dit rien de précis sur le nombre de bactéries qui nous habitent, juste cette affirmation prudente
« microorganisms that may outnumber our somatic and germ cells (3) »
accompagné d’une référence. Je me procure donc cette référence (3), qui est
Dwayne C. Savage, Microbial ecology of the gastrointestinal tract, Ann.Rev. Microbiol (1977) 31:107-33
On commence à arriver dans les vieux papiers pas faciles à trouver. J’espère toucher au but, et là je lis :
« The various body surfaces and the gastrointestinal canals of human may be colonized by as many 10^14 indigenous prokaryotic and eukaryotic microbial cells (70) ».
Encore une référence vers un autre papier ! Je continue donc de dérouler la pelote, et je vais voir ce qu’est la référence (70).
Luckey, T. D. Introduction to intestinal microecology, Am. J. Clin. Nutr. 25:1292-95 (1972)
Miracle, j’arrive à me procurer ce papier ici. Et là il y a le début d’un calcul, pas très précis mais c’est déjà ça. L’auteur base son affirmation sur 10^11 bactéries par gramme et un litre de bactéries dans l’intestin.
En tout cas voici au final une information qui semble bien difficile à vérifier ! Finalement je me tourne vers Wikipédia, qui cite le chiffre et donne comme référence le même papier de Savage, mais aussi un autre :
Rodney D. Berg, The indigenous gastrointestinal, Trends in microbiology 4 (1996)
Et là, victoire ! Il semble que l’auteur fournisse un recensement argumenté du nombre de bactéries qui composent notre corps, et justifie le chiffre de 10^14. Je laisse les spécialistes se faire une idée, mais moi je suis un peu rassuré.
Edit du 18/02 : il semble que ce sujet inspire tout le monde aujourd’hui ! Vous pouvez lire un billet sur le brain-jacking par le microbiome sur Sweet Random Science, et aussi écouter l’émission du jour de la Tête au Carré (merci Judith !)
57 Comments
Super article, comme d’hab!
Merci beaucoup 🙂
Et bravo pour l’enquête! Quelle galère ces affirmations dont on ne sait pas/plus d’où elles sortent… Well done!
Cheysje
fdp
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Très bel article.
Une question me tarabuste, l’entérotype peut-il varier au court du temps ? Je parle de temps longs (décennies).
J’imagine que c’est assez difficile, car les 3 principaux entérotypes doivent agir comme des sortes d’attracteurs. Donc ça ne doit pas être facile de « transitionner » de l’un à l’autre. A moins de faire un formatage de flore intestinale !
Il faut tout d’abord faire attention à cette notion « d’entérotypes » qui semble être remise en doute dans des papiers plus récents que celui d’Aramugam. Sinon, le microbiote semble se stabiliser à l’âge adulte sans variation majeure de structure 😉
Oui ça peut changer et même très vite 4 ou 5 jours ; source : http://www.intestin-carrefour-de-mon-destin.fr/microbiote/enterotypes.html
😉
Suis curieux de savoir ce qu’il en est pour d’autres organismes…
🙂
Oh j’imagine que ce doit être pareil. Mais comme ces études de microbiome ont l’air assez compliquées à faire, j’imagine que les chercheurs ont trouvé plus intéressant de les faire sur l’homme plutôt que chez le rat ou le gorille à dos argenté !
C’est édifiant ! Juste après avoir lu cet article, j’ai entendu le même genre de comparaisons (nombre de bactéries dans le corps humain) sur http://www.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-l-intestin-notre-second-cerveau
Coïncidence ??
En tout cas, la morale serait-elle que tout commence et tout finit sur Wikipedia 🙂 ?
Bonne continuation ainsi qu’a la petite famille de cobayes ; je te lis régulièrement !!
10^14, dans un article de 1996, ça mériterait encore une vérification ! bon, mais nous voulons bien en rester là et ne pas oublier de demander à notre gastro-entérologue traitant à la prochaine consultation, ou bien à notre psychiatre préféré
pourquoi le fait que l’article date de 1996 ferait-il que ça mérite encore une vérification ?
« Alors, est-ce qu’on soignera bientôt sa timidité par une greffe de matière fécale ? »
Moi je dis oui (si ce n’est pour le « bientôt »)
Bravo et merci pour cet article.
Bon, pour en avoir le cœur net, je vais les compter moi … je vous transmets mon résultat dès que j’ai terminé !
Qu’est-ce que ça changerait si je trouvais 10E13 ou 10E15 ?
Le plus dingue c’est que tous nos organes (sauf le SNC et les os) contiennent des bactéries ! En fait non, le plus dingue c’est peut-être qu’une mère possède des cellules de ses enfants, que nos organes contiennent des cellules de notre mère et, éventuellement de nos frères et sœurs aînés.
Avec tout ça, le « soi » en prend un sacré coup !
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Merci pour cet article.
A quand les banques de caca pour des autogreffes après maladies graves, antibiothérapie ou chirurgie digestive lourde ?
Tiens, je rattrape un peu mon retard dans l’écoute des podcasts auxquels je suis abonné. Dans leur dernier « Science Night » sur la BBC, l’équipe des Naked Scientists ont traité de ce sujet. http://www.bbc.co.uk/programmes/b018jscf En intro, Chris Smith parlait d’un ratio de 1:50 pour le nombre de cellules humaines vs les bactéries dans le corps humain. Et un peu plus tard, un intervenant parlant d’un rapport de 1:10 à 1:100. Mais personne n’a cité ses sources…
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Vi et pour s’en payer une bonne tranche : http://tumourrasmoinsbete.blogspot.fr/2013/02/mercredi-positiologie.html
😉
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Très bon article, et d’autant plus qu’il est important aujourd’hui de démocratiser nos amis les bactéries qui sont exagérément diabolisées par les publicités vendant les bienfaits d’un produit nettoyant. Les bactéries sont partout, et surtout « chez nous ». C’est un fait plus qu’avéré puisqu’il y a déjà près de sept ans de cela, ces mêmes chiffres nous étaient enseignés à la fac : dix fois plus de procaryotes que de cellules humaines dans nos propres corps.
Concernant l’étude sur les souris, j’ai remonté l’info du site que tu nous fournis, et attention aux interprétations douteuses ! Cette étude ne me convainc absolument pas : comment le caractère « aventureux » est-il mesuré ? Les souris sans flore intestinale retrouve un comportement normale uniquement lorsqu’on leur « rend » à la naissance, et non en cours de vie. Or, il ne s’agit pas « d’un retour à la normale », mais tout simplement d’une souris contrôle en fait. Rien d’étonnant.
Ceci dit, il y a des choses intéressantes, et l’hypothèse d’une influence de la flore bactérienne sur notre comportement me plaît bien : encore faut-il maintenant bien le démontrer 🙂
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a quoi servent les pro biotiques alors ?
Les pro-biotique sont censés rééquilibrer les population bactériennes dans la flore intestinale.
Est-ce que c’est vraiment utile et bénéfique est une autre question.
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Selon l’hindouisme toute vie possède une âme, je ne savais pas que j’hébergeais cent-mille-milliards d’âmes plus les dix-mille-milliards de mes propres cellules…
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Je ne comprends pas le shéma, faudrait expliquer chaque couleur … sinon, très interessant
sa veut dire quoi sur le shema les chiffres a coté des « fromages » avec l’indication de ya quoi comme bactérie dans le corps ?
ex. Mouth (56) merci !
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Super, mais petite précision qui ne change rien à l’esprit du post qui de très grande qualité, comme d’hab.
https://planet-vie.ens.fr/article/2235/combien-cellules-composent-etre-humain
Merci pour le boulot. 😉
La dernière vidéo de ok to be smart rectifie le ration (pour 1:1) mais 2ans après cette info… (Merci au passage)
https://www.youtube.com/watch?v=jijuG9tyoR0
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Il y a t-il des recherches en France la dessus ?
Si oui qui?
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Bonjour,
Très bon article! Même 7 ans plus tard…
En lisant votre recherche biblio sur la recherche de l’origine du ratio 1/10 ; cellule/bactérie, je savais avoir vu passer des publi parlant d’un ratio qui serait en réalité de 1/1. Je ne sais pas si vous les connaissez donc voila:
Sender, R., S. Fuchs and R. Milo (2016). « Revised Estimates for the Number of Human and Bacteria Cells in the Body. » PLoS Biol 14(8): e1002533.
Sender, R., S. Fuchs and R. Milo (2016). « Are We Really Vastly Outnumbered? Revisiting the Ratio of Bacterial to Host Cells in Humans. » Cell 164(3): 337-340.
Je dois vous avouer ne pas avoir eu le temps de les lire de façon approfondi…
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