Nouvelle rediffusion pour l’été 2013, avec ce petit billet sur les mathématiques de la musique !

Dans ce billet nous allons voir en quoi l’existence de la musique occidentale repose sur le fait que 3 puissance 12 est (presque) égal à 2 puissance 19 ! Et pour cela, construisons un piano !

Le principe est simple : on va partir d’une première corde, dont la vibration produit une certaine note, et on va chercher successivement à construire les autres cordes du piano. Notre critère étant d’introduire de nouvelles cordes dont les sons « vont bien » avec ceux des cordes que l’on possède déjà.

Et voyons où cela nous mène !

Notre première série de notes

Imaginons que nous disposions pour commencer d’une corde tendue. Une corde qui vibre produit un son dont la fréquence dépend de sa longueur, de sa masse et de sa tension. Plus la corde est longue et massive, plus la vibration sera grave; plus la corde est tendue, plus le son sera aigu. Supposons que notre corde de départ vibre naturellement à une fréquence de 131 Hz. Cette vibration produit un son plutôt grave, appelons cette note « Do ».

Pour chercher des notes qui « vont bien » avec notre note de départ, on va se référer à la physique des vibrations. En effet on sait que si un objet vibre naturellement à une certaine fréquence F, il a tendance à également vibrer un peu à la fréquence double, 2F, c’est-à-dire dans dans notre cas 2 x 131 = 262Hz.

On comprend cela assez bien en observant une vraie corde et ses modes de vibration :

La conséquence de cela est d’une part que les sons produits à ces deux fréquences vont parfaitement aller ensemble, et d’autre part que notre oreille ressent ces deux sons de manière très analogue : on va d’ailleurs leur donner le même nom « Do ». On dit que le deuxième Do est « une octave plus haute » que le premier.

Nous avons une nouvelle note qui va bien avec notre note initiale : on décide donc d’ajouter une seconde corde (plus courte, plus tendue ou plus légère) qui vibrera à 262Hz.

Mais évidemment en répétant le raisonnement, une corde à 524 Hz ira parfaitement avec celle à 262 Hz, et une corde à 1048 Hz avec celle à 524 Hz, etc. Pour construire notre piano, on décide donc de fabriquer toute une série de cordes à ces fréquences :

131, 262, 524, 1048, 2096, 4192, etc.

Une deuxième série de notes

Nous avons vu que physiquement si une corde vibre à la fréquence F, elle vibrera aussi un peu à la fréquence 2F. Mais pour les mêmes raisons, elle vibrera aussi légèrement à la fréquence 3F. On peut donc regarder ce qu’on obtient comme note en fabriquant une nouvelle corde à la fréquence 3 x 131 = 393Hz.

A l’oreille, la note obtenue à cette fréquence produit une sensation clairement différente des précédentes, mais qui s’accorde très bien avec notre note initiale. On dit que cette nouvelle note (que l’on appellera Sol) est la quinte du Do.

Mais bien entendu avec cette nouvelle note, on peut aussi appliquer le premier principe et multiplier (ou diviser) la fréquence par 2 pour construire toute une nouvelle série de cordes, qui seront donc tous des « Sol ».

On décide ainsi d’ajouter à notre instrument une série de cordes aux fréquences suivantes :

197, 393, 786, 1572, 3144, 6288, etc.

A ce stade, on a retrouvé un certain nombre de notes du piano : tous les Do (en rouge) et tous les Sol (en vert). Le Sol ayant été construit pour « bien aller » avec le Do.

D’autres séries de cordes

Évidemment on peut maintenant itérer notre petit jeu, et construire une troisième série (qu’on appellera les Ré) correspondant à la quinte du Sol, puis une quatrième série, et ainsi de suite de proches en proches. Mais on s’arrête quand ?

Eh bien figurez vous qu’au bout d’un moment se produit un petit miracle : alors que vous venez de construire votre 12ème série de cordes (les Fa), dont les fréquences sont en gros : 177, 354, 692, 708, 1416, vous appliquez à nouveau la petite règle de la multiplication par 3, et là vous tombez sur les fréquences suivantes :

133, 265, 531, 1062, 2124, etc.

Et là, alors que vous vous apprêtiez à construire votre 13ème série de cordes, vous réalisez que les fréquences de cette 13ème série sont très très proches des fréquences de la première série !

Musicalement, cela signifie que l’on cherche à construire la quinte du Fa, mais que cette dernière se trouve être quasiment le Do initial.

Et c’est là que la musique occidentale prend cette décision déterminante : considérer qu’effectivement le Do est quasi la quinte du Fa, qu’il n’y a pas besoin de rajouter une 13ème série de cordes, et que la boucle est bouclée ! C’est ce qui est symbolisé sur le diagramme ci-contre qui montre le cycle des quintes. Au bout de 12 applications de la règle des quintes, on retombe sur la note initiale.

Reprenons l’arithmétique

Si on reprend l’arithmétique de la construction précédente, on s’aperçoit que le petit miracle qui fait qu’on retombe sur ses pieds à la 12ème itération provient en fait de la (presque) égalité arithmétique 3 puissance 12 = 2 puissance 19. C’est grâce à cette relation qu’en suivant le cycle des quintes 12 fois on finit par retomber sur des notes que l’on a déjà construite, et qu’on peut donc arrêter d’ajouter des nouvelles notes.

En fait, en pratique, plutôt que de laisser à la douzième itération le soin de combler à elle seule le léger écart, on décide de le répartir sur l’ensemble de la gamme. Cela évite qu’il y ait certains intervalles de la gamme qui sonnent plus faux que les autres (ce qu’on appelait le « loup » sur les anciens instruments). C’est-à-dire que sur un instrument moderne, pour construire la quinte d’une note, on ne va pas multiplier sa fréquence par 3 mais plutôt par 2^(19/12). Et tout ça passe inaperçu à l’oreille, car

2^(19/12) = 2.9966

Il est formidable de voir que ce miracle se produit après 12 itérations, ce qui permet tout de même d’avoir un nombre de notes suffisant pour faire des jolies choses, sans pour autant être astronomique, pour garder des instruments raisonnables !

Peut-on construire des musiques alternatives ?

Si l’on est un puriste, on peut considérer qu’après la douzième itération la boucle n’est pas exactement bouclée, et que l’on veut continuer à ajouter des séries de cordes jusqu’à avoir une proximité encore plus grande.

Eh bien dans ce cas il faut attendre la 41ème ou la 53ème itération ! En effet on a

2^(65/41) = 3.0008

2^(84/53) = 2.99988

On pourrait donc s’imaginer construire des instruments (et donc une musique) basée sur 53 notes (au lieu de 12). Bon il faudrait des pianos à près de 380 touches !

Si vous êtes matheux et que voulez aller encore plus loin, vous pouvez bien sûr chercher d’autres approximations rationnelles de ln(3)/ln(2), car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Pour les trouver, le mieux est de passer par un développement en fractions continues (485/306 marche bien aussi…) Pour ma part, je retourne écouter JJ Goldman…

Comments

  1. nguyen thi nhat Reply

    JE COMPRENDS MIEUX LE LIEN ENTRE LA MUSIQUE ET LE MATH.FORMIDABLE !!!!

  2. Enfin, on comprend pourquoi il y a 12 demi-tons à l’octave dans la gamme !
    Cependant pour que la musique soit bonne, faudrait-il encore expliquer pourquoi dans l’oreille humaine, 2 notes à l’unisson , à l’octave sont plaisantes à entendre, car les cils qui vibrent dans l’oreille ne semblent pas « accordés ».
    De même , on raconte que Pythagore, frappant des pots chez un potier trouva belle, la quinte.
    Y a t-il une explication physiologique à la « beauté » d’une quinte, d’un octave etc. ?
    jpb

  3. ils sont plaisants car ils ont des harmoniques en communs, donc vibrent aux memes frequences. L’harmonie des frequences, comme l’harmonie en générale, nous procure du plaisir probablement pour des raisons genetiques (ce qui produit de l’harmonie n’est pas offensif, contrairement a ce qui produit du bruit).
    Enfin, si vous souhaitez en savoir plus sur la constructions d’instruments non conventionnels et aux gammes inédites (je m’adresse notamment a l’auteur de l’article), je vous recommende de lire Tuning, timbre, spectrum, scale de Sethares.

  4. Ce qui est intéressant c’est que fa do sol ré la mi si est la succession des altérations dièses que l’on met à la clé pour changer de tonalité : fa# = sol majeur fa-do# = ré majeur …. Pour les bémols c’est l’ordre inverse si mi la ré sol do fa …

  5. En fait il y a plein d’approximations en musique.
    Par exemple : l’accord parfait est basé sur le fait que appliquer 4 quintes successives nous fait retomber quasiment sur la cinquième harmonique de la note de base (parce que 80 =~ 81), à l’octave près, donc la tierce est utilisée comme cinquième harmonique dans les accords. Un la peut être utilisé à la fois comme tierce d’un fa et comme quinte d’un ré…

    Voir ici aussi : http://ungraindesable.blogspot.fr/2008/04/une-thorie-de-cordes.html

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  7. Pingback: 86: Les effets de la musique • Neuromonaco

  8. intéressez vous au chiffre significatif de la suite 2^n (1, 2, 4, 8, conservez le ‘6’ de 16 et additionnez le 1 des dizaines avec le terme suivant 32 +1 = 33, gardez le 3 des unités, puis additionnez le 3 des dizaines à 64 ça fait 67, gardez le 7, etc.) vous obtiendrez la même suite, à l’envers, du modulo de 1/19 :
    0,052631578947368421052631578947368421…
    (ce modulo contient 18 chiffres, dont la somme fait 81, soit le complément de 19 pour atteindre 100)

  9. Le cycle des quintes donne une explication lumineuse, mais il me reste une question. pourquoi lorsqu’on fait une nouvelle itération à partir du si, la note suivante ne porte pas un autre nom, mais un nom dérivé d’une note déjà existante fa auquel on ajoute un #. Autrement dit, pourquoi pour les 12 intervalles, on n’a pas 12 noms différents des 12 notes ?
    D’avance merci.

  10. [Pour Rochel] On pourrait le faire, on pourrait même numéroter les notes en bases 12 à l’aide d’un nombre à deux chiffres où le premier chiffre donnerait l’octave et le deuxième la note (0,1,2,3,4,5,6,7,8,9,A,B). Ce serait même logique en musique dodécaphonique (Schönberg etc) puisque les douze demi-tons y sont mis sur un strict pied d’égalité. Mais la musique occidentale a d’abord (et est encore souvent largement) tonale, ne consommant que 7 notes sur les 12 possibles dans une phrase musicale. Utiliser les 12 demi-tons dans une phrase est possible, cela s’appelle une série dodécaphonique mais beaucoup jugent la musique sérielle ennuyeuse à cause de cela, ils préfèrent fredonner Au clair de la lune où les frottements dissonants sont absents. Cela est davantage détaillé sur mon site à la rubrique

    http://physinfo.org/musique2001.html

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