La vidéo du jour porte sur une question qui m’a beaucoup turlupiné !

Comme je l’ai évoqué dans la vidéo, je suis tombé dans ce sujet en visionnant les vidéos de 3Blue1Brown, qui m’ont renvoyé sur celles de Looking Glass Universe, puis Huygens Optics, et je vous les recommande si vous voulez comprendre comment j’en suis arrivé là.

J’ai été étonné de voir que cette question qui semble si importante soit finalement si peu abordée dans la littérature. A part les diatribes de Lamb (et de quelques uns de ses collègues),

The concept of the photon Marlan O. Scully Murray Sargent Physics Today 25 (3), 38–47 (1972)

Muthukrishnan, A., Scully, M. O., & Zubairy, M. S. (2017). The concept of the photon—revisited. In The Nature of Light (pp. 59-80). CRC Press.

les papiers qui calculent explicitement les états quantique d’un atome qui émet spontanément un photon datent des années 2000 !

Comme souvent avec ce genre de sujet, c’est un peu compliqué de lister tout ce que j’ai passé sous silence, et je me demande si je n’y reviendrai pas un jour dans un article dédié, ou pourquoi pas une note plus scientifique. Les remarques sont surtout destinées à celles et ceux qui maitrisent déja les outils de la mécanique quantique…

La fonction de Wigner

J’ai fait le choix de présenter un état quantique à travers sa fonction de Wigner W(q,p), même si j’ai laissé sous-entendre que celle-ci était comme une distribution de probabilité, alors qu’elle n’est en général qu’une pseudo-distribution, c’est-à-dire qu’elle peut prendre des valeurs négatives, ce qui traduit un caractère profondément non-classique ! D’ailleurs un des articles importants de Serge Haroche et son équipe concerne la mesure d’une fonction de Wigner pour un photon unique dans une cavité

Direct Measurement of the Wigner Function of a One-Photon Fock State in a Cavity. P. Bertet, A. Auffeves, P. Maioli, S. Osnaghi, T. Meunier, M. Brune, J. M. Raimond, and S. Haroche
Phys. Rev. Lett. 89, 200402

Pour les états cohérents d’un oscillateur harmonique, qui sont aussi classiques que possible, la fonction de Wigner est justement une « vraie » distribution, sans valeurs négatives.

Les états cohérents

D’ailleurs au sujet des états cohérents, une propriété que j’ai évoqué est qu’ils sont une superposition d’une infinité d’états propres de l’opérateur « nombre d’occupation ». Ceci a pour conséquence que l’état cohérent associé à un état classique du champ ne sera jamais un état propre de cet opérateur. Autrement dit il n’y a jamais un nombre bien défini de photon dans un champ classique.

Réciproquement, un état propre de cet opérateur (donc ayant un nombre bien défini de photon) sera toujours un état de valeur (moyenne) de l’opérateur du champ. C’est en ce sens que voir un état à N photons comme un champ classique avec une amplitude reliée à N n’est qu’une image, mais faux en toute rigueur. Il n’existe aucune configuration classique du champ qui rende compte de ce qu’est un état à N photons (et à 1 photon en particulier).

Photons uniques et interférences

Comme je l’ai expliqué, atténuer un laser ne donne jamais une configuration « à photon unique ». Non seulement on reste avec un truc délocalisé sur l’ensemble du train d’onde, mais (comme tout état classique du champ !) même avec un nombre moyen de photons très inférieur à 1, il reste une probabilité d’en avoir 2, 3, 4, etc. En atténuant une lumière laser, on augmente la « part » du vide quantique dans la superposition, mais on n’élimine jamais la composante des états à n>1 photons.

Emission spontanée et intrication

Il existe un point très intéressant concernant l’émission spontanée (et que j’ai occulté dans la vidéo), c’est le fait que celle-ci produit nécessairement une intrication avec l’atome émetteur. Ce dernier se trouve lui aussi dans une superposition d’états qui correspondent aux différents « moments » où l’émission spontanée a pu avoir lieu. Et d’ailleurs il se déplace lui aussi en principe, puisqu’il subit une impulsion de recul opposée à celle du photon émis.

Ces calculs sont bien détaillés dans les deux articles suivants qui m’ont beaucoup éclairé :

Localized Single-Photon Wave Functions in Free Space. K. W. Chan, C. K. Law, and J. H. Eberly Phys. Rev. Lett. 88, 100402

Spontaneous emission of a photon: Wave-packet structures and atom-photon entanglement. M. V. Fedorov, M. A. Efremov, A. E. Kazakov, K. W. Chan, C. K. Law, and J. H. Eberly. Phys. Rev. A 72, 032110

On y trouve des expressions complète des états intriqués atome/photon, ainsi que ce qu’on peut interpréter comme « une fonction d’onde du photon », et qui comme je l’explique dans la vidéo est localisée sur une région de taille typique \(c\tau\).

Une conséquence amusante : quand un photon solaire entre dans votre oeil, ce photon est en quelque sorte « mesuré » et cela doit en toute rigueur effondrer la fonction d’onde intriquée qu’il partage avec le noyau qui l’a émis (par rayonnement de corps noir), et qui est toujours situé à 150 millions de kilomètres de là.

Et les électrons alors ?

Une question légitime à se poser en écoutant tout cet argumentaire « anti-photon », c’est pourquoi ça ne s’applique pas également aux autres particules comme les électrons. Lamb évacue un peu rapidement la question :

Objects like electrons, neutrinos of finite rest mass, or helium atoms can, under suitable conditions, be considered to be particles, since their theories then have viable non-relativistic and non-quantum limits.

Je compte creuser la question de manière plus formelle, mais on peut au moins remarquer deux choses. D’une part les électrons ont effectivement une masse finie, qui place un maximum sur la longueur d’onde de De Broglie associée (de l’ordre de 0.1nm). Donc même s’ils ne sont localisés qu’à l’échelle de quelques longueurs d’ondes, on reste très proche de ce qu’on aurait envie d’appeler une particule. D’autre part, les électrons sont des fermions, qui obéissent au principe d’exclusion de Pauli. En pratique, cela empêche de superposer des états identiques comme avec les bosons, et cela change complètement la notion d’état cohérent que l’on a avec la lumière. Mais j’avoue que je n’ai pas encore complètement démêlé comment cela facilite l’émergence semi-classique d’une théorie de particules, là où on ne l’a pas pour le photon.

9 Comments

  1. Je me suis aussi posé la question pour l’électron et les autres particules du modèle standard. Content de trouver des compléments dans ce billet de blog (au passage merci pour la vidéo et pour ce billet !). Les gluons sont des bosons sans masse, on pourrait se poser la même question pour eux mais le confinement chromodynamique à basse énergie doit peut-être aussi restreindre leur emprise spatiale moyenne ??
    Pour les neutrinos de basse énergie comme ceux du « cosmos neutrino background », la longueur d’onde de Broglie est évaluée à 0,5 mm, ce qui est pour le coup énorme par rapport à l’échelle microscopique mais peut être que les règles de superposition entre fermions conduisent aussi à des emprises spatiales moyennes plus faibles ? J’ai suivi les cours en ligne de David Tong sur l’électrodynamique quantique, j’arrive à suivre et je comprend mais je ne maîtrise pas assez pour modéliser seul un problème en partant de la feuille blanche. Alors la chromodynamique quantique et la théorie electrofaible à la Weinberg du modèle standard, cela ne m’est pour l’instant pas encore accessible. Si vous venez à bout de cette question et que vous publier quelque chose je vous lirai/visionnerai avec grand intérêt. Cdlt

  2. Très intéressant! Je me demandais si le fait que les leptons et baryons jouissent d’une conservation de leur nombre ne joue pas aussi en faveur de leur interpretation de « particules. » En tout cas pour les baryons c’est très clair que cette symétrie donne lieu au fait intuitif que la « quantité de matière » ne change pas, alors que les photons sont créés et détruits sans compter.

    Je trouve intéressante aussi de se pencher sur le graviton, et le genre d’observation qui convaincrait de leur existence. Si pour les photons il faut mesurer des effets de qed, alors pour les gravitons il faudrait au moins détecter des effets 1 loop qui n’apparaissent qu’à des énergies de l’ordre de M plank. À ces énergies là c’est possible qu’on soit déjà au delà du cutoff de la théorie (je ne sais pas en LQG, mais pour les strings on a généralement Mstring < Mplank), et donc il n'y a pas pas de sens à dire que les gravitons existent réellement.

  3. Merci beaucoup pour cette super vidéo !
    Est-ce que cette façon de se représenter le photon permettrait de mieux comprendre l’expérience d’Alain Aspect par exemple ? Une paire intriquée ne serait en fait pas 2 grains ou paquets distincts mais un seul champ qui remplit tout l’espace, et donc le changement d’état du polariseur changerait tout le champ d’un coup (et l’état mesuré par un détecteur serait le meme que le 2e) ?

  4. Cette histoire de particule m’a toujours intrigué.
    En effet, je me place devant un électron qui émet un photon à la suite d’une désexcitation. Ce photon vient titiller ma rétine. Je le vois.
    En même temps, une autre personne se trouve de l’autre côté de cet électron. Si le photon est une particule qui a frappé ma rétine, elle ne devrait pas le voir.
    D’autre part, supposons que je sois à un mètre de l’électron émetteur et l’autre personne à 10m. Je perçois le photon en premier. Il est absorbé par un atome de ma rétine. Comment peut -il dans ce cas aller titiller la rétine de l’autre personne ???

  5. Merci pour ces explications. Je me suis posé la question en écoutant Alain Aspect… dont les résumés disent qu’il a étudié le comportement de photons uniques… ce qui est donc une simplification inexacte…

  6. Le photon est la manifestation d’un état particulier du champ électro-magnétique.

    Eh oui, un photon n’est pas un système pouvant prendre différents états, un photon est l’état d’un système, en l’occurrence le champ électro-magnétique.
    ✧ Tout comme notre oreille se trouve bercée par les notes de musique, notre oeil se trouve excité par les photons.

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