Mouches, araignées et autres moustiques, nous sommes habitués à voir nos amis les petites bêtes grimper aux murs sans difficultés apparentes. Mais le plus spectaculaire d’entre tous est très certainement le lézard gecko.
Capable d’escalader les surfaces les plus lisses et même de marcher au plafond, le gecko intrigue depuis des dizaines d’années les scientifiques. Mais heureusement depuis peu, il semble que son mystère soit enfin percé, et ouvre la voie à de nouvelles applications technologiques.
Un animal qui défie la gravité
La fascination des scientifiques pour le gecko ne date pas d’hier. Dès le 4ème siècle avant notre ère, Aristote avait noté l’incroyable capacité que possède le gecko à grimper ou descendre des arbres dans n’importe quelle position.
Avec le développement des méthodes de test, il n’a pas fallu longtemps pour que des chercheurs s’efforcent de mesurer les propriétés d’adhésion du gecko en utilisant des montages comme celui que l’on voit ci-contre. Et ces propriétés sont encore meilleures que ce que le gecko peut nous laisser voir à l’état naturel.
En effet alors que le gecko ne pèse que 50 g, il est capable de résister à une traction de près de 20 newtons, soit 2 kilogrammes ! Et cette adhérence exceptionnelle fonctionne sur n’importe quel type de surface, et même sous l’eau.
Mais le plus incroyable, c’est qu’il s’accroche ainsi tout en étant capable de se déplacer rapidement, à des vitesses de plusieurs mètres par seconde, avec un mouvement de patte toutes les 15 millisecondes. Essayez de faire la même chose avec du simple scotch !
Alors, quel est le secret du gecko ?
Une colle magique sous les pattes ?
Évidemment, la première chose à laquelle on pense, c’est que le gecko doit posséder une sorte de substance très collante qui permet à ses pattes d’adhérer aux murs et aux plafonds. C’est d’ailleurs en partie comme ça que fait la mouche.
Malheureusement, ça n’est pas ça ! Cela fait longtemps que les chercheurs ont observé que les pattes des geckos ne contiennent aucune substance magique. Et d’ailleurs ces derniers ne possèdent pas sous leurs pattes de glandes qui seraient susceptibles de secréter cette colle. Il faut chercher une autre explication !
Il se trouve qu’en cherchant sous les pattes des geckos, si on ne trouve pas de colle on observe en revanche des choses très intéressantes. Leurs pattes possèdent en effet une structure très particulière, que résume le schéma ci-dessous.
Le gecko possède 4 pattes, et chaque patte a 5 doigts. Ça fait 20 doigts, jusqu’ici tout va bien. Mais si on y regarde de près, les doigts sont tapissés de petites structures appelées sétules (setae), qui sont des sortes de poils d’environ 100 microns de long et quelques microns de large. Et si on y regarde d’encore plus près, chaque sétule contient à son extrémité des centaines de structures encore plus petites, les spatules, dont le diamètre ne dépasse pas 200 nanomètres.
Manifestement, le secret de l’adhésion du gecko réside dans ces minuscules structures, mais comment fonctionnent-elles ?
A la recherche du mécanisme
Un des premiers principes physiques auxquels on peut penser, c’est la succion, c’est-à-dire un effet de ventouse. Mais cette hypothèse a déjà été écartée il y a longtemps car des chercheurs ont montré que les pattes des geckos adhéraient même sous vide. (Je vous laisse vous convaincre qu’une ventouse ne peut pas fonctionner dans le vide…)
Deuxième possibilité, les spatules agiraient comme des micro-crochets qui pourraient profiter des aspérités de la surface pour ancrer l’animal. Là aussi ce mécanisme a été écarté, car on a observé que les geckos pouvaient adhérer à des surfaces même parfaitement lisses.
Troisième hypothèse : les forces capillaires que pourrait créer une fine pellicule d’eau entre la surface et la patte du gecko. Il s’agit en gros du même principe qui fait que le rideau de douche adhère au carrelage quand il est mouillé. Cette hypothèse a semble-t-il tenu assez longtemps, mais a été récemment contredite par des expériences montrant que les pattes de gecko adhéraient même aux surfaces lisses super-hydrophobes, comme (ci-contre) l’arsénure de gallium (AsGa).
Certains chercheurs ont aussi pensé à des mécanismes électrostatiques, mais ces satanées pattes de gecko adhèrent aussi dans un plasma ionisé ! Il faut chercher ailleurs.
Une expérience de micro-mécanique
Après des décennies d’expériences et de conjectures, il semble que l’énigme du gecko touche à son terme. En 2000 des chercheurs américains ont publié dans la revue Nature [1] le résultat d’expériences de traction réalisées avec une unique sétule (voir ci-contre). En gros ils ont étudié quelle force il fallait pour décoller un poil de 100 microns d’une surface ! Un exploit technique qui a permis d’en apprendre beaucoup sur le fonctionnement de l’adhésion du gecko.
Les expériences menées par ces chercheurs ont d’abord révélé deux choses importantes : une unique sétule peut soutenir au maximum une force de 200 micro-newtons. Sachant qu’un gecko en possède entre 6 et 7 millions, cela signifie qu’il pourrait en théorie soutenir au maximum une charge de 130 kg !
Ils ont également étudié l’impact de l’orientation de la sétule sur son adhésion, et ils ont montré que l’adhésion cesse dès qu’on incline la sétule par rapport à la surface. Et c’est ce qui explique que le gecko soit capable de courir si vite tout en adhérant : il détache sa patte par un mouvement de rotation, ce qui produit un effet analogue à un morceau de scotch qu’on détache en tirant sur une extrémité.
Les forces de Van Der Waals
Mais surtout ces expériences ont presque mis un point final à la quête du mécanisme de l’adhésion du gecko. En effet le principal phénomène compatible avec leurs mesures est celui basé sur les forces dites de Van Der Waals.
Ces forces sont à l’origine de ce qu’on appelle les liaisons inter-moléculaires. Les liaisons chimiques habituelles (comme la liaison covalente) sont fortes et permettent d’assurer la cohésion des molécules, par exemple la molécule de méthane CH4. Mais il existe une autre famille de liaisons, beaucoup plus faibles, qui font que les molécules s’attirent entre elles.
Les forces de Van Der Waals sont les principales forces inter-moléculaires et résultent du fait que les nuages électroniques de molécules se déforment quand elles s’approchent les unes des autres. Dans le méthane, ces liaisons sont par exemple responsables de l’existence de l’état liquide, qui résulte du fait que les molécules s’attirent entre elles (voir ci-contre).
Mais le problème des forces de Van Der Waals, c’est qu’elles ne fonctionnent qu’à très très petite distance, environ 1 nanomètre ! Et c’est manifestement le rôle des microscopiques spatules du gecko que d’aller tellement épouser la surface que les forces de Van Der Waals peuvent agir et créer l’adhésion. Mais n’essayez pas de faire pareil avec vos mains, vous n’arriverez pas à créer suffisamment de surface de contact aussi proche pour que cela fonctionne !
Un adhésif inspiré par le gecko
Heureusement, comme souvent en sciences des matériaux, la nature est une source d’inspiration pour créer de nouvelles technologies, et les pattes du gecko n’échappent pas à la règle.
Depuis une dizaine d’années des laboratoires essayent de créer des matériaux reproduisant la structure nanométrique des spatules du gecko, afin de réaliser des adhésifs exploitant les forces de Van der Waals (on parle alors d’adhésion sèche).
Plusieurs groupes de part le monde ont déjà créé de tels matériaux, comme à l’université de Kiel (dont on voit l’équipe ci-contre) ou au Gecko Lab de Kellar Autumn, le principal auteur des publications que j’ai mentionné.
J’ai eu l’occasion de tester moi-même ce genre de matériaux, et c’est assez impressionnant ! On le colle sur une surface lisse par simple pression : on peut ensuite tirer dessus comme un bourrin , et rien ne bouge ! Pour le décoller, il suffit d’un mouvement de pelage, et l’adhésif se détache.
Alors peut-être un jour pourrons nous tous jouer les Spidermans, ou plutôt les Geckomans, et – tel Tom Cruise – escalader la tour Burj Khalifa de Dubaï avec une simple paire de gants.
[1] Kellar Autumn et al., Adhesive force of a single gecko foot-hair, Nature 405, 681-685 (2000)
17 Comments
Passionnant ce site scientifique ! et très pédagigue …
pédagogique mec pas pédagique haha
Grave ! J’adore !
En tant que membre fondateur de la ligue protectrice du Geiko (LPG – que je viens juste de fonder), je m’insurge contre la perversion des scientifiques qui, au nom de sacro-sainte recherche, nouent de rubans de satin bleu autour du ventre des Geikos en leur comprimant ainsi les organes génitaux. Et tout ça pour nous vendre du scotch à des prix exhorbitants ! Au moins cet article aura eu le mérite de m’apprendre que l’on écrit « bourrin » et non pas « bourin », et je vais de ce pas modifier la désignation de la LPB (Ligue de Protection des BourRins).
Coucou, tu apprendras aussi qu’on écrit « Gecko » et non « geiko » 🙂
Article très intéressant, j’en aurais bien appris des choses. Cependant, il me semble que l’hypothèse des forces de Van Der Waals a déjà été formulée depuis un moment, du moins, je le savais déjà et ce n’est pas vraiment une surprise pour moi. Ce qui voudrait dire que ce n’est que récemment que cette hypothèse est suffisamment solide pour devenir la seul explication ?
Oui je n’ai pas été très precis sur la chronologie. L’hypothèse existe depuis longtemps, mais il a fallu du temps pour démonter les autres hypothèses concurrentes. Notamment celle sur les forces capillaires a du attendre 2003 pour être falsifiée avec les manips (macroscopiques mais aussi microscopiques) sur des surfaces super-hydrophobes.
Top! Je n’avais aucune idée que les forces de Van der Waals pouvaient servir à autre chose qu’à tester les connaissance des lycéens 😉
Oui d’ailleurs ça ma fait me poser des questions sur ces forces. Je voulais inclure ça puis j’ai eu la flemme : si ce sont les forces de VdW qui tiennent le méthane liquide, comment ça se transforme quand on passe à l’état solide ? Quel type de liaison y-a-t-il entre chaque atome ? Un mélange de covalente et de VdW ? Ou bien VdW est devenue covalente ?
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Peut on fabriquer ce genre d’équipement or laboratoire ou peut-on sens procurer ? Je penses que non mais je préfères demander quand même on sait jamais.. Merci
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Une des applications possibles à l’étude aujourd’hui: le développement de robots capables à l’image du Gecko aller réparer en extérieur les satellites ou stations spatiales sans câble de liaison du coup!
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Je trouve inadmissible de mettre une image de gecko « en laisse »!! Je n’imagine même pas l’état de stress pour l’animal, même si j’en suis sur, son propriétaire doit être persuadé « qu’il adore ça »…. Les animaux de terrarium sont comme les poissons des aquariums, nous pouvons les contempler et les admirer, mais les manipuler que lorsque l’ont n’a pas le choix.
Sans vouloir défendre, mais il s’agit probablement d’un gecko utilisé en labo pour faire les tests de mesures, ou d’observation. En regardant bien on observe quelques éléments sur la vitre où est placé l’animal; je suppose qu’il doit y avoir des capteurs ou quelques moyens de mesures. La « laisse » probablement temporaire, a *peut-être* été utilisée pour retenir l’animal dans la zone d’observation en question, si tant est qu’il s’agisse bien d’une photo d’étude scientifique du gecko.