La vidéo du jour parle de la question de l’inflation cosmique : qu’est-ce que c’est, et pourquoi ce phénomène déroutant semble nécessaire pour expliquer certaines des caractéristiques étranges de notre univers.

Notations et autres conventions

Chaque fois que je fais un article ou une vidéo qui parle de cosmologie, c’est le même cirque pour moi : je dois me replonger dans les équations et notations pour retrouver mes petits. Il faut dire que personne n’utilise les mêmes conventions, et je trouve qu’il y a de nombreuses sources de confusion. On peut citer par exemple :

  • Le fait de prendre \(k\) tantôt comme une courbure (homogène à l’inverse d’une longueur au carré) et tantôt comme un nombre sans dimension qui vaut 0, -1 ou +1 (auquel cas, pour +1 et -1, \(a\) devient homogène à une longueur plutôt qu’un nombre sans dimension !)
  • Le fait de parfois poser directement \(k=0\) et de ne traiter que ce cas.
  • Le fait d’utiliser soit des densités de matière, soit d’énergie (il y a un facteur \(c^2\) entre les deux.)
  • Relié : le fait de poser \(c=1\) ce qui ne facilite pas le fait de vérifier les dimensions.
  • Ecrire des équations qui utilisent à la fois \(H\) et \(\dot{a}\)
  • Des ambiguités sur le fait que les quantités dépendent du temps, ou bien qu’on considère leur valeur présente (ex : la densité critique ou \(\Omega\))
  • La nature des contributions à la matière-énergie (fluide de poussière, radiation, avec ou sans énergie sombre/constante cosmologique).

Bref, je me suis dit qu’il fallait que je m’écrive moi-même mon propre pense-bête avec les notations qui me paraissent les moins ambigües et les plus pertinentes. Je ferai peut-être un doc en PDF avec ça si j’ai le courage, en attendant si jamais vous aussi vous vous perdez dans ces notations, je vous mets mon pense-bête manuscrit ! (Il reste peut-être des coquilles mais je ne dois pas être loin)

A propos de la platitude

Les dernières équations sont importantes pour ce qui nous concerne. En particulier : la densité critique est une fonction du temps ! Elle dépend du paramètre de Hubble \(H(t)\). Le ratio \(\Omega(t)\) dépend donc lui aussi du temps ! Même si on a coutume de comptabiliser ses contributions à l’instant présent, c’est vraiment une quantité dynamique. On le voit bien dans les deux dernières équations ce qui nous intéresse concernant la platitude de l’Univers, notamment l’évolution de \(\Omega\)

\(\Omega(t) = 1 + \frac{K_0 c^2}{\dot{a}^2}\)

C’est notamment grâce à ça qu’on peut voir que pour avoir une valeur de \(\Omega = 1\) à 1% près à l’instant présent, il aurait fallu une valeur égale à 1 à \(10^{-64}\) près dans les premiers instants.

La toute dernière équation semble un peu barbare mais elle est éclairante : elle montre très bien que la platitude \(\Omega = 1\) est un équilibre instable. Si on est légèrement en-dessous, la valeur va diminuer, si on est légèrement au-dessus elle va augmenter. Et c’est à cause du facteur \((1+3w)\) qui est toujours positif pour les formes ordinaires de matière-énergie (w=0 pour la poussière, w=1 pour la radiation).

Et on voit en quoi une forme de matière du type énergie sombre change la donne. Si \(w<-1/3\), on retourne le truc et on peut avoir un \(\Omega\) qui tend vers 1 plutôt que de s’en éloigner : l’Univers va tendre vers la platitude !

A propos de l’homogénéité

Je n’ai pas vraiment insisté là-dessus mais quand on regarde par exemple le rayonnement fossile, on peut définir une notion de patch causalement relié, qui définit les régions qui auraient pu être en contact sans avoir à invoquer d’inflation. La taille angulaire de ce patch est de l’ordre de 2°. Ca veut dire que quand vous regardez deux directions éloignées de moins de 2°, on peut expliquer l’homogénéité en disant que ces régions étaient causalement reliées au moment de l’émission du fond diffus cosmologique. Mais au-delà de deux degrés ça n’est plus cas.

D’ailleurs à propos des calculs de la quantité « minimum » d’inflation nécessaire à expliquer l’homogénéité de l’Univers observable, vous pouvez par exemple aller voir ces calculs.

Slow-roll

J’ai un peu coupé dans mon script, au début je détaillais un peu plus l’idée de slow-roll pour les modèles d’inflation. En gros si vous avez un champ scalaire qui joue le rôle d’inflaton, pour spécifier votre modèle il vous faut choisir un potentiel pour ce champ. Les formes de potentiel qui marchent bien sont dites « slow-roll », dans lesquelles le champ va « lentement » rouler dans le potentiel pour atteindre une énergie nulle (de façon à ce que l’inflation s’arrête).

Mais il peut y avoir a priori tout un tas de potentiels et de modèles qui satisfont aux conditions de slow-roll. D’où l’idée de contraindre les possibilités avec les valeurs de \(n_S\) et \(r\), tous les deux sans dimension :

  • \(n_S\) est l’exposant qui gouverne le spectre des fluctuations, qui est une loi de puissance en \(\sim k^{n_S-1}\)
  • \(r\) est un ratio entre les composantes scalaires et tensorielles des fluctuations primordiales. On peut en gros relier ça à des formes primordiales d’ondes gravitationnelles, et la spécificité est que tous les modèles d’inflation prédisent une valeur strictement positive.

Pour en savoir plus, j’avais écrit il y a fort longtemp un article sur BICEP2 ! (avant que la découverte ne s’effondre, et je constate avec plaisir que j’avais été plutôt prudent déjà à l’époque !)

D’ailleurs pour conclure, il faut faire justice à Andrei Linde. Quand dans ma vidéo je dis « tout ce petit monde se voyait déjà avec le Nobel », je pensais plutôt aux responsables de l’expérience, pas à Linde, qui pour le coup a été assez prudent. J’en veux pour preuve sa réaction extrêmement sceptique quand on vient lui annoncer la découverte.

 

 

19 Comments

  1. Moi je comprends plus grand chose dans ce qui fait consensus ou pas…

    Dans une précédente vidéo de Science Etonnante sur la matière noire, il est bien montré que la matière est UNE théorie parmi d’autres pour expliquer des observations expérimentales, mais que ce n’est pas du tout la seule (Théorie MOND).

    Par ailleurs, dans un billet de blog, je me rappelle que David avait été même encore plus critique sur l’énergie Sombre, pour David Louapre l’énergie sombre ressemblait fortement à de la surinterprétation de paramètres dans les équations.

    Et là dans cette vidéo, on a l’impression que Matière noire et Energie Sombre existent à 100%, c’est sûr et non remettable en cause.. j’avoue que je ne sais plus quoi en penser.

    • Non la matière noire n’est pas « une théorie parmi d’autre », c’est la théorie la mieux corroborée aujourd’hui et celle qui est la plus favorisée. Ca n’est pas la seule ok, et son statut de « favorite » peut changer à l’avenir. Mais c’est celle qui colle le mieux aujourd’hui.

      Sur l’énergie sombre, j’avais fait un billet qui discutait le fait que sa dénomination laissait croire à une substance à découvrir, alors qu’on pouvait l’interpréter simplement comme une constante dans l’équation d’Einstein (la constante cosmologique). Mais c’est une différence dans la façon de le présenter les équations sont strictement identiques.

      • Bonjour, une remarque sur les théories Mond. En dehors de la théorie de Milgrom simple transformation de la théorie de Newton pour expliquer les vitesses des étoiles dans les galaxies et donc sans autres ambitions particulières (au moins dans un premier temps), les autres théories partent du Laplacien standard et introduisent des champs supplémentaires. Mais qui dit champ en mécanique quantique dit particule associée donc aucun gain par rapport à la matière noire. Cordialement

        • Merci de cette précision. C’est bon de bien garder cela en tête.

          • Bonjour, une autre solution c’est le gravité émergente (mais je n’aime pas la théorie présentée par Verlinde). La gravité émergente a l’avantage de supprimer le problème de la quantification et de supprimer aussi les singularités. Mais le modèle le plus abouti est le LamdaCDM avec une dose d’inflation. Pour d’autres explications, j’ai un blog : http://pgphys.blog.free.fr.blog.free.fr/. Cordialement

  2. Bryoshippix Reply

    C’est très rare que je puisse m’en apercevoir mais il y a une erreur dans la vidéo : l’assertion qu’un univers plat est forcément infini.

    Il suffit de reprendre la notion de tore pour voir qu’on peut très bien avoir une courbure « globalement nulle » et être un espace fini. Et on peut même aller plus loin avec les tores plats, qui ont une courbure « nulle en tout point » et sont tout aussi finis !

    Ça n’aurait pas été très problématique si le scénario de courbure nulle était écarté par les résultats expérimentaux, mais comme ça n’est pas le cas…

    À moins qu’il y ait un argument non-mentionné dans la vidéo (et le billet) qui écarte l’hypothèse d’un univers plat fini ?

    Bien amicalement quand même 🙂

      • Bryoshippix Reply

        Je n’ai vu qu’après avoir posté mon commentaire ici qu’il y avait déjà eu une remarque similaire sur youtube à laquelle vous aviez répondu 🙂

        J’en profite pour repartager votre lien, mais dans sa version française : https://luth.obspm.fr/~luminet/topo.html 😀

        Bien à vous ! 🙂

        HS : J’en profite aussi pour parler du projet Hévéa, qui s’était donné pour objectif de représenter (autant que faire se peut) un tore plat dans notre espace tridimensionnel, en appliquant des résultats de Nash et Gromov : https://hevea-project.fr/index.html. C’est toujours joli à voir ! En espérant que ça vous plaise.

  3. Christian Reply

    Bonjour
    Merci pour cette nouvelle vidéo.
    Une autre méthode pour connaitre le sens de la courbure de l’univers sans connaitre la constante de Hubble c’est de mesurer la somme des angles d’un triangle:
    – Si le résultat est = 180 l’univers est plat
    – Si le résultat est > 180 l’univers est sphérique (courbure positive)
    – Si le résultat est < 180 l'univers est hyperbolique (courbure négative)
    mais il faudrait un GRAND triangle.

  4. Bonsoir,

    Merci pour cette vidéo très intéressante et ce billet détaillant un peu plus les calculs. Je n’avais jamais entendu parler de cette inflations

    J’aurai une question technique sur la résolution de l’équation donnant la solution a(t), et que vous tracez dans la vidéo.
    A partir de l’équation différentielle (1) (qui semble non linéaire sans simplification) de votre photo, comment faites-vous la résolution pour obtenir l’expression analytique de a(t) ? J’avoue ne plus/pas avoir les moyens de la résoudre.

    Aussi, dans un autre billet de blog sur le sujet, vous aviez une équation similaire mais quelque peu différente : https://scienceetonnante.com/2015/04/13/cosmologie-1-le-big-bang/.

    Est-ce un cas particulier d’une équation (1) plus générale ?
    Ou alors est-ce parce que dans (1) c’est rho et non rho_0 comme dans l’ancien billet de blog, en supposant alors que rho = rho*(a^3) en volumique alors cela pourrait expliquer la différence ? Il me semble que cela pourrait être le cas avec rho_c(t) qui est proportionnel en H^3 et donc en a^3. Mais je ne suis pas certain de capter tous les détails de calcul.

    Merci d’avance pour les détails et explications.
    Bien cordialement !

  5. Bonjour, une petite remarque. Les arguments de la platitude d’ l’univers et de l’homogénéité sont effectivement les points de départ historiques de l’inflation. Mais en fait en extrapolant la physique d’aujourd’hui on peut remonter à environ 13,7 milliards d’années donc avant on ne sait rien (pas de conditions initiales). Par contre a priori l’univers était purement quantique avant cette période (infini, fini ?) et il était soumis aux fluctuations quantiques. Si l’on corrèle ces fluctuations aux fluctuations du fonds diffus cosmologique alors une période d’inflation cataclysmique et courte s’impose ce qui implique la platitude et l’homogénéité de l’univers (retournement des arguments). Comme l’évoque David et le précise dans ses commentaires, ces fameuses fluctuations permettent de filtrer les scénarios d’inflation. Le meilleur est actuellement le plus simple, champ scalaire quadratique (tient cela ressemble un peu au champ de Higgs) mais il ne résout pas tout. Cordialement

  6. Je ne m’y connais pas du tout mais je ne comprends pas pourquoi l’univers ne devrait pas être homogène, si le bigbang s’est comporté comme une explosion, il est normal que la matière et l’énergie soit relativement homogène.
    Merci pour vos vidéos que je trouve très intéressantes, constructives, j’aime beaucoup votre travail.
    Cordialement.

  7. Pingback: L'INFLATION COSMIQUE - AskField

  8. Bonjour, désolé de descendre le niveau mais j’ai un problème pour accepter de la notion d’évolution de l’observabilité réciproque. En effet quand je suis l’explication, il me semble que pendant une période donnée, proche du big bang, l’expansion aurait été plus rapide que la vitesse de la lumière, ce qui aurait permis à des particules ou objets de se situer au delà de toute influence réciproque possible, et cela expliquerait l’apparition progressive d’objets cosmologiques dans notre univers observable (si j’ai bien compris, ce qui n’est pas sûr). Or dans le cadre de la relativité générale rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière, je ne comprends donc pas comment l’expansion aurait pu être plus rapide et donc comment des objets ou des zones de l’univers n’auraient jamais pu être en contact. Je suis preneur de tout éclairage merci

    • Bonjour, quand on parle d’expansion de l’univers on parle de l’expansion de la trame de l’univers et pas d’une vitesse propre des objets qu’il contient donc la vitesse de la lumière n’entre plus en jeu. D’ailleurs dans la phase quantique et même d’inflation la notion d’espace-temps n’est pas bien définie. La métrique comobile avec la matière utilisée pour décrire l’univers qui donne le sens à un temps universel n’a plus vraiment de teneur pendant cette période. Cordialement

      • blanc dominique Reply

        alors question? Comment est la trame de l’univers? Continue, Discontinue? si elle s’expand trop, ne va t’elle pas « craquer »? ou est-elle alimentée par de nouveaux éléments issus du vie quantique???? Quelqu’un a une ID??? Merci d’avance et peut-être que David va faire une vidéo là-dessus?

    • Bonjour,
      pour compléter la réponse de GUY…
      On peut voir l’expansion comme un « gonflement » de l’espace. Ce ne sont donc pas les objets qui se déplacent dans l’Univers mais c’est l’Univers qui « gonfle » entrainant un déplacement relatif des objets qu’il contient. De ce fait la vitesse d’éloignement desdits objets peut être supérieure à la vitesse de la lumière.
      Pour imager on utilise souvent l’analogie du pain aux raisins. Quant on fait cuire un pain aux raisins, l’éloignement des raisins est dû au gonflement de la pâte et non à leur mouvement propre.

      • Bonjour Phil, quand on utilise cette image parlante il faut bien préciser que l’univers s’étend dans « rien » pour éviter des confusions. Par contre on peut philosopher sur le sens du mot « rien » dans ce cas. Cordialement

  9. Bonjour JFP, le plus simple est de mettre un lien en ligne. David présente un consensus de la famille des cosmologistes mais certains d’entre eux ne l’approuvent pas et ont d’autres solutions à suggérer. Par contre seule l’observation tranchera. A noter qu’il reste encore des points de non-conformité avec cette théorie (rien n’est parfait dans ce monde). Cordialement.

Reply To GUY PATRICK Cancel Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.