champagne bullesEn cette période festive, j’ai choisi un sujet festif : le champagne !

Il faut dire que les bulles de cette boisson cachent plein de mystères physiques passionnants et pas totalement élucidés. Comme en plus j’ai remarqué que mes billets parlant d’alcool sont systématiquement plus consultés que les autres…

Aujourd’hui donc, nous allons nous intéresser à la naissance d’une bulle de champagne, et voir en quoi les bulles d’un champagne nous renseignent sur sa qualité (ou pas.)

Des bulles de quoi ?

La première chose à savoir, c’est que comme pour la plupart des boissons gazeuses, les bulles du champagne sont des bulles de gaz carbonique, le fameux CO2. Oui, le même qui réchauffe la planète ! Mais rassurez vous l’impact du champagne sur l’effet de serre est négligeable !

Ce gaz carbonique est un produit direct de la réaction qui transforme le sucre en alcool, ce qu’on appelle la fermentation alcoolique. Cette réaction se produit grâce aux levures et au sucre que l’on ajoute au vin de champagne  (qui initialement ne pétille pas !)

La réaction chimique est la suivante :

fermentation alcoolique

Si cette étape de fermentation se produit au sein de bouteilles fermées (comme c’est le cas pour le champagne), le CO2 ne peut s’échapper et s’accumule à la fois dans le liquide et dans le petit espace libre situé juste sous le bouchon.

La loi de Henry

loi de HenryLe CO2 qui s’accumule sous le bouchon sous forme gazeuse fait augmenter la pression dans la bouteille. Cette pression peut atteindre plus de 5 bars, et c’est elle qui fait sauter le bouchon quand on ouvre notre bouteille. Mais une partie encore plus importante du CO2 demeure dans le liquide, sous forme dissoute. Il n’est pas forcément facile de se représenter ce que cela signifie : il faut s’imaginer des molécules de CO2 plutôt isolées, et nageant au milieu du liquide mais sans se regrouper pour former des bulles.

La clé de l’effervescence du champagne (et des autres boissons pétillantes), c’est qu’il existe un équilibre entre la pression du gaz présent sous le bouchon et la quantité de gaz dissous dans le liquide. Pour faire simple, on considère que les deux sont proportionnels, et cette relation de proportionnalité est exprimée par la loi de Henry :

\(P = HC\)

P désigne la pression sous le bouchon (en bars), C la concentration de CO2 dissous dans le liquide (en g/L) et H est le coefficient de proportionnalité (qui pour le champagne à température de service vaut environ 0.5 bars/(g/L)).

Maintenant imaginez-vous ce qu’il se passe quand on ouvre la bouteille : la pression en surface du liquide diminue brutalement, et l’équilibre est rompu : puisque la pression du CO2 gazeux a diminué, la concentration de CO2 dissous doit diminuer d’autant. Autrement dit le CO2 veut s’échapper du liquide : c’est ce qui provoque l’effervescence !

La nucléation des bulles

Nous avons compris que l’ouverture d’une bouteille de champagne doit nécessairement s’accompagner d’un dégagement du CO2 dissous. Mais ce dégagement n’est pas instantané ! Des bulles de gaz carbonique se forment dans le liquide et s’échappent. La naissance d’une bulle s’appelle la nucléation, et nous allons voir que cette naissance ne peut pas avoir lieu n’importe comment, ni n’importe où.

En théorie, à partir du moment où l’équilibre a été rompu, les bulles peuvent se former de manière spontanée n’importe où dans le liquide : c’est ce qu’on appelle la nucléation homogène. Cependant en pratique, cela ne se produit jamais ! Dans sa thèse sur le sujet [1], Cédric Voisin a calculé le taux de nucléation homogène, et il est si faible que même dans un océan de champagne, cela ne se produirait jamais même en plusieurs millions d’années !

L’autre mécanisme possible est ce qu’on appelle la nucléation hétérogène : l’idée est que la bulle ne se forme pas spontanément à partir de rien, mais utilise une petite poche de gaz préexistante pour faciliter sa naissance. Une preuve indirecte que ce mécanisme est à l’oeuvre, c’est que dans un verre de champagne on observe clairement que les bulles montent en colonnes, comme si elles naissaient dans des endroits bien particuliers.

On a pensé un moment que de petits défauts du verre (comme des anfractuosités) pouvaient être à l’origine de la nucléation hétérogène des bulles. Mais en pratique il faudrait des aspérités vraiment grosses – presque 1 millimètre calcule Cédric Voisin [1] – , pour que le mécanisme fonctionne. Il ne peut donc pas expliquer ce qui se passe dans nos verres traditionnels, qui sont suffisament lisses. On peut néanmoins observer ce type de nucléation si on grave l’intérieur du verre avec par exemple une pointe en diamant, comme sur la vidéo ci-dessous.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=V3DCd_bIpbg]

A la recherche du coupable

fibre bulle champagneSi les anfractuosités du verre ne sont pas responsables de la nucléation des bulles, quoi donc ? Le coupable a finalement été identifié par Gérard Liger-Belair [2] : ce sont des fibres de cellulose ! A l’aide d’une caméra rapide et d’une lentille grossissante, il a été observé que dans la quasi-totalité des cas, il y a une minuscule fibre à la base d’une colonne de bulle. Ces fibres proviennent de l’atmosphère, de nos vêtements, des chiffons utilisés pour essuyer les verres, et fonctionnent comme de véritable usines à produire des bulles, comme l’illustre l’image ci-contre [2].

En voici le mécanisme : ces fibres sont initialement creuses, et emprisonnent donc une petite poche d’air. Lorsque le champagne entoure la fibre, le gaz carbonique est attiré par la poche d’air et y pénètre en la faisant grossir.

Quand la poche chargée de CO2 atteint une certaine taille critique, une bulle se détache et monte dans le verre. La beauté de la chose, c’est que ce détachement de la bulle laisse systématiquement un petit reste derrière lui, qui sert de poche pour initier la bulle suivante.

Ce mécanisme illustré ci-dessous permet bien de comprendre pourquoi les bulles sont produites en groupe, et avec une fréquence relativement régulière sur un même site de nucléation.

fibres bulles champagne

Les bulles et la qualité du champagne

On entend souvent que la finesse des bulles est indicative de la qualité d’un champagne. Cette idée n’est pas absurde a priori, puisqu’il est reconnu que les bulles ont un rôle essentiel dans les qualités gustatives de la boisson. Lorsqu’elles montent dans le verre, elles se chargent en molécules aromatiques qui sont libérées lors de l’explosion de la bulle en surface. Les bulles agissent donc comme un exhausteur de goût, et sans elles le champagne ne serait pas si savoureux !

Mais pour autant, est-ce vrai que la finesse des bulles indique un bon champagne ? Eh bien non !

G. Liger-Belair a montré [2] que la taille des bulles dépend essentiellement de deux facteurs : la quantité de CO2 dissoute et la hauteur du verre. Moins il y a de CO2, plus les bulles seront fines, mais plus le verre est haut, plus elles grossiront avant d’atteindre la surface. Donc rien à voir avec la qualité de la boisson !

Joyeuses fêtes à tous ! Pour ma part, je vous retrouve en 2014 !

Billets reliés, ici…ou ailleurs


Pour aller plus loin…

Quelques précisions sur les mécanismes de libération du gaz carbonique : tout d’abord, je n’ai pas dit que ce qui compte dans la loi de Henry, c’est la pression partielle du gaz, et pas la pression totale. Quand on ouvre une bouteille de champagne, la pression partielle de CO2 passe donc de quelques bars à essentiellement zéro, car il y a très peu de CO2 dans l’atmosphère. Par ailleurs j’ai appris en lisant la thèse de Cédric Voisin [1] que le bullage n’est pas le mécanisme dominant ! Seul 15 à 30% du gaz s’échappe sous forme de bulles, le reste étant directement échangé au niveau de la surface. Enfin le coefficient de la loi de Henry dépend notamment de la température. Il est environ deux fois plus faible à température de service qu’à température ambiante, ce qui explique qu’une variation brutale de température puisse accélérer l’effervescence.

Un point pas si clair pour moi concerne la manière dont la petite poche de gaz située dans une fibre « sait » que la pression partielle de CO2 en surface a diminué. J’ai l’impression que ça ne joue pas de rôle et que ce qui compte c’est la pression totale, car c’est elle qui va fixer la pression hydrostatique sur la poche de gaz (qui après quelques cycles est composée essentiellement de CO2). Si ce que je dis est vrai, si on place notre verre de champagne dans une atmosphère d’azote à pression de 6 bars, le bullage va s’arrêter (mais pas le dégazage direct en surface, qui lui dépend de la pression partielle de CO2 en surface).

Sur le rôle des fibres : j’ai entendu parler de vidéos où l’on voit le champagne dans un verre parfaitement propre, et qui ne pétille pas ! Je crois même qu’une a été tournée dans mon ancien labo…mais je n’ai rien trouvé sur le net. Si quelqu’un a quelque chose à proposer…

Edit : RuBisCO m’a très rapidement pointé l’émission suivante. Merci !! Les choses intéressantes commencent vers 1:30 et l’expérience tant recherchée est à 6:20 !

[dailymotion id=xvv51g&START=180]

Références

[1] Cédric Voisin, Quelques aspects de la nucléation des bulles de Champagne dans une flûte et de leur ascension à petits nombres de Reynolds, thèse de doctorat Université de Reims

[2] Liger-Belair, Gérard, and Philippe Jeandet. « Effervescence in a glass of champagne: A bubble story. » Europhysics News 33.1 (2002): 10-14.

Crédits

  • Champagne Glass Party, pixabay/CC0
  • Photo microscope d’une bulle au sortir d’une fibre, extrait de [2]
  • Schémas : Science étonnante

Comments

  1. Dans l’émission « On n’est pas que des cobayes », Vincent Chatelain a rencontré le physicien David Quéré et a fait l’expérience dans une salle blanche. L’expérience est visible vers 4:20 sur la vidéo « BULLES DE SODA, L’EXPÉRIENCE EXPLOSIVE » (je ne sais pas si je suis autorisé à mettre le lien)

    • Superbe ! Merci beaucoup ! J’ai ajouté la vidéo.
      David Quéré est un maître. J’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs de ses séminaires et c’est toujours du grand spectacle. Un de ses sujets favoris est dans les cartons pour un futur prochain billet…

      • Vous nous mettez l’eau à la bouche ! Bonnes fêtes de fin d’année, et dans l’immédiat à un joyeux Noël à tous.

  2. Excellent article David ! Parfaite introduction pour mon (auto)cadeau de Noël « Gouttes, bulles, perles et ondes » de monsieur De Gennes (et David Quéré).
    Pour ta remarque sur le rôle de la température, tu as aussi l’illustration toute simple de l’immersion du glaçon.

    PS: J’aime beaucoup tes lectures de chevet…

  3. C’est aussi pour cette raison que les gens de la profession recommandent souvent de laver les flutes à Champagne à la main plutot qu’au lave-vaisselle.

    • Pas à la main : sans produit vaisselle. Les flutes de Champagne se lavent à l’eau chaude uniquement et si vous voulez vraiment des belles bulles, alors frottez un peu le creux des flutes au papier de verre

  4. Un peu approximatif votre analyse de la taille des bulles / qualité du champagne ou alors vous êtes meilleur en science qu’en dégustation!
    Ce qu’on dit, et qu’il est facile de remarquer, c’est que les bulles fines sont bien plus agréables en bouche que les grosses bulles. Et, effectivement, les champagnes considérés comme les meilleurs ont tous des bulles très fines. Il y a donc bien un lien entre qualité du champagne et taille des bulles…

    • Un champagne, comme n’importe quel vin, ne devrait pas être bu « frappé » (glacé), tout simplement parce que le froid tue les arômes. Et tant pis pour les bulles! De toute façon si le vin est bon il y aura la quantité et la taille de bulles optimales à la température de dégustation. Si votre champagne a besoin d’être à 4° pour faire des bulles, changez de marque!

    • Je ne suis d’accord qu’avec la moitié de votre commentaire 🙂
      OUI la finesse des bulles influence la qualité de l’experience gustative.
      NON la finesse des bulles ne dépend pas de la qualité du champagne.

      En revanche, la finesse des bulles est influencée par la quantité de CO2, qui a tendance à être plus faible pour les . »vieux » champagnes. Mais peu importe sa qualité, un vieux mousseux aura des bulles fines.

      • Alors je me suis mal fait comprendre: je ne voulais pas dire que la finesse des bulles dépend de la qualité du champagne. Sur ce point je suis d’accord avec votre argumentation. Je voulais simplement dire que la finesse des bulles influençant la qualité de l’expérience gustative, un champagne se doit d’avoir des bulles fines.
        Bonnes fêtes et bonnes bulles!

      • Alors nous sommes d’accord !
        Notez du coup que la principale chose que l’on puisse faire, c’est de le servir en coupes plutôt qu’en flûtes !

  5. Pingback: D’où viennent les bulles du champa...

    • Bonjour, merci pour cette information qui m’a permis de briller pendant le repas de Noël, je suis tombé sur votre article alors que tout le monde se poser la question sur les bulles !

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  10. Bonjour je voudrais savoir combien de bulles contient 1 bouteille de champagne de 75 cl et 1 bouteille de magnum …merci de votre reponse…

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  12. Il semble que plus le champagne vieillit moins il y’a de bulles, en tout cas elles sont plus fines et mieux intégrées au champagne

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