Les nanoparticules vont peut-être un jour révolutionner la science des matériaux ou le traitement de certaines maladies. Et pourtant à l’heure actuelle, le manque de connaissances sur leur toxicité potentielle commence à provoquer de légitimes inquiétudes dans l’opinion publique.
A l’occasion de ma lecture d’un petit livre sur le sujet « Développons les nanomatériaux ! » [1], publié dans la collection Sciences Durables, j’ai choisi de vous dire quelques mots sur les notions scientifiques qui se cachent derrière ces mystérieuses nanoparticules.
Et comme ce sont bien sûr les dangers potentiels associés à ces matériaux qui préoccupent nos concitoyens, je vais m’attacher à décrire en quoi ces particules sont spéciales et pourquoi elles requièrent une attention particulière en matière de toxicologie.
Qu’appelle-t-on « nano » ?
Le préfixe nano veut dire « nain » en grec ancien et sert à désigner un milliardième. Quand on parle de longueurs, un nanomètre est donc un milliardième de mètres. Conventionnellement, on définit une nanoparticule comme une particule dont la taille est inférieure à 100 nanomètres.
Pour fixer les idées, il faut se rappeler qu’une cellule vivante fait en gros 10 microns (10.000 nanomètres) et que la taille d’un atome ou d’une petite molécule est inférieure à 1 nanomètre. L’image ci-contre (en haut) vous montre par exemple des nanoparticules d’or d’environ 15 nanomètres de diamètre.
On peut également élargir un peu la définition pour inclure des objets étendus dont une seule des dimensions est inférieure à 100 nanomètres, par exemple des nanotubes de carbone de quelques dizaines de nanomètres de diamètre et plusieurs microns de long, comme ceux représentés ci-contre (en bas).
Bien entendu, la définition n’est pas à prendre au sens strict, et une particule de 102 nanomètres sera raisonnablement considérée aussi comme une nanoparticule !
Précisons au passage que dans la suite, je ne considérerai que les nanoparticules simples, et pas les autres nano-trucs qui pour certains relèvent encore du fantasme technologique, comme des hypothétiques nano-robots, qu’on est encore très très loin de savoir fabriquer.
Pourquoi les nanoparticules sont-elles spéciales ?
Ce qui rend les nanoparticules spéciales, c’est que contrairement aux particules plus grosses, une grande partie des atomes qui les composent se trouvent en surface. Pour s’en rendre compte, faisons un petit calcul.
Imaginons une particule de 5 microns constituée d’atomes de 0.5 nanomètres. Si pour faire simple on suppose ces particules en forme de cube, comme sur le dessin ci-contre, on peut vite calculer que cette particule est faite d’environ 1000 milliards d’atomes, dont seulement environ 600 millions (soit 0.06%) se trouvent en surface. Si l’on fait le même calcul avec une particule de 5 nanomètres, on trouve qu’elle est constituée de 1000 atomes, dont environ 600 sont en surface, soit 60% !
Ce petit calcul illustre le fait que quand les objets deviennent très petits, le rapport surface/volume augmente considérablement, et une forte proportion des atomes qui constituent une nanoparticule peuvent se trouver à sa surface ! Et c’est cela qui rend les nanoparticules spéciales : dans un gramme de nanoparticules, il y a beaucoup plus de surface que dans un gramme de grosses particules, or c’est via la surface que ces particules peuvent intéragir. Les nanoparticules sont donc potentiellement beaucoup plus réactives que leurs grandes sœurs.
Une autre raison du caractère spécial des nanoparticules, c’est que leurs propriétés physiques peuvent différer significativement de celles des grosses particules du même matériau. Ceci est notamment dû au fait que pour des tailles qui deviennent inférieures à 100 nanomètres, des effets quantiques particuliers peuvent se manifester.
Un exemple frappant est celui de la couleur des particules d’or. Si les grosses particules ont cet éclat métallique doré que nous connaissons tous, les nanoparticules d’or réagissent avec la lumière de manière particulière et peuvent donner des solutions dont la couleur varie fortement avec la taille des particules, comme sur l’image ci-contre (de quelques nanomètres à gauche à une centaine de nanomètres à droite).
L’intérêt technologique des nanoparticules
Comme nous l’avons vu, les nanoparticules sont spéciales de par leurs propriétés et leur rapport surface/volume. Cette dernière caractéristique est par exemple très intéressantes pour de la catalyse chimique, car un catalyseur va réagir avec les espèces chimiques principalement via sa surface.
Les propriétés optiques de certaines nanoparticules comme celles de TiO2 sont particulièrement recherchées dans des domaines comme les cellules photovoltaïques, les matériaux luminescents, mais aussi plus prosaïquement dans les crèmes solaires. D’autres nanoparticules sont utilisées pour réaliser des matériaux composites aux propriétés mécaniques améliorées, il paraît que ma raquette de badminton contient des nanotubes de carbone…
Enfin une des applications les plus en vogue pour les nanoparticules concerne la médecine. Leur petite taille leur permet en effet de franchir aisément les barrières des membranes cellulaires. Les nanoparticules peuvent donc faire de très bon vecteurs de certains traitements médicamenteux. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la cancérologie.
En effet le principe de la chimiothérapie est de détruire les cellules cancéreuses, mais c’est parce que l’action du médicament n’est justement pas suffisamment bien dirigée sur sa cible que ce traitement est si affaiblissant pour un patient. Avec des nanoparticules comme vecteur, on pourrait mieux cibler les tumeurs cancéreuses, administrer des doses plus fortes tout en ayant moins d’effets néfastes sur la santé du malade (voir par exemple l’équipe de Patrick Couvreur à l’institut Galien Paris-Sud qui est à la pointe de ce domaine).
Les nanoparticules, une toxicité à repenser
Comme vous avez pu vous en douter à la lecture de ces applications possibles, les propriétés originales des nanoparticules sont aussi leur point faible : elles sont capables d’aller là où les grosses particules ne vont pas, elles possèdent une réactivité accrue et leurs propriétés physico-chimiques sont potentiellement très différentes de celles des grosses particules.
Cela signifie que dès qu’on parle de nanoparticules, toutes les études de toxicité sont à refaire. Ça n’est pas parce qu’un matériau X est non toxique sous forme « normale » qu’il sera inoffensif sous forme de nanoparticules. Toute introduction d’un nouveau type de nanoparticule devrait donc s’accompagner d’études de toxicité et d’écotoxicité adéquates.
L’exemple ci-dessous tirée d’un article de revue fondateur dans le domaine [2] nous montre par exemple que la toxicité de nanoparticules de TiO2 est – à masse ingérée égale – plus élevée pour des nanoparticules (20nm) que pour des particules plus grosses (250nm). Dans ce cas précis, la toxicité est mesurée par la quantité de neutrophiles développés par des rats 24 heures après ingestion. Les auteurs ont ensuite montré que si on raisonne en surface plutôt qu’en masse, on retrouve bien un effet proportionnel à la dose.
Les nanoparticules posent donc un sacré défi dans le domaine de la toxicologie, car elles imposent de définir de nouveaux types de tests, de nouveaux types de mesures et surtout de refaire des études complètes dès qu’un matériau est introduit sous forme nano.
Risque, exposition et danger
Pour mieux comprendre les enjeux liés à la toxicité des nanoparticules, il faut se rappeler un principe fondamental de toxicologie : « Le risque, c’est le produit de l’exposition et du danger ». Ce principe est important car il permet de mettre un sens précis sur des mots que l’on confond parfois dans le langage courant. L’exposition, c’est par exemple la quantité de nanoparticules qu’on est susceptibles d’inhaler dans une situation donnée. Le danger, c’est la toxicité intrinsèque de ces particules. Le risque, c’est la résultante des deux.
Pour estimer un risque, on doit donc à la fois estimer la toxicité intrinsèque d’un matériau (généralement sur des animaux comme les rats) en fonction de la dose, et son niveau d’exposition dans différentes situations et selon différents modes d’exposition : ingestion, inhalation, contact cutané…
Enfin il est toujours bon de se souvenir d’un autre principe fondamental de toxicologie « Tout est mortel, rien n’est mortel : c’est juste une question de quantité ». Et quand on parle de quantités, il est utile de se comparer à des situations de contrôle. Notamment je suis au regret de vous annoncer que nous vivons tous en permanence entourés de nanoparticules qui se trouvent dans l’air nous respirons.
Ces nanoparticules ne sont pas en général produites intentionnellement, mais sont le résultat du fonctionnement des moteurs qui nous entourent, des choses qui brûlent, etc. Ainsi un air même propre contient de l’ordre de 10 000 nanoparticules par cm3, mais ce chiffre peut monter à plusieurs millions dans des situations de la vie courante pourtant anodines. Les chiffres ci-contre issus d’une étude de l’INERIS [3] montrent par exemple que cuire un steak génère en quelques minutes un niveau de nanoparticules une centaine de fois plus important que le niveau ambiant.
Vous êtes prévenus !
Pour aller plus loin …
[1] Sophie Carenco, « Développons les nanomatériaux ! » Collection Sciences durables, Editions Rue d’Ulm. (J’ai choisi de focaliser ce texte sur la question de la toxicité des nanoparticules, mais beaucoup de points scientifiques mériteraient d’être mentionnés et le sont dans le petit livre, par exemple les difficiles questions de la synthèse et de la stabilisation des nanoparticules.)
[2] G. Oberdörster et al. Nanotoxicology: an emerging discipline evolving from studies of ultrafine particles. Environ Health Perspect. 2005 Jul;113(7):823-39. (en accès libre)
Comments
J’apprécie la clarté de l’exposé . Merci
Merci de ce judicieux partage sur les nanoparticules,..irions nous vers les Ultimatons, Infinitrons, Particules Divines,Bozon de Higgs, de l Homosapiens vers L homospiritus, ,point de Peur ,transformons ceci en Amour…Tout est energie et nous parviens … Source Originelle.(.lire dle Livre D Urantia. Sur les nanop)!
A bon Lecteur, physicien nucléaires, et autres..bIEN vENU Salut!
Babette!
Mais mais … il n’y a pas un problème dans la publication là? ^^’
Soit je suis devenu très érudit sur le sujet , soit j’ai déjà lu ce billet !
Oui il est écrit depuis quelques temps et j’ai fait une fausse manip il y a 2 semaines et il est sorti « tout seul » (sacré WordPress !); je l’ai supprimé après quelques heures.
J’ai attendu cette semaine car on fait une publication coordonnée avec d’autres blogueurs du c@fé des sciences !
Je dois être super assidu alors, bon tant pis j’attendrais la semaine prochaine pour ma prochaine dose!
Ceci dit, j’avais pas répondu l’autre fois, tant que j’y suis j’en profite pour vous remercier, encore, pour ces billets toujours aussi intéressants.
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Bonjour,
Merci pour ces informations. Je viens de me rendre compte que j’ai peint les murs de ma cour très encaissée et très peu aérée avec une peinture blanche contenant du TiO2. Ayant des jeunes enfants, je me pose la question de l’inhalation de ces nanoparticules à mesure que cette peinture va se dégrader naturellement sous l’effet des outrages du temps. J’ai posé la question au fabricant mais aucun retour sur le sujet. Nous sommes en quelque sorte les cobayes des industriels, c’est révoltant. Aucune information bien sûr sur le produit en magasin.
Merci.
Guillaume
Très bon blog, agréable à lire, clair et complet ! Notre TPE vous remercie.