Un petit billet pour vous parler d’une lecture récente qui m’a énormément marqué : le texte de Sidney Coleman intitulé « Quantum Mechanics in your face ». J’en avais déjà entendu parler mais je n’avais jamais pris le temps de l’étudier. Il s’agit initialement d’un exposé donné par S.Coleman, dont il existe au moins une vidéo sur Youtube et une transcription sur arXiv.

La première partie de l’exposé parle des inégalités de Bell, mais dans la deuxième partie du papier, Coleman présente un argument que j’ai trouvé extrêmement fort, et qui va dans le sens de dire que le problème de la mesure…n’existe pas ! L’argument est simple et très élégant, et je suis étonné de ne l’avoir jamais lu ailleurs.  (Alors que j’ai pourtant lu quelques trucs sur cette question, et sur les interprétations de la mécanique quantique qui découlent de ce « problème de la mesure ».)

Comme je ne suis pas Sydney Coleman, il est probable que je ne fasse pas justice à l’argument en le racontant ici, donc je vous invite également à aller lire ou écouter l’original plutôt que la copie. Mais je crois que ça m’aide d’essayer de le reformuler par écrit, pour m’assurer que je l’ai bien compris.

Ce billet de blog va forcément être plus technique que d’habitude. Dans la suite, je vais supposer quelques familiarités avec la mécanique quantique : espace de Hilbert, état propre, observable, intrication…

Le problème de la mesure

Une façon de formuler le problème de la mesure est la suivante : comment se fait-il que quand je fais une mesure, j’obtiens toujours un résultat « bien défini », y compris quand le système est dans un état superposé pour la quantité que je mesure ?

La résolution « orthodoxe » de ce problème, c’est l’idée de réduction du paquet d’onde (ou d’effondrement de la fonction d’onde) : quand j’effectue une mesure, la fonction d’onde du système se trouve projetée dans un état qui semble aléatoirement sélectionné parmi les états propres de l’observable mesurée.

Ce qu’il y a d’insatisfaisant dans cette vision des choses, c’est qu’on se retrouve en mécanique quantique avec la coexistence de deux mécanismes d’évolution très différents :

  • d’un côté l’équation de Schrödinger (déterministe) qui gouverne l’évolution de l’état quantique en fonction du temps, tant qu’il n’y a pas de mesure;
  • et de l’autre la réduction du paquet d’onde (probabiliste), qui modifie instantanément la fonction d’onde au moment de la mesure.

De surcroit cette vision orthodoxe ne précise pas exactement ce qu’est une « mesure », et à partir de quel moment on passe d’une évolution unitaire déterministe à un effondrement de la fonction d’onde probabilisite.

Toutes les interprétations de la mécanique quantique ont pour objectif d’essayer d’éclairer cette question, et donc en définitive d’expliquer le caractère toujours « bien défini » des résultats de mesures, même quand on mesure un état superposé de l’observable considérée.

Or l’argument de Coleman va dans le sens de dire qu’il n’y a, en fait, aucun « problème » de la mesure, et donc nul besoin d’invoquer l’effondrement de la fonction d’onde, ou d’essayer de l’expliquer ou l’interpréter d’une façon ou d’une autre.

Pour Sidney Coleman, le seul mécanisme d’évolution des systèmes quantiques est l’équation de Schrödinger, il ne se passe rien de particulier au moment d’une mesure, et il n’y a donc pas de « problème de la mesure » à interpréter. (Ce qui place philosophiquement cette position dans la même famille que les tenants de l’interprétation « mondes multiples » d’Everett, même si Coleman ne le présente pas comme ça).

Coleman estime que quand une nouvelle théorie (ici la mécanique quantique) remplace une ancienne théorie (ici la mécanique classique), on essaye généralement d’interpréter l’ancienne théorie dans les termes de la nouvelle, et pas l’inverse ! Il estime que beaucoup d’interprétations font fausse route en essayant de calquer des images classiques sur la mécanique quantique, plutôt que de l’accepter pleinement. Et pour lui, accepter pleinement la mécanique quantique, cela signifie « Schrödinger et puis c’est tout », et pas de problème de la mesure.

Avant de voir l’argument en lui-même, faisons un petit détour par un préliminaire indispensable : la mesure en mécanique quantique selon John Von Neumann.

Von Neumann : la mesure comme une intrication

Dans la théorie orthodoxe, on sépare de façon radicale les systèmes quantiques et les appareils de mesure, qui eux sont considérés comme « classiques ». Mais le modèle de Von Neumann propose un point de vue différent, et propose de regarder ce qu’il se passe si on choisit de traiter un appareil de mesure comme un système quantique « comme un autre ».

Pour faire ça, on doit décrire l’appareil de mesure avec des états d’un certain espace de Hilbert, et ces états vont évoluer selon l’équation de Schrödinger, avec un certain hamiltonien qui gouverne cette évolution. Vu qu’un appareil de mesure est « gros », on imagine que cet espace de Hilbert est très grand et le hamiltonien associé très compliqué; mais en principe il n’y a pas de difficulté conceptuelle à traiter l’appareil de mesure comme un système quantique.

Considérons donc un appareil qui mesure le spin \(+\) ou \(–\) d’une particule selon un certain axe. Pour fonctionner comme tel, initialement l’appareil va être dans un état « neutre » \(|M_0\rangle \), puis en interagissant avec la particule mesurée, il va évoluer vers un état \(|M_+\rangle \) si le spin de la particule est détecté comme \(+\), et \(|M_-\rangle \)si c’est \(–\). Imaginez par exemple que ces deux états correspondent respectivement à quelque chose du genre « +1/-1 s’affiche sur l’écran ».

Considérons maintenant le système complet « particule ET appareil de mesure ». Si par exemple la particule est dans un état propre \(|+\rangle \), le système complet sera initialement décrit par l’état

$$|+\rangle\otimes|M_0\rangle,$$

et à la fin du processus de mesure il se trouvera dans l’état

$$|+\rangle\otimes|M_+\rangle.$$

Dans ce cas l’opération de mesure correspond à une évolution

$$|+\rangle\otimes|M_0\rangle\ \ \longrightarrow\ \ |+\rangle\otimes|M_+\rangle$$

Notez qu’on parle bien là d’une évolution unitaire normale, selon l’équation de Schrödinger. Il n’y a pas de projection ou de réduction du paquet d’onde. C’est le hamiltonien total du système (qui comprend notamment le hamiltonien d’interaction entre la particule et l’appareil) qui provoque cette évolution. On a évidemment l’évolution symétrique pour la mesure d’un état qui est initialement un état propre de spin négatif

$$|-\rangle\otimes|M_0\rangle\ \ \longrightarrow\ \ |-\rangle\otimes|M_-\rangle$$

Maintenant imaginons que l’état initial de la particule soit un état superposé

$$\left(|+\rangle + |-\rangle \right).$$

(je vous épargne la normalisation). Par linéarité de l’évolution unitaire du système complet, un tel état évoluera selon

$$ \left(|+\rangle + |-\rangle\right) \otimes |M_0\rangle\ \ \longrightarrow\ \ |+\rangle\otimes|M_+\rangle\ +\ |-\rangle\otimes|M_-\rangle$$

On voit bien ici que pour un état initial superposé, le système mesuré s’intrique avec l’appareil de mesure. L’état initial peut être décrit comme un produit tensoriel (donc pas d’intrication entre particule et appareil de mesure) mais pas l’état final. L’état final est un état intriqué.

Si on traite un appareil mesure comme un système quantique comme un autre, une opération de « mesure » est une intrication entre l’appareil de mesure et le système mesuré.

Evidemment à ce stade, on n’a pas résolu le problème de la mesure. On a juste évacué l’effondrement de la fonction d’onde en traitant l’appareil de mesure comme un système quantique, et en montrant que l’appareil de mesure se retrouve lui aussi dans un état superposé suite à l’intrication avec la particule qu’il mesure.

Mais le problème initial est toujours là : pourquoi MOI quand je fais une mesure avec l’appareil de mesure, j’obtiens toujours un résultat bien défini ? Sur mon écran où je lis le résulte de mesure, il ne s’affiche pas une superposition de +1 et -1 : je lis soit l’un, soit l’autre…ou du moins c’est l’impression que j’ai !

Alors voyons ce qu’en dit Sydney Coleman, et il commence par un petit échauffement.

Échauffement : les trajectoires rectilignes dans les chambres à brouillard

Coleman commence par un argument préliminaire qui vient répondre à un vieux paradoxe formulé par le physicien Neville Mott dès 1929. Le problème posé par Mott à l’époque est le suivant : considérons une chambre à brouillard, dans laquelle on place une source de particules, disons un bout de matériau radioactif qui émet des particules alpha.

Les particules alpha émises vont se visualiser dans la chambre à brouillard sous la forme de trace rectilignes. Ces traces sont dues à l’ionization des molécules de gaz qui baignent la chambre à brouillard, ionisation provoquée par le passage de la particule alpha. Par exemple ci-dessous (source) on a un morceau de thorite (ThSiO4) radioactif dans une chambre à bulle, et on visualise bien les traces rectilignes qui en partent.

Ce qui perturbait Neville Mott est la chose suivante : au niveau microscopique, la désintégration provoque l’émission d’une particule alpha qui (selon la théorie de Gamow) est typiquement dans un état d’onde s, c’est-à-dire avec une symétrie sphérique. Pourquoi dans ce cas observe-t-on toujours des traces rectilignes ? On s’attendrait plutôt à observer dans la chambre à brouillard un motif ayant une sorte de symétrie sphérique, comme des traces d’ionisations réparties en disque autour de la source.

Si on regarde ça comme un problème de mécanique quantique « orthodoxe », on pourrait dire que la particule est émise dans une superposition de toutes les orientations (onde s), mais que la chambre à brouillard joue simplement le rôle d’appareil de mesure classique, et donc sélectionne une orientation en particulier qui est celle que l’on observe dans la trace. Cette sélection fait effondrer la fonction d’onde de la particule alpha émise.

Mais Coleman propose de regarder cette question en reprenant le principe des mesures « à la Von Neumann », c’est-à-dire en traitant l’appareil de mesure (la chambre à brouillard) comme un système quantique, qui va interagir et s’intriquer avec la particule alpha qui vient d’être émise.

Notons \(|C_0\rangle\) l’état initial de la chambre à brouillard, dans lequel la chambre est vierge de toute trace. Notons \(|p\rangle\) l’état initial qu’aurait une particule qui serait émise au centre de la chambre avec une impulsion bien déterminée  \(p\) (attention \(p\) est un vecteur, mais je vous fais grâce des flèches). Suivons donc Von Neumann et considérons le système complet « particule émise + chambre à brouillard ». Ce système est décrit par des états qui sont dans un espace de Hilbert qui est le produit tensoriel de l’espace de Hilbert de la particule et de celui de la chambre à brouillard. Le système complet est initialement dans l’état

$$|p\rangle\otimes |C_0\rangle.$$

C’est un état (pour l’instant) non-intriqué, puisqu’il peut se décrire comme un produit tensoriel d’un état de la particule et d’un état de la chambre. Puis cet état va évoluer vers un état intriqué qui décrit « la chambre à brouillard contenant une trace rectiligne dans la direction de \(p\) ». Notons cet état \(|\psi_p\rangle\), l’opération de mesure « à la Von Neumann » correspond donc à l’évolution (unitaire)

$$ |p\rangle\otimes |C_0\rangle \longrightarrow |\psi_p\rangle$$

Derrière cette évolution se cache un hamiltonien du système complet qui décrit notamment l’interaction entre la particule et la chambre, interaction qui est responsable de l’intrication, mais dont on n’a pas besoin de connaître explicitement le hamiltonien.

Définissons maintenant un opérateur que l’on va noter \( T \), et qui est simplement le projecteur sur le sous-espace engendré par tous les états \( |\psi_p\rangle \). Cela veut dire tout simplement que

$$ T|\psi_p\rangle = |\psi_p\rangle$$

et que \( T \) s’annule sur tous les états de l’espace de Hilbert qui sont orthogonaux aux \( |\psi_p\rangle \). Cet opérateur est une observable (au sens du formalisme quantique), à laquelle ne sont associées que deux valeurs propres : 0 et 1. Puisque les \( |\psi_p\rangle \) sont les vecteurs propres associés à la valeur propre 1, on peut voir \( T \) comme une observable (binaire) qui en quelque sorte répond à la question : « Y a-t-il oui ou non une trace rectiligne dans la chambre à brouillard ? ».

Maintenant considérons le cas où la particule alpha est émise comme une onde s de symétrie sphérique. Elle est donc initialement dans un état superposé qui est en gros (excusez la notation mathématique pas rigoureuse)

$$\int |p\rangle $$

Quand cette particule est émise, l’ensemble du système est dans l’état initial (non-intriqué, donc produit tensoriel)

$$\left(\int |p\rangle\right) \otimes |C_0\rangle = \int \left(|p\rangle \otimes |C_0\rangle\right)$$

puis par linéarité de l’évolution selon l’équation de Schrödinger, on a

$$\int \left(|p\rangle \otimes |C_0\rangle\right) \longrightarrow \int |\psi_p\rangle$$

On va noter \(|\Psi\rangle\) cet état final qui est une superposition

$$|\Psi\rangle = \int |\psi_p\rangle.$$

Maintenant le point clé : que vaut l’observable « Y a-t-il une trace rectiligne dans la chambre ? » sur cet état superposé ? Puisque l’opérateur \( T \) est linéaire, on a

$$ T |\Psi\rangle = T \int |\psi_p\rangle = \int T|\psi_p\rangle = \int |\psi_p\rangle = |\Psi\rangle $$

Donc l’état superposé \(|\Psi\rangle\) est un vecteur propre de valeur propre 1 de l’opérateur « Y a-t-il une trace rectiligne ? ». En d’autres termes, même quand la particule est initialement dans un état superposé, la chambre à brouillard va « contenir une trace rectiligne » (au sens que son état quantique est un état propre de valeur 1 de l’opérateur « contient une trace rectiligne »). Et vous voyez qu’on aboutit à cette conclusion sans avoir eu besoin d’invoquer une réduction du paquet d’onde !

Ca parait difficile à appréhender, mais cette conclusion découle simplement des notions de superposition et de linéarité, et du fait de traiter complètement l’appareil de mesure comme un système quantique sans faire intervenir de processus de mesure « classique ».

L’argument de Coleman

Passons maintenant à l’argument présenté par Coleman (qu’il attribue à David Albert mais que je n’ai pas retrouvé aussi clairement énoncé dans le bouquin de Albert.)

Considérons trois éléments : (1) un électron dont on veut connaitre le spin, (2) un appareil de mesure approprié, et (3) un expérimentateur que je vais appeler David. On va considérer que les trois pris ensemble forment un système quantique. Je vais réutiliser la même notation que quand je présentais la mesure à la Von Neumann, je vais juste ajouter les états quantiques de l’expérimentateur.

En particulier on va noter \(|D_0\rangle\) l’état initial « David est prêt à faire la mesure », \(|D_+\rangle\) l’état « David est persuadé que le résultat de la mesure qu’il a obtenue est un spin + » et enfin \(|D_-\rangle\) l’état « David est persuadé que le résultat de la mesure qu’il a obtenue est un spin -« .

Le processus de mesure d’un électron initialement dans l’état + correspond donc à l’évolution (unitaire)

$$|+\rangle\otimes|M_0\rangle\otimes|D_0\rangle\ \ \longrightarrow\ \ |+\rangle\otimes|M_+\rangle\otimes|D_+\rangle.$$

L’électron s’intrique avec l’appareil de mesure qui à son tour s’intrique avec l’expérimentateur David. A la fin de la mesure l’appareil indique « + » et David pense effectivement que le résultat de la mesure qu’il vient d’obtenir est « + ». Notons \(|\psi_+\rangle\) cet état final du système complet :

$$ |\psi_+\rangle = |+\rangle\otimes|M_+\rangle\otimes|D_+\rangle.$$

Evidemment on a le même genre d’évolution pour un électron initialement dans l’état propre associé à un spin négatif

$$|-\rangle\otimes|M_0\rangle\otimes|D_0\rangle\ \ \longrightarrow\ \ |-\rangle\otimes|M_-\rangle\otimes|D_-\rangle.$$

Et on prend la même notation :

$$ |\psi_-\rangle = |-\rangle\otimes|M_-\rangle\otimes|D_-\rangle.$$

Maintenant le moment clé : considérons l’opérateur \(T\) qui représente l’observable « David l’expérimentateur est persuadé d’avoir obtenu un résultat de mesure bien défini ». Les états \(|\psi_+\rangle\)  et \(|\psi_-\rangle\) sont des états propres de valeur propre 1 de cet opérateur, puisque dans chacun de ces états, David l’expérimentateur est effectivement convaincu d’avoir obtenu un résultat bien défini.

Imaginons maintenant que l’électron soit dans un état initial superposé. Comme pour la chambre à brouillard, on aura par linéarité de l’évolution unitaire

$$\left(|+\rangle + |-\rangle\right) \otimes|M_0\rangle\otimes|D_0\rangle\ \ \longrightarrow\ \  |+\rangle\otimes|M_+\rangle\otimes|D_+\rangle + |-\rangle\otimes|M_-\rangle\otimes|D_-\rangle$$

et donc l’état final de l’ensemble du système sera simplement l’état superposé qui est une combinaison des deux états précédents

$$|\Psi> = |\psi_+\rangle + |\psi_-\rangle.$$

Et là vous me voyez surement venir : puisqu’à la fois \(|\psi_+\rangle\)  et \(|\psi_-\rangle\) sont des états propres de valeur propre 1 de l’opérateur \(T\), alors cet état \(|\Psi>\) l’est aussi !

$$T |\Psi> = T ( |\psi_+\rangle + |\psi_-\rangle) = T |\psi_+\rangle + T|\psi_-\rangle = |\psi_+\rangle + |\psi_-\rangle = |\Psi>$$

Donc même si le système est dans l’état final intriqué et superposé, l’expérimentateur David est tout de même convaincu avoir mesuré un résultat bien défini : en tant que « système quantique comme un autre », il n’a aucun moyen de sentir la différence.

En conclusion de cet argument, il n’y a rien de surprenant à ce que les expériences de mécanique quantique « donnent toujours des résultats bien définis », puisque si on traite l’ensemble de la chaîne de mesure comme un système quantique, il n’aurait pas pu en être autrement ! Et pour Coleman, cela évacue donc le problème de la mesure. Ce problème n’existe plus à partir du moment où on considère que l’évolution quantique c’est Schrödinger et rien d’autre, et qu’on admet (comme il nous le démontre avec son argument) que cela suffit à expliquer la phénoménologie de la mécanique quantique.

(Coleman poursuit ensuite avec un argument supplémentaire sur la perception des probabilités, je vous en fais grâce mais vous pouvez aller le lire directement.)

Wittgenstein et « de quoi aurait l’air le contraire ? »

Pour marteler son point, Coleman termine sur une anecdote concernant le philosophe Wittgenstein : Un ami de Wittgenstein le croise un jour perdu dans ses pensées, l’ami lui demande pourquoi, et Wittgenstein répond

  • Je me demandais pourquoi les gens ont pensé que c’est le Soleil qui tournait autour de la Terre, plutôt que le contraire ?
  • Eh bien parce tout à l’air comme si le Soleil tournait autour de la Terre !
  • Ah bon, mais de quoi ça aurait eu l’air, si ça avait eu l’air d’être le contraire ?

Je vous laisse réfléchir à cette punchline. Coleman pense qu’il se passe la même chose avec la réduction du paquet d’onde. On est persuadé que la réduction du paquet d’onde se produit, et nous le sommes tout simplement parce qu’elle a effectivement l’air de se produire, mais de quoi est-ce que ça aurait l’air si elle ne se produisait pas ? L’argument de Coleman nous dit que ça aurait l’air d’exactement la même chose : la vie normale de tous les jours.

 

 

59 Comments

  1. Jean Bricmont Reply

    la fonction d’onde est un objet mathématique, une fonction définie sur un espace abstrait, pas un objet situé dans R^3. Si on ne postule rien d’autre, sa signification est obscure sauf comme moyen de « prédire des résultats de mesure », sans rien dire sur le monde en dehors des laboratoires.

    • J’ai tendance à penser que R^3 est aussi un espace mathématique abstrait, simplement plus facile à transposer à notre monde perceptif. Si on commence par « prédire des résultats » dans les laboratoires, on demande aussi à la matière de « faire ce qu’on lui demande » en industrie. La question qui se pose alors concerne le statut des mathématiques à décrire le monde physique.

  2. Oui mais non.

    Je vous propose une petite expérience de pensée que ne résoud pas vos calculs :
    Deux physiciens font la mesure. *Sans possibilité de communiquer le résultat* entre eux. Ils sont certes intriqués avec le système mesuré. Ils sont certes convaincu d’un résultat bien déterminé.
    Mais comment se fait-il qu’ils obtiennent exactement le *même* résultat lorsqu’ils le communiquent *ultérieurement* ?
    Vraiment ce « *même* » est le nœud du problème et vous n’en dites rien.
    Vous allez me dire, il suffit de considérer le système entier {objet mesuré, appareil de mesure A, — éventuelllement appareil de mesure B, — physicien A, physicien B} comme système quantique et le calcul que vous présentez s’applique alors idem. Sauf qu’il y a aussi le *sans possibilité de communiquer le résultat* qui chamboule tout, puisqu’il peut être une impossibilité physique (cf. relativité restreinte).

    C’est là qu’on se rend compte que vous faites une hypothèse très forte, sans le dire : considérer une particule intriquée c’est déjà une sacrée épine dans les pieds de la physique moderne (Bell, Aspect, tout ça…). Or vous commencez à intriquer des systèmes de plus en plus “grand” et ma petite expérience de pensée montre qu’il faudra toujours aggrandir ce système (physicien C, puis D, etc.). Or plus vous “aggrandissez” ce système quantique plus la question de la non-localité de la mécanique quantique va devenir cruciale. On doit en conclure :
    1. que l’Univers entier est en superposition d’état
    2. que l’intrication empêche la possibilité de s’en rendre compte (c’est le sujet de votre billet)
    3. que par conséquent cette intrication est non locale, et ce à l’échelle de l’univers.

    Vous n’avez fait que déplacez le problème et rendre encore plus mordant la question de la non-localité de la mécanique quantique.

    De même la dualité onde-particule peut se “résoudre” comme une intrication non-locale : par exemple s’agissant de la lumière on peut considérer des photons virtuels, qui sont émis dans toutes les directions, mais dont ces directiions sont intriquées sont intriquées : la réception d’un photon par un atome étant une “mesure” au sens de la mécanique quantique, l’autre photon virtuel “s’évapore” car intriqué (c’est tout-à-fait similaire, et là pas moyen de tricher par rapport à la relativité restreinte vu qu’il s’agit de photons : donc des particules qui ont été émis possiblement à l’âge du CMB ett reçus maintenant — quand je dis que le problème de la non-localité concerne tout l’univers !

    En fait on a surtout réussi à obtenir que différents concepts étranges de la mécanique quantique (dualité onde-particule, problème de la mesure / effondrement du paquet d’onde, et enfin non-localité de la méca Q) peuvent se rapporter à un seul et même problème. C’est déjà pas si mal ! Mais le problème de fond reste une question ouverte…

    Voilà, je ne sais pas si je suis clair — qui plus est cela demenderait de mettre en math tout ça pour prouver ma thèse — mais je ne pense pas que l’argument soit suffisant à résoudre totalement le problème, même si je suis convaincu qu’il est pertinent et utile pour mieux comprendre la méca Q (à fortior car j’en étais arrivé à soupçonné cela, sans pouvoir faire aucun calcul).

    • Alice Bob (pseudo) Reply

      Nicolas, si tu veux vraiment avancer dans ces directions, lis les premiers papier sur l’einselection, les recopies par l’environnement et le darwinisme quantique (paier de Zurek et collaborateurs). Tu verras qu’il n’est plus du tout question aujourd’hui d’intriquer des systèmes atteignant la taille des chats ou des expérimentateurs.
      Alice

  3. Guillaume Reply

    Quelques typo :

    c’est-à-dire en traitant l’appareir de mesure => appareil
    je vous fait grâce des flèches => fais
    les vecteurs propres associées => associés
    je vous en fait grâce mais vous pouvez aller le lire => fais
    la vie normale de tout les jours. => tous

  4. Bonsoir,

    Explication intéressante, mais que je trouve peu convaincante, et ce en appliquant la “punchline” que vous citez, “de quoi ça aurait l’air si ça avait été le contraire?”

    Si je remplace T par “David l’expérimentateur est convaincu que l’expérience contredit la mécanique quantique”, qu’est ce qui change dans le raisonnement?

    • Ce qui change c’est que ça ne colle pas avec ce qu’il se passe quand l’électron est dans un état propre + (ou -)

  5. François-Xavier Reply

    J’ai du mal à trouver cet argument percutant, enfin en tout cas, ça ne change pas ma vision de la mécanique quantique.
    Ce que ça dit c’est qu’au moment de la mesure, l’expérimentateur s’intrique avec ce qu’il mesure. Si ce qu’il mesure est dans un état superposé, alors il le devient lui aussi.
    C’est le même genre d’argument que le chat de Schrödinger. Le chat, dans la boîte « mesure » si la fiole de poison a été ouverte ou non. De l’extérieur, le chat apparaît intriqué à la fiole, à la fois mort et vivant.
    On ne peut découvrir l’état mort OU vivant du chat qu’en s’intriquant soi-même au chat et à la fiole
    Ce qui paraît comme naturel pour un électron (l’électron a un spin up et down, l’expérimentateur perçoit un spin up ou down après s’être intriqué) l’est beaucoup moins quand on ne parle pas d’un état de spin mais d’un état mort ou vivant.
    Accepter l’argument de Coleman, c’est accepter que le chat soit à la fois mort et vivant et ne pas se poser plus de question que ça sur ce que ça signifie. Ça ne semble pas très satisfaisant.

    • Alain Vadeboncoeur Reply

      Absolument fascinant même si c’est à la limite de ma compréhension. Et fort bien écrit.

    • Manuel 2 3 5 Reply

      Le chat n’est pas à la fois mort est vivant puisqu’il est observateur, il a déjà fait une mesure avant qu’on ouvre la boite.

  6. Oui mais… Comment peut-on prouver qu’un objet macroscopique peut s’intriquer avec un objet microscopique ?

    Excellent article, cette idée est à creuser! David, une vidéo à ce sujet serait super! Surtout en faisant le lien avec les mondes multiples !
    🙂👍

    • Alice Bob (pseudo) Reply

      Comment peut-on prouver qu’un objet macroscopique peut s’intriquer avec un objet microscopique ?
      Julien, on dit simplement que si la mécanique quantique s’applique à tout, il n’y a pas de raison que cette intrication n’ait pas lieu. Simplement cette intrication dégénère toujours très rapidement en un état classique non superposé (et donc non intriqué) pour un système macroscopique (ouvert).

  7. M. Leduc Reply

    Comment interpréter le petit point qui s’imprime sur l’écran après le passage du photon à travers les fentes? Est-ce que s’il y avait l’équivalent de la chambre à bulle, on verrait une trace dans le brouillard ?

    • Bernard capel Reply

      Où est le David qui mesure – ? Car c’est un état equiprobable.

  8. Dans la partie sur les probabilités, si j’ai bien compris il considère une mesure (toujours via intrication) d’une suite d’états superposés, et il montre que la valeur moyenne est un observable, et que ça a bien la valeur qu’on attend pour une suite aléatoire. Mais est-ce que c’est suffisant pour dériver la règle de Born ? (la règle disant que la probabilité de mesurer un état propre de coefficient z est |z|^2). Vu que cette règle de Born est l’une des critiques majeures à l’interprétation des mondes multiples, s’il arrive à la dériver ça serait un gros atout à mettre en avant. Et s’il n’y arrive pas, ça resterait une faiblesse de son interprétation par rapport à l’orthodoxe.
    De manière générale, je ne comprends pas bien la différence entre l’interprétation de Coleman et celle des mondes multiples, tu peux en dire un mot ?
    Merci beaucoup pour ton boulot en tout cas 🙂

    • Je ne suis pas non plus convaincu que ça suffise pour donner sens ou justifier la règle de Born.

      Sur la relation avec l’interprétation d’Everett, oui formellement c’est la même position (« Schrödinger et rien d’autre »). Mais il y arrive avec un argument qui dit en gros : que ce soit « Schödinger et rien d’autre » ou « Schrödinger + collapse », vous ne verriez de toute façon pas la différence. Et donc en quelque sorte c’est une non-interprétation. Ce que je trouve plus convaincant que l’angle sous lequel on arrive à l’interprétation d’Everett, qui ressemble un peu à « On n’a qu’à dire qu’à chaque mesure le monse se sépare en deux ». Mais peut-être je déforme.

  9. À mon modeste niveau, j’ai toujours jugé la problématique de la mesure ou de l’observation en physique quantique comme étant une sorte de monstrueuse naïveté anthropomorphique qui, personnellement, me met mal à l’aise, surtout quand, dans ses derniers retranchements, elle semble établir que l’Univers n’existerait tout bonnement pas sans l’œil d’un observateur pour le révéler. (Au passage, grosse responsabilité pour le gars en question qui aurait peut-être mieux fait de ne pas ouvrir l’œil ce maudit matin.)
    Il me semble que le sujet évoque ici le fait que la conscience, ce mystérieux objet, n’est qu’un système quantique comme un autre. Hélas, je doute que l’être humain puisse un jour envisager clairement ce qu’est un état de conscience. Prendre conscience de ce qu’est la conscience, voilà une perspective intéressante mais j’ai peur qu’on ne soit pas équipé pour y parvenir. Et les conclusions seraient assurément déstabilisantes. Rester dans une doxa copenhaguoise donne moins le tournis.
    Merci pour cet article.

    • Alice Bob (pseudo) Reply

      Charles,
      Depuis 20 ans la physique quantique s’est complètement débarassée de la conscience de l’expérimentateur dans la mesure quantique. L’expérimentateur n’est qu’un détecteur comme un autre s’il intervient comme appareil de mesure (oeil pour les photons), et n’est qu’un simple recopieur s’il intervient derrière un appareil macroscopique.
      Alice

  10. Je ne suis pas totalement sûr d’avoir compris.
    Est-ce que l’état « je suis persuadé que l’électron a un spin + » est superposé à « je suis persuadé que l’électron a un spin -« , et l’état dans lequel nous sommes n’est qu’une composante de cette superposition, état auquel nous avons accès, puisque c’est celui dans lequel on se trouve, sans avoir conscience que celui-ci n’est qu’une simple composante de superposition ?

  11. Bonjour,
    Si je ne me trompe pas l’expérience de Stern et Gerlach montre que la mesure a bien une influence. Peut-on appliquer le même raisonnement à la dernière expérience que vous expliquez en vidéo où nous avons un état propre sur une variable après une première mesure puis un état superposé après avoir mesuré une autre variable ?

    • On peut traiter la succession de deux mesures dans le formalisme de Von Neumann (comme deux évolutions successives qui intriquent d’abord le 1er puis le 2e détecteur avec la particule), et il n’y a pas de problème le raisonnement reste valide.

      • Prudence Reply

        Bonjour,
        Pourriez vous le détailler ?

        Parce qu’à vrai dire, je suis décontenancée par le sens que vous donnez à « l’effondrement de la fonction d’onde » dans ce billet par rapport à celui de votre précédente vidéo.

        L’effondrement n’est-il pas comme vous le disiez dans celle ci, l’observation qu’après une première mesure, la fonction d’onde est projetée selon la direction propre mesurée et sera donc mesurée dans ce même état quasi sûrement (par une mesure suffisamment rapprochée pour que la dérive de Schrödinger soit négligeable) ?

        Parce que dans ce billet, on dirait qu' »effondrement » prend le sens de « j’ai un état superposé mais ma mesure est bien définie ». En tant que statisticienne, je ne vois même pas ce que cela pourrait vouloir dire de mesurer/échantillonner une variable aléatoire et que cette mesure ne soit pas bien définie.

        Bref, j’ai le sentiment qu’il manque la dernière étape de l’argument appliqué à la succession de 2 mesures pour réellement traiter du sens d' »effondrement » qui pose problème.

        En particulier, comment expliquez vous que 2 mesures rapprochées fournissent le même résultat, sans appliquer d’effondrement à la fonction d’onde, mais uniquement Schrödinger et la considération du système physique particule+appareil dans son ensemble (et sa potentielle intrication) ?

        Merci beaucoup pour tout !

        • Oui dans la vidéo précédente, je présentais les choses selon le point de vue « orthodoxe ».
          Pour la succession de deux mesures, il n’y a pas de problème. Il faut reprendre le processus d’intrication « à la Von Neumann » avec deux appareils de mesure qui vont successivement observer le spin.

          (Il faudrait que je l’écrive proprement en complément du billet, car j’ai eu la question plusieurs fois !)

  12. Hubert Houdoy Reply

    Ce texte me fait penser à l’interprétation relationnelle de la Physique Quantique, développée par Carlo Rovelli.
    Matteo Smerlak travaille avec Carlo Rovelli sur la gravitation quantique à boucles et en particilier sur l’hypothèse Relational Quantum Mechanics («Mécanique quantique relationnelle») qui revisite l’interprétation de la physique quantique.
    Matteo Smerlak a été l’invité du Collège de physique et de philosophie, lors de la séance du 16 janvier 2012.

    http://cphi2.org/wp-content/uploads/2021/10/CR%20s%C3%A9ance%2016%20janv%202012.pdf

  13. Bonjour, il suffit de postuler que la mécanique quantique est une théorie statistique dont les probabilités (au sens habituel du terme) sont issues d’une fonction de probabilités complexes pour retrouver l’ensemble de ses résultats et en particulier l’équation de Schrödinger (moins de 10 lignes de calcul) Il n’y alors plus de problème de la mesure si l’on considère que ce que l’on mesure correspond à une propriété contextuelle (propriété de l’ensemble = source + q-particule + appareil de mesure + environnement), l’intrication qui fait automatiquement partie intégrante de l »hypothése de départ explique clairement tout les résultats expérimentaux. Cordialement
    Nota : Dans le livre de Heisenberg de 1930, l’explication pour les chambres à bulle existe déjà.

  14. Je re-pose une question posée sur Twitter (j’avais oublié que tu ne suivais plus vraiment Twitter) :

    Dans l’interprétation de Coleman (ou sa non-interprétation), comment explique-t-on le fait que deux mesures donnent toujours le même résultat ? Est-ce parce le système global, dont « David l’expérimentateur », reste dans le même état superposé et que donc David garde le même ressenti de résultat ? Et de manière liée, comment explique-t-on (disons au moins en expérience de pensée) qu’en reproduisant plusieurs expériences identiques, les résultats apparaissent aléatoires à « David l’expérimentateur » ? (Je dis en expérience de pensée, en supposant qu’on soit capable de refaire parfaitement exactement la même expérience deux fois.)

    • Salut Bruno !
      Une fois que tu es dans l’état |+⟩⊗|M+⟩+|−⟩⊗|M−⟩, si tu fais une deuxième mesure, par linéarité tu arrives dans l’état |+⟩⊗|M+⟩⊗|M+⟩+|−⟩⊗|M−⟩⊗|M−⟩ donc l’interprétation reste cohérente. Il suffit de savoir ce qui se passe sur des états propres non superposés, et tout le reste suit par linéarité. Donc dans chaque « branche » tu vois bien toujours le même résultat lors de la deuxième mesure. Et pour faire comme Coleman, on peut définir un observable « deux mesures consécutives donnent un résultat identique », qui sera 100% vrai pour l’état superposé.

      Pour le fait que les résultats apparaissent aléatoires, dans l’article Arxiv il mentionne que même le fait que la suite soit aléatoire au sens de Martin-Löf est aussi un observable, qui va tendre vers « vrai » lorsque la suite s’allonge, même si l’état global est bien défini et n’a rien d’aléatoire. Dans l’article (qui est une transcription de conf) il ne va pas jusqu’à Martin-Löf mais il montre le calcul pour la valeur moyenne et les corrélations. Par contre ce n’était pas clair pour moi si ça permettait de dériver la règle de Born (cf ma question plus haut).

      • Oui voilà, j’en suis au même point et pas clair pour moi si ça permet de dériver la règle de Born.
        (J’ai envie de penser que non, car c’est souvent présenté comme « le » point faible des théories à la Everett)

  15. Très bon article, qui m’inspire 2 commentaires, d’un modérément naïf on va dire.
    – La on est dans un monde 100% linéaire, c’est validé ? On ne peut pas imaginer de non-linéarités pour ce genre de gros systèmes ?
    – La fameuse devise Shadok « s’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème » s’applique vraiment partout et pour tout 😉

    • Sur le deuxième point, c’est complètement ça !!
      Sur la linéarité, j’ai l’impression qu’on n’a jamais rien observé qui la viole (et je crois que pour challenger les modèles à « collapse objectif », il y a eu des bornes assez serrées) donc j’ai envie de penser que la taille ne change rien

  16. Bonjour,
    Toute interprétation doit rendre compte de la violation de l’inégalité de Bell, vérifiée expérimentalement par Alain Aspect. Cela veut dire que toute interprétation à variables cachées locales est en contradiction avec l’expérience. C’est malheureusement un point passé sous silence dans la majorité des articles sur le sujet. Et la présentation de Coleman ne fait pas exception. Il commence très bien en rappelant la version GHZ du théorème de Bell, mais ensuite, il oublie totalement ce qu’il vient de dire, et fait tout le reste de son raisonnement sans jamais aborder la notion d’intrication, de violation de l’inégalité, et donc du problème des variables cachées non locales !
    Or, l’interprétation présentée par Coleman, si on l’applique à l’expérience d’Aspect, comporte obligatoirement quelque chose qui dépasse la vitesse de la lumière. Chez Everett, c’est la séparation en mondes multiples qui se propage à une vitesse supérieure à c (si, comme Alain Aspect, on mesure deux photons séparés de 12 mètres en moins de 40 nanosecondes).
    Les tenants de cette interprétation s’en accommodent généralement en disant que la séparation en mondes multiples n’est pas observable.
    Le problème, c’est que l’état |spin_x_+> – |spin_x_-> n’a pas du tout le même comportement que l’état |spin_x_+_Observateur_x_+> – |spin_x_-_Observateur_x_-> lorsqu’on effectue une rotation autour de l’axe z. Les relations de changement de base, cruciales pour prédire les résultats observés, ne sont valables que pour le premier état. Il faut donc effectuer le changement de base avant l’intrication avec l’appareil de mesure, et par conséquent, splitter en univers multiples plus vite que la lumière.

  17. Bonjour, j’ai lu l’article qui n’en est en fait pas un, uniquement une retranscription par un tiers d’une conférence de Coleman. Sur le fond, l’interprétation est tout simplement sous forme mathématique la rupture de la chaîne de Von Neumann dans le cerveau de l’opérateur et rien de plus même si l’on reste dans le domaine quantique. Au sujet du fameux Dr Diehard, il a tord tout simplement car il ne prend pas en compte que les probabilités sont issus d’une fonction de probabilités complexes ce qui induit et explique tous les phénomènes quantiques (voir mon premier reply). Il n’en reste pas moins que la mécanique quantique se suffit à elle-même et que toute interprétation faisant appel à des images automatiquement macroscopiques est vouée à l’échec (Coleman fait visiblement intervenir l’opérateur). Toutefois certaines sont plus pertinentes que d’autres pour donner un certain « sens » à la mécanique quantique et effectivement dans la théorie le postulat de la mesure est inutile, l’interaction (et son versus l’intrication) explique tous les résultats. Cordialement

  18. Un truc que j’ai du mal à comprendre : est-ce que ça a un sens de parler d’une observable « David l’expérimentateur est persuadé d’avoir obtenu un résultat de mesure bien défini » ? On se demande ce qui se cache derrière cette observable… Merci en tout cas !

    • Et d’ailleurs qui observait cette observable ? Ce n’est pas juste David qui est censé observer le système ?

      • J’aurai du préciser mais Coleman en donne une définition un plus précise. Il considère tous les états de David (Sidney dans son exposé !) dans lesquels à la question « As-tu observé une mesure bien définie » il répondrait « oui ».

        • Hum mais tant que personne ne lui a posé la question, est-ce que David ne se sent pas un peu… superposé ?

          En fait pour moi qui suis ça de loin, la solution semble être la décohérence. Plus de problème d’interprétation (pas besoin de rentrer dans des raisonnements ‘philosophiques’ comme celui de Coleman), la règle de Born se démontre (cf. la partie 3.4 de ce papier récent de Zurek : file:///C:/Users/EN207315/Downloads/entropy-24-01520-v2.pdf)… Bref ça m’a vraiment l’air génial, mais peut-être que je suis trop naïf… Alors j’attends avec impatience que vous en parliez 🙂

  19. Désolé, j’ai fini par comprendre le point de Coleman : David n’est jamais superposé par rapport à la question « As-tu observé une mesure bien définie ? ». Il peut par contre être superposé par rapport à la question « Quel est le résultat de la mesure ? » mais il n’a aucun moyen de s’en rendre compte.

  20. Bon mon premier commentaire a été supprimé. Alors je vais réexposer, mais cette fois sous forme d’une question ouverte :
    Puisque vous écartez l’effondrement du paquet d’onde, comment expliquez-vous la dualité onde-particule ? En effet, arrêtez-moi si je me trompe, mais pour moi la particule se comprend comme le résultat de l’effondrement du paquet d’onde (sur l’observable “position”).

    • Commentaire précédent retrouvé et rétabli, je ne sais pas pourquoi il était modéré.

      Pour moi c’est la décohérence qui explique ça : on part d’une onde (avec une amplitude de probabilité qui est « non-nulle » un peu partout) et l’interaction avec l’environnement fait qu’elle va décohérer et que les amplitudes vont se « piquer » sur quelques valeurs qui sont les résutlats de mesure possibles.

      • Bonjour David, je crois que vous devez choisir soit c’est la décohérence qui explique le résultat de la mesure soit c’est le cerveau de l’opérateur puisque c’est la question posée qui chez Coleman donne la réponse. L’étude de la mécanique quantique tend à montrer que la première réponse est la bonne mais il est vrai que des interprétations différentes sont possibles car la décohérence laisse quelques portes entrouvertes Cordialement

  21. Alice Bob (pseudo) Reply

    Bonjour David et merci pour tous tes partages.
    Je me permets de dire qu’il y a des chances non nulles que cette présentation à la Coleman soit fallacieuse. Je crois qu’on peut mieux le cerner aujourd’hui en terme de variables pointeurs et de décohérence lors de la mesure.
    Ce qui est vrai, c’est que les alignements de bulles le long d’un p sont les valeurs de la variable pointeur de la mesure  » chambre à bulles », en ce sens qu’elle laissent stables les états |Psi_p> dans l’interaction particule-chambre. Quand on présente l’onde |Psi_s> = Sigma(|Psi_p>) à la chambre à bulles, l’onde s s’intrique avec les atomes du fluide de la chambre sans faire de bulles, puis l’einselection et la décohérence opèrent pour conduire à la fois à un seul |Psi_p> de la superposition et à un seul alignement de bulles le long de p. La chambre à bulles mesure donc bien plus que la seule observable « Y-a-t-il une unique trace dans la chambre ? » associée à ce projecteur T sur tous les |Psi_p>. Mais c’est vrai qu’elle y donne accès. Comment le sait-on ? Parce que précisément la chambre effondre n’importe quelle superposition sur un des |Psi_p> en faisant un unique alignement de bulles (valeur du pointeur). C’est pour ça qu’on peut coller une étiquette « Mesure aussi l’observable T » sur la chambre à bulles, et non le contraire. Coller l’étiquette a priori et en déduire qu’on va avoir une seule trace est tautologique.

    Autre remarque: depuis qu’on a compris que les vrais chats de Schrödinger n’existent pas, il faudrait éviter de décrire l’évolution du système lors de la mesure par :
    (|+⟩+|−⟩)⊗|M0⟩⊗|D0⟩ ⟶ |+⟩⊗|M+⟩⊗|D+⟩+|−⟩⊗|M−⟩⊗|D−⟩
    L’état de droite est un « David de Shrödinger » qui n’existera jamais. Il n’ y a pas de « + » mais un « ou » (ou si on aime la métaphysique un « et dans un autre monde »). C’est parce qu’il y a un « ou » qu’on peut appliquer T au terme de gauche pour retrouver que la mesure conduit bien à une valeur bien déterminé du spin sur l’axe mesuré.
    Par ailleurs, ne surtout pas dire « Même si le système est dans l’état final intriqué et superposé, l’expérimentateur David est tout de même convaincu avoir mesuré un résultat bien défini ». On a compris avec le darwinisme quantique que le système n’est jamais dans l’état final intriqué s’il est macroscopique (c’est à dire ouvert, comme M). David est convaincu de l’état bien défini du spin parce que M a été laissé dans l’un des 2 états classiques non intriqués quand l’aiguille M s’est « stabilisée ».
    Autrement dit il n’y a que l’évolution Hamiltonienne du système à condition d’y inclure
    – le Hamiltonien total mesureur-mesuré, qui décide de la variable pointeur
    – la macroscopicité du système dans ce Hamiltonien, qui entraine la perte des cohérences.

    Le seul problème qui reste : qui fait le choix + ou – ? Le hasard quantique (« Dieu ») ? Des variables cachées de l’appareil de mesure ouvert ?

    Alice

    • S’il est vrai que de telles variables cachées existent, alors elles agissent en dépassant la vitesse de la lumière.

  22. Bonjour et merci pour la diffusion de cet article !
    Je ne suis pas sur de comprendre un point.
    Le principe de la réduction de la fonction d’onde dit non seulement que l’observateur est certain d’obtenir un résultat de mesure (le système total est un état propre de l’observable T). La dessus aucun problème (T est l’identité sur H_electron tensoriel H_appareil réduit à M+, M-)

    Ce que je ne comprends pas, c’est que ce principe dit aussi quels seront les résultats possibles de la mesure, et que le système collapse dans le résultat obtenu. Je pensais que le « problème » de la mesure était justement sur ce point la , la collapse, qui elle est irréversible et intrinsèquement probabiliste. Et sur ce point, je ne suis pas sur que Coleman répond à la question (?)

    • Le collapse n’est réel que pour celui qui fait la mesure, il n’a lieu que dans sa tête (c’est simplement, en quelques sortes, la densité de probabilité qui s’effondre).
      Imaginons que tu fasses une mesure de polarisation d’un photon dans ton laboratoire. Le photon était avant mesure dans un état |+> + |->. Tu mesures et tu trouves |+>. Tu noteras le nouvel état de ton photon |+> : la fonction d’onde se sera effondrer. Cet effondrement veut simplement dire que tu as acquis l’information sur la polarisation de ta particule.
      Maintenant moi je suis à l’extérieur du labo. Je n’ai pas accès à l’information de mesure, donc je dois appliquer l’équation de Schrödinger à l’ensemble du labo. Lorsque tu mesures, le photon est pour moi toujours dans un état intriqué et la fonction d’onde ne s’est pas effondrée ; on peut noter son état |paul a mesuré +, +> + |paul a mesuré -, ->. Maintenant, si je suis très très malin, je peux théoriquement inverser le temps dans l’évolution de tout le système, c-à-d le labo, toi et le photon. Évidemment tu perdras à ce moment là la mémoire de l’état de polarisation du photon et ce dernier sera à nouveau dans un état superposé pour toi : l’effondrement est réversible.
      C’est l’expérience de l’ami de Wigner ; ça te montre bien que la fonction d’onde est à la fois subjective et que l’effondrement n’est pas un phénomène physique réel.

      • Sauf que si tu supposes que l’état est |Paul mesure +; +> + |Paul mesure -, ->, quelle est la raison pour laquelle si tu mesures, tu mesureras comme je pense avoir mesuré, alors que je savais ce que j’ai mesuré avant que tu mesure ?

        Je crois que justement c’est parce que cette non interprétation ne dit rien sur la probabilité de trouver l’état.
        Toute la partie philosophique vraiment interprétation pourquoi pas, mais il n’explique rien sur la règle de Born. Comment dans son développement, je sais que j’observe + avec une proba 1/2 ? Et l’effondrement (s’il a lieu, en interprétation de Copenhague) n’est pas réversible, justement dans votre développement il n’y a pas d’effondrement.

        • « Sauf que si tu supposes que l’état est |Paul mesure +; +> + |Paul mesure -, -> »

          Pour être exact je ne suppose pas l’état, je l’obtiens après évolution unitaire de tout le système (labo + toi + photon).

          « quelle est la raison pour laquelle si tu mesures, tu mesureras comme je pense avoir mesuré, alors que je savais ce que j’ai mesuré avant que tu mesure ? »

          J’applique tout simplement les lois de la mécanique quantique. J’ai 50% de chance de mesurer +, 50% de chance de mesurer -. Maintenant quelle est la probabilité que nos résultats soient discordants ? 0. En effet la probabilité « je mesure + et Paul mesure -« , par exemple, est 0 car = 0.

          « Je crois que justement c’est parce que cette non interprétation ne dit rien sur la probabilité de trouver l’état.
          Toute la partie philosophique vraiment interprétation pourquoi pas, mais il n’explique rien sur la règle de Born. Comment dans son développement, je sais que j’observe + avec une proba 1/2 ? »

          La règle de Born est un principe physique fondamental, il n’y a pas lieu de chercher de raison plus profonde. On peut la justifier, voir la démontrer mais toujours au prix de postulats supplémentaires.

          « Et l’effondrement (s’il a lieu, en interprétation de Copenhague) n’est pas réversible, justement dans votre développement il n’y a pas d’effondrement. »

          Encore une fois l’effondrement de la fonction d’onde n’est pas une phénomène physique. En mesurant la polarisation de ton état |+> + |-> tu vas avoir 50% de chance d’obtenir + ou -. Si tu obtiens disons +, l’état du photon est |+> : on dit que la fonction d’onde s’est effondrée. C’est simplement la densité de probabilité qui s’est effondrée. Pour l’observateur qui a fait la mesure le phénomène est totalement irréversible, dans le sens où il ne peut pas oublier d’avoir fait la mesure. Cependant un observateur extérieur pourra avoir une interprétation différente des évènements : l’effondrement n’aura pas lieu,… etc (voir message précédent).

  23. La vidéo de Coleman devrait être montrer à tous les étudiants de physique à un moment de leur cursus, il y a souvent un avant et un après niveau compréhension de la MQ (et le rire de Coleman est génial).
    Mais même si tu regardes simplement le Feynman, tu ne verras non plus aucune mention d’effondrement de la fonction d’onde.

    Si tu as le temps tu devrais jeter un œil à l’interprétation des « consistent histories »(https://plato.stanford.edu/entries/qm-consistent-histories/). C’est très très similaire à Copenhague, sauf que maintenant la mesure ne joue aucun rôle particulier dans la théorie.

  24. Bonjour,

    Je chercherais à en savoir plus sur la théorie des ensembles causaux.
    Vous auriez de la documentation un peu vulgarisé pour un non expert du domaine s’il vous plaît ?

  25. Antoine__ Reply

    C’est intéressant ce billet et cet apport de Coleman. Bravo et merci !
    Étant donné le nombre de commentaires je ne vais pas trop en rajouter. Je partage simplement ma réflexion.
    Vous commencez par résumer très clairement le « problème » : deux mécanismes d’évolution très différents (l’évolution des états prédite par Shrödinger et la réduction du paquet d’ondes par la mesure). Finalement, Coleman supprime la réduction du paquet d’ondes. Mais comment interprète-t-il ces fameux « états superposés » ? Comment interpréter en effet ce signe « + » ? (c’est vrai quoi, faire de la physique ce n’est pas simplement écrire des équations c’est aussi les relier à ce que l’on observe… justement). Si je vous suis bien dans les commentaires, Coleman est dans la non-interprétation (contrairement à ceux qui tiennent aux univers parallèles).
    Pour ma part, je voyais au départ la réduction du paquet d’ondes comme un moyen nécessaire de passer d’un état superposé (que l’on a plutôt du mal à interpréter…enfin c’est mon avis) à une mesure, qui est au contraire très facile d’accès pour « n’importe qui ».
    Pour le dire plus grossièrement (et désolé si je suis lourd), je sais ce que c’est qu’un espace vectoriel merci, et je sais que l’on peut additionner deux vecteurs pour en former un autre, en mathématiques. Mais si vous me dites que l’on peut additionner deux états d’un électron qui sont « électron de spin + » et « électron de spin -« , je vais vous regarder avec des yeux ronds et vous demander ce que cela signifie. Ce problème n’est pas résolu avec Coleman non ?

  26. Bonjour, en ce qui concerne l’interprétations « Many-Wordls », c’est De Witt qui l’a inventé en se basant sur la thèse de Everett mais si on lit vraiment la thèse de Everett on s’aperçoit qu’il a en fait une interprétation statistique de la mécanique quantique basée sur la théorie de l’information. Pour lui toute interaction élémentaire est une mesure donc par exemple pour une mesure sur un spin 1/2 ce n’est pas 2 mondes parallèles qui interviennent mais au moins 10 puissance 23 mondes qui se séparent (= l’ensemble des atomes de l’aimant), cela fait beaucoup. Plusieurs interprétations purement statistiques existent et elles ne font pas intervenir les « Many-Worlds ». D’autres interprétations sont possibles. Dans tous les cas elles ne servent qu’à donner un certain « sens » (macroscopique) à la mécanique quantique car la mécanique quantique se suffit à elle-même (pour le cas Coleman voir un de mes reply). Cordialement

  27. Pingback: La mécanique quantique | /home/GNU/Linux/Ramix

  28. Hello, il est écrit qu’il se place dans la lignée de l’intéprétation des mondes multiples, où chaque branche évolue ensuite parallèlement aux autres, mais sans que nous soyons dedans. Pour moi son interprétation est en accord avec cela, cela n’exclut pas des rapprochements avec d’autres interprétations. Je me demande notemment si la conclusion de Coleman ne serait pas en fait totalement en accord avec le relationnisme de Rovelli. Dans les deux cas, il faut toujours prendre un niveau d’abstraction supérieur lorsque qu’il y a interaction entre l’appareil de mesure et le système, pour la décrire totalement. Rovelli introduit donc juste la notion de relationnisme, et cela nous éviterait alors de penser qu’il y a différentes branches de l’univers qui évoluent parallèlement les unes par rapport aux autres.
    Voilà la réflexion que je me suis faite, et j’aimerais savoir si je rate qqch et si les deux choses sont complètement incompatible (notemment au niveau de l’interprétation des probabilités, qqch que je n’ai pas bien compris, dans les 2 cas)

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