La vidéo du jour parle de supraconductivité, et j’y discute le fait qu’on associe toujours supraconductivité et lévitation, alors que le lien entre les deux n’est pas franchement apparent !

Aimants et moments

Dans la vidéo, j’ai un peu évoqué de façon peu formelle des notions qui sont en fait à bien distinguer : le champ magnétique B et le champ H (parfois appelé excitation magnétique), le moment magnétique, la densité volumique de moment magnétique, la susceptibilité … Et j’ai aussi passé sous silence l’impact de la distance, qui fait que le champ magnétique décroit au voisinage d’un aimant, et que la force (attractive ou répulsive) entre deux moments magnétiques dépend de la séparation. (Ah oui et j’ai superbement ignoré les effets de couple, voir le détail des interactions entre deux moments magnétiques)

Si le sujet vous intéresse, je vous invite à remettre tout ça correctement dans l’ordre en faisant bien attention aux unités et aux \(\mu_0\) qui traînent, en distinguant bien H et B, ainsi que le moment et la densité volumique de moment (magnétisation M). Ce qu’il faut retenir c’est que le phénomène de susceptibilité crée une magnetisation M (densité volumique de moment) en réponse à une excitation H selon

\(M = \chi_V H\)

La susceptibilité ainsi définie est parfois dite « volumique », et elle est sans unité.

Meissner, d’où viens-tu ?

Dans cette vidéo, j’ai essayé de montrer qu’être un conducteur parfait et exhiber l’effet Meissner sont vraiment deux choses différentes. Et la supraconductivité, c’est en quelque sorte la réunion des deux. Un supraconducteur est un conducteur parfait, qui « en plus » manifeste l’effet Meissner.

J’ai bien insisté sur le fait que conduire parfaitement le courant n’impliquait pas de manifester l’effet Meissner, et pourtant j’ai donné un argument avec les mains pour justifier que ça va bien ensemble. Mais l’argument n’est pas suffisant pour que « conduction parfaite » implique « Meissner ».

En gros l’argument s’inspire de la loi de Lenz, qu’on appelle parfois la loi « de modération ». On sait qu’un champ magnétique va produire une force sur des charges, selon la loi de Lorentz

\(F = e v \times B\)

Or par ailleurs, on sait qu’un déplacement circulaire de charges (comme une petite boucle de courant) se comporte comme un moment magnétique et donc produit un champ magnétique. Si on regarde le détails des signes, on trouve que le champ produit tend à s’opposer au champ initial.

On pourrait penser que cela suffit à expliquer l’expulsion du champ magnétique d’un supraconducteur : il n’y a pas de résistance, donc les boucles de courant induites peuvent monter en intensité jusqu’à s’opposer totalement au champ B initial. Et pourtant l’argument n’explique pas bien l’effet Meissner.

La loi de Lenz fait intervenir la dérivée du flux du champ magnétique, et donc le champ induit réagit aux variations du champ magnétique. Or comme on peut le voir dans beaucoup de vidéo, l’effet Meissner se manifeste même quand l’aimant et la céramique sont déjà en contact, puis que l’on refroidit la céramique pour la rendre supraconductrice. Le champ B initial est donc déjà là, statique, son flux est constant, et pourtant la céramique arrive à l’expulser quand elle passe sous la température critique.

Par ailleurs il y aurait une certaine littérature autour de l’idée que même un théorie comme BCS ne suffit pas pour expliquer l’effet Meissner, en particulier son processus d’établissement. Voir The Meissner effect is not explained by BCS-London theory

Un autre phénomène qui va au-delà du superdiamagnétisme, c’est le phénomène de « verrouillage », voir par exemple cette vidéo.

Les équations de London sont une description phénoménologique « ad hoc », qui ont été ensuite remplacée par une théorie plus fondamentale, dérivée de la mécanique quantique : la théorie BCS. Cette théorie ne fonctionne que pour les supraconducteurs dits de « type I », qui sont des supraconducteurs dont la température critique ne peut pas dépasser un certain seuil.

A l’heure actuelle, on ne dispose d’aucune théorie convaincante pour les supraconducteurs de type II.

 

14 Comments

  1. Je sais que ce n’est pas le sujet mais j’ai toujours lu que les électrons se déplacent à quelques dizaines de cm par heure dans un fil en cuivre. Dans la vidéo on entend des cm par seconde. lapsus ?

    • En fait ça dépend du matériau (densité de charges), de l’intensité, de la section du fil conducteur donc ça peut varier.
      On peut relier tout ça par I = e.n.S.v avec e la charge, n la densité de charges, S la section du fil et v la vitesse.

  2. Pierre Carles Reply

    Encore une fois un angle original pour aborder une question fondamentale classique. Intéressant, comme toujours.

    Mais je mets maintenant ma casquette « vieux shnock » pour apporter un petit correctif au blog: moi aussi habitué aux sources anglophones, je parlais à tue-tête de la Magnétisation M dans mes écrits de jeunesse, jusqu’à ce qu’un des rapporteurs de ma thèse me tire vigoureusement les oreilles pour cause d’anglicisme: en Français, le mot juste est Aimantation et pas Magnétisation. Je n’ai pas repéré la notion dans la vidéo elle-même, en revanche, donc j’imagine que la correction ne concerne que le billet du blog.

    En attendant avec plaisir une prochaine vidéo,
    Pierre Carles

    • Ah oui j’avoue que je me documente majoritairement sur des sources anglophones, et parfois mes traductions ne sont pas très réfléchies 🙂 Merci pour le correctif !

  3. Peut-on imaginer que dans un supraconducteur, des courants circulaires d’électrons naissent spontanément, transformant le supraconducteur en électro-aimant permanent ?

    • Spontanément je ne pense pas, mais je crois que c’est un peu ce qu’il se passe avec le verrouillage. Le supraconducteur « mémorise » en produisant des petites boucles de courant à sa surface, et ces boucles demeurent.

  4. Bonjour,
    Lorsque l’on approche une règle en plastique frottée à l’aide d’un chiffon de laine et que l’on approche d’un filet d’eau, celui ci est dévié . Existe il un rapport et comment l’expliquer; Merci

    • Non aucun. Dans votre exemple, c’est le champ électrique qui joue. Les molécules d’eau étant polaires, elles créent naturellement un champ électrique. Lorsqu’on frotte un tube en plastique, il obtient une charge électrique (négative ou positive, je ne sais plus mais peu importe). Quand on approche le tube de l’eau, le champ électrique de ses charges oriente les molécules d’eau et la force électrique les attire vers le tube, ce qui déforme le filet d’eau.
      La situation est analogue au ferromagnétisme, mais ce ne sont pas du tout les même effets qui jouent 😉

  5. Erwan Leroux Reply

    Bonjour,
    Comme d’habitude, vos vidéos sont toujours aussi plaisantes à regarder.

    Et serait-il possible d’avoir accès aux sources de ces travaux?

  6. Lionel Genaux Reply

    Est-ce que la supraconduction n’est pas une conséquence d’une synchronisation des électrons autour du noyaux ?
    Si la baisse de température diminue la vitesse de révolution d’un électron. Et qu’avec ce que vous avez expliqué sur la neutralisation du champ magnétique. Est-ce que les atomes ne pourraient pas se synchroniser ? étant donné qu’ils n’ont plus d’interférence avec le champ magnétique extérieur.
    Cette synchronisation est similaire à un pendule de newton.

  7. Très belle vidéo !! Très bon article également !

    Cependant, j’aimerais savoir comment la suspension fonctionne ? Est-ce que cela fonctionne sur le même principe ?
    (lien d’une des vidéos de Julien Bobroff (20ème minute de la vidéo) : https://www.youtube.com/watch?v=6kg2yV_3B1Q&t=276s&ab_channel=USIEvents)
    Et j’aimerais savoir, que se passe t-il lorsque nous mettons de chaque côté de l’aimant un dia-magnétique ?

    Merci et bonne continuation !

  8. C’est marrant, mais comme on parle de température, ça me fait penser à d’autre phénomène plutôt lié à l’élévation de température, et ayant amener à la découverte de l’idée de Quantum d’énergie. Dans cette optique, Est ce que l’on arrive à observer la cinétique d’expulsion du champs B ? et si oui, est elle linéairement corrélé à la diminution de température, ou plutôt sous forme de « palier », ou alors cela n’est pas testable/ applicable (ou juste complétement bête en somme ?)
    Super vidéos en tout cas. Merci pour pour ce travail.

  9. « A l’heure actuelle, on ne dispose d’aucune théorie convaincante pour les supraconducteurs de type II » n’est pas vrai, BCS (souvent avec une attraction entre électrons sans phonons ) explique aussi le type II, simplement le coeur normal du vortex de type II est plus petit que la longueur de pénétration du champ magnétique dans le supraconducteur et donc on a une pénétration du champ magnétique partielle au dessus de Hc1 avec une répulsion partielle qui fait aussi léviter le supraconducteur. L’effet Meissner partiel de type Ii est un état d’équilibre thermodynamique face au champ magnétique extérieur avec une densité de vortex supraconducteurs variable suivant la valeur du champ magnétique. Si ces vortex sont bloqués par des impuretés, alors on observe des hystérésis en cyclant le champ avec des courants critiques importants.
    http://lionel.veltz.free.fr/supra_chap3.htm
    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00009361/file/chapitre1.PDF

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