cocacola_publicitéL’influence des images subliminales semble être quelque chose d’avéré dans l’opinion publique, comme en témoignent les lois visant à interdire leur utilisation à la télévision. Mais existe-t-il réellement des preuves scientifiques de l’existence de leurs effets ?

Quand on creuse la question, on s’aperçoit heureusement que non ! Nous sommes loin de pouvoir être manipulés par des images subliminales qui nous forceraient à acheter certains produits ou à voter pour certains candidats. Et pourtant on arrive à montrer qu’un stimulus subliminal peut avoir des effets mesurables.

Une histoire controversée

En 1957, l’américain James Vicary a annoncé les résultats d’une expérience sensationnelle : dans un cinéma, il aurait réussi à augmenter significativement les ventes de Coca-Cola et de pop-corn au moyen d’images subliminales projetées durant le film ! Rappelons un peu en quoi cela consiste.

Vous savez peut-être que le cinéma fonctionne en « 24 images par secondes », c’est-à-dire que le film est découpé en images dont la durée de  projection est d’environ 40 millisecondes chacune : c’est la vitesse minimale pour que la suite d’images ne nous apparaisse pas saccadée. Il est avéré que si une image nous est présentée pendant un temps inférieur à cette durée, nous ne serons probablement pas conscients de l’avoir vue. C’est la technique qu’aurait supposément utilisé Vicary : l’insertion d’une seule image du genre « Buvez Coca-Cola » au milieu d’une séquence d’images pourrait donc constituer un stimulus inconscient, puisque présent pendant seulement quelques dizaines de millisecondes.

L’annonce de ce « résultat » par Vicary a provoqué suffisamment de tumulte, pour qu’un an plus tard la CIA ponde un un rapport sur le sujet (déclassifié en 1994). Je n’ai pas bien réussi à identifier si la loi américaine avait à ce moment pris des mesures contre les images subliminales, mais en 1962 Vicary avoua que les chiffres étaient faux et les résultats fabriqués. Mais trop tard, le mal était fait…

L’élection présidentielle de 1988 en France

Trente ans plus tard en France, scandale au cours de la campagne présidentielle de 1988 ! La chaîne Antenne 2 est accusée de diffuser une image subliminale de François Mitterand pendant le générique du journal de 20 heures. J’ai plusieurs fois entendu parler de cette histoire, et plus jeune je me suis demandé comment cela n’avait pas conduit purement et simplement à l’annulation de l’élection. Il faut croire que j’étais (par défaut) convaincu de l’existence et de l’efficacité des images subliminales !

Pour commencer, voici le générique tant décrié : voyez vous quelque chose ?

Je l’ai regardé plusieurs fois, et malgré le conseil de regarder dans le 2, je n’ai rien vu. Pour ceux qui sont comme moi, voici ci-dessous un arrêt sur l’image incriminée

image_subliminale_mitterrand_JT

Stricto-sensu ça n’est d’ailleurs probablement pas une image subliminale, puisque sa durée est telle que si on sait qu’elle est là, on peut la voir facilement. Néanmoins en 1992, une loi a été votée pour interdire l’usage des images subliminales à des fins publicitaires

Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié: « la publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales » entendues comme visant à atteindre le subconscient du téléspectateur par l’exposition très brève d’images.

Plus récemment aux Etats-Unis, connus pour leur utilisation massive de la publicité lors des campagnes électorales, le camp républicain fait scandale avec la vidéo suivante

Le problème venant du terme « RATS » (équivalent de « salauds ») qui est flashé rapidement avant de se transformer en « Bureaucrats ». Probablement pas un hasard !

Quelles bases scientifiques ?

Rassurez-vous : les bases scientifiques concernant un éventuel effet des messages subliminaux sont très très faibles ! A ce jour il n’a pas été prouvé que des images de ce genre pouvaient influencer nos choix ou nous faire consommer quelque chose contre notre gré. Néanmoins, on a pu montrer que certains stimulus subliminaux se traduisaient par un effet mesurable sur nous.

Avant de donner quelques exemples, un point important : il n’y a absolument rien de surprenant ou de choquant au fait que nous soyons sensibles à des signaux subliminaux. Dans notre vie quotidienne, il y a tout un tas d’informations que nous percevons sous notre seuil de conscience, et que notre cerveau traite sans que nous nous en rendions compte. Pensez à l’ensemble des perceptions nécessaires pour conduire un véhicule ou jouer au tennis !

visage peurDe nombreuses études ont réussi à mesurer et quantifier l’influence de signaux subliminaux. Parmi celles-ci, on peut citer la publication de Whalen et ses collaborateurs [1]. Dans cette expérience, on soumet des sujets à un stimulus composé d’images représentant des visages. Chaque stimulus dure 200 millisecondes, et est composé dans les premières 33 ms d’un visage représentant la joie ou la peur, puis pendant 167 ms d’un visage neutre.

Le premier visage étant flashé pendant trop peu de temps, les participants ont l’impression de ne voir qu’un visage neutre. Et pourtant, en les mettant dans une IRM pendant l’expérience, on peut mesurer que lorsque le premier visage représente la peur plutôt que la joie, une région particulière du cerveau, l’amygdale, s’active de manière caractéristique : même si les sujets ne s’en rendent pas compte, le cerveau repère et traite l’information qu’un visage apeuré est affiché !

Autre manifestation (très faible mais non-nulle) des images subliminales, les effets d’amorçage. Voici un exemple d’expérience [2] : on vous montre un chiffre et vous devez presser un bouton pour dire s’il est plus grand ou plus petit que 5. Mais à votre insu on vous flashe un peu avant un autre nombre (de façon subliminale). Si ce nombre subliminal possède la même propriété que celui que l’on vous soumet de façon consciente (par exemple ils sont tous les deux inférieurs à 5), alors votre réponse à la question sera plus rapide que dans le cas contraire ! On dit que vous avez été « amorcé » par la présence du premier nombre. Alors attention, ces effets ne sont pas monstrueux : le temps de réponse passe en moyenne de 540 à 510 millisecondes ! Des effets analogues ont été montrés aussi avec des visages à reconnaître [3], mais là non plus les différences de temps de réponse ne sont pas énormes (bien que statistiquement significatives).

Dans tous les cas, on peut conclure que des effets de stimulus subliminaux existent bel et bien, mais qu’il semble que l’on soit loin de pouvoir manipuler des gens avec !


Une très bonne référence sur le sujet par un des chercheurs les plus actifs du domaine : le cours du Collège de France de Stanislas Dehaene sur « L’inconscient cognitif »

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[1] Whalen, P. J. et al. (1998). Masked presentations of emotional facial expressions modulate amygdala activity without explicit knowledge. Journal of Neuroscience, 18, 411-418.

[2] Dehaene, Stanislas, et al. « Imaging unconscious semantic priming. » Nature 395.6702 (1998): 597-600.

[2] Kouider, Sid, et al. « Activity in face-responsive brain regions is modulated by invisible, attended faces: Evidence from masked priming. » Cerebral Cortex 19.1 (2009): 13-23.

Comments

  1. Pingback: Les images subliminales : mythe ou réali...

  2. Article intéressant, je pensais d’ailleurs que l’impact aurait été plus grand. Pour ma part, je reste persuader qu’il est possible d’être manipulé de façon non consciente. Qu’en est-il du neuro-marketing ?

  3. En tous cas, cela a permis la création de très nombreuses séries américaines sur le sujet, assez amusantes dans l’ensemble, c’est un point positif.

  4. « le temps de réponse passe en moyenne de 540 à 510 millisecondes » : c’est ce qu’on appelle en médecine une différence « statistiquement significative mais cliniquement non significative » ! Autrement dit, il se passe réellement quelque chose, mais vu l’importance du phénomène on ne va pas non plus se donner le mal de chercher à le déclencher

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  6. Vous semblez dire que l’énorme influence que prête l’opinion publique aux images subliminales, n’est « qu’une hypothèse » en oubliant de préciser que cette hypothèse reste valide, non réfutée depuis des décénnies.

  7. Je pense qu’il y a pas mal de subliminal dans les films.
    Par exemple, je regardais le film blade, dans la premiere scene du film un homme traverse un abattoir, et je me sens assez mal a l’aise, ce qui m’etonne parceque l’image a l’ecran n’a rien de vraiment inquietante en soi, je suspecte donc un truc subliminal, et effectivement apres nombre de tentatives de mise en pose je finis par tomber sur un gros plan sur un cadavre egorgé. Dans ce cas ci, ca n’est pas si mechant en soi, parce que dans un film de vampires finalement ca ne fait que desservir le propos du film.

    Mais le subliminal pourrait a priori avoir des orientations moralement plus discutables: la publicité biensur, mais encore influencer le public sur le plan politique ou sur le plan social

    Ce qui est sur, c’est que si la publicité subliminale est effectivement interdite (est-ce vraiment le cas?), alors les publicistes ne prendraient ni le temps ni le risque d’incorporer des images subliminales s’il n’avaient pas la preuve absolue que c’est non seulement tres efficace sur le public, mais aussi significativement plus efficace que la publicité ouverte.

    D’autre part, il est averé que les publiscistes s’appuient beaucoup sur des etudes de psychologie et psychiatrie pour concevoir leur reclames, donc du subliminal s’appuyant sur des techniques de manipulation psychologique est tout a fait envisageable, ce qui serait d’autant plus pernicieux.

    Par contre, le coup de l’image de quelques milli-secondes c’est clairement de la desinformation, car cette technique anterieure aux années 60 est aujourd’hui completement depassée, il est evident que les techniques audiovisuelles ont infiniment progressé depuis. Grace a l’infographie et a l’image de synthese il est aujourd’hui tout a fait possible d’incruster en douce une image dans une autre, selon des procedes divers. D’ailleurs si cela s’applique au cinema et a la television, rien n’empeche d’appliquer cela a des images fixes (affiches, etc..). Grace au logiciels de traitement du son, on peut aussi facilement suggerer une courte phrase ou des mots a connotation orientée au sein d’une bande son.
    Ces techniques modernes soulevent le probleme de leur detection (passer un film ou une musique au ralenti ne devoilera rien du tout)

    La question qui se pose alors est: existe-t-il un organisme chargé d’analyser reellement tous les medias de masse (television, dvd, cd audio et mp3…) avant qu’ils ne soient distribués au public? Et si oui, cet organisme est-il oui ou non equipé des technologie adequates a cette analyse (qui s’averera forcement laborieuse)?

    • ps: quand je parle d’une image subliminale, il peut tout aussi bien s’agir d’une animation subliminale (et non d’une image fixe unique)

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  9. Bonjour,

    Je voudrais vous faire part de ces événements physiques quelquefois rencontrés et savoir l’explication de ces phénomènes.

    1 – Un jour je travaillais comme serveuse dans un restaurant.
    Il y a un client qui était assis et dont je ne faisais pas attention. j’avais juste enregistré dans mon cerveau son image.
    Une nuit, je fais un rêve et je vois comme si j’avais une caméra dans la tête son image, il était assis pareil, je l’ai vu de près… est ce un phénomène physique ou psychiatrique ou est ce cela l’image subliminale ?

    2 – Un jour je mets une page du nouvel observateur ou de vsd sur le mur de ma chambre. un portrait de personnalité du monde du cinéma ou du sport. Et alors qu’un jour j’étais en train de regarder le portrait machinalement, en face, je vois une autre image, puis une autre image, une centaine d’images en diaporama se sont mis sur cette image, elles défilaient très rapidement, 1/10ème ou 1/50ème seconde, et les visages étaient toujours les mêmes, très distincts, il ne s’agissait pas d’image construite par le cerveau comme parfois cela peut se produire, mais des images bien claires , il y en a eu une centaine si ma mémoire est bonne. Est ce que cela peut être des images subliminales faites par les trames de l’impression ? Ou est ce que c’est un autre phénomène ? Depuis je me demande si le cerveau peut enregistré à son insu des images que l’oeil capte.

    Je vous remercie pour votre réponse.

    Salutations

    chaudier37

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  11. Vous évoquez « les lois visant à interdire leur utilisation à la télévision » et je souhaiterais savoir de quelles lois il s’agit. Je trouve plusieurs articles qui parlent de telles lois mais ils ne donnent jamais une date, un nom, un numéro. Ce sont des lois subliminales ou quoi ? Le seul article qui cite des textes parle de « règlements » d’autorités de régulation, nord-américaine, canadienne, française, mais à ma connaissance ces autorités de régulation n’ont pas le pouvoir de faire des lois… D’ailleurs, s’il y avait des lois créant un délit d’utilisation de techniques subliminales, ce serait la première fois dans l’histoire que le délit existerait et n’aurait jamais été condamné nulle part. Bien à vous.

    • Pardon, David Louapre, je viens de voir que votre article cite un texte normatif, le décret du 27 mars 1992. J’avais lu votre texte en diagonale et cela m’avait échappé. Vous écrivez : « en 1992, une loi a été votée pour interdire l’usage des images subliminales à des fins publicitaires. » Ce n’est pas à proprement parler une loi mais un texte d’application d’une loi, la loi 86-1067 du 30 septembre 1986. Je viens de faire une recherche sur Légifrance : cette loi ne contient pas le mot « subliminal ». Autrement dit, la question des techniques subliminales a très bien pu ne pas être discutée du tout au Parlement. La loi contient 17 fois le mot « publicité » et je pense que l’interdiction de la publicité subliminale à la télé par le décret de 1992 est une application de l’article 43 de la loi de 1986 : « Toute forme de publicité accessible par un service de communication audiovisuelle doit être clairement identifiée comme telle. Elle doit également permettre d’identifier la personne pour le compte de laquelle elle est réalisée. » Mais c’est tout de même un saut qualitatif important car l’article 43 couvre aussi des pratiques qui sont très éloignées des techniques subliminales au sens strict.

      La seconde chose, c’est qu’il faut bien comprendre que, si le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 à l’article 10 dispose : « La publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales », l’article 1er dispose quant à lui : « Le présent décret est applicable aux éditeurs de services de télévision. » Par conséquent, la loi française n’interdit pas (si c’est là le seul texte normatif qui traite des techniques subliminales) la publicité subliminale sur tout autre support de média : journaux, radio, livres, cinéma, internet…, ni même les techniques subliminales à la télévision pour autre chose que la publicité. Bien à vous.

  12. georges MESURET Reply

    Cela prouve une fois de plus la complicité des médias, dans le milieu politique. Un viol délibéré de la loi (Décret n° 92-280 du 27 mars 1992). Une honte, même avec des preuves, la justice complice, n’a rien dit, n’a rien fait, contre cette élection.

    • Merci pour cette référence à un texte précis. L’article 10 de ce décret dispose : « La publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales. » Il faut cependant préciser que l’article 1er dispose quant à lui : « Le présent décret est applicable aux éditeurs de services de télévision. » Par conséquent, la loi française n’interdit pas (si c’est là le seul texte normatif qui traite des techniques subliminales) la publicité subliminale sur tout autre support de média, journaux, radio, livres, cinéma, internet… Quant au cas particulier que vous évoquez, il est probable que ce décret soit également d’application trop restreinte car puisqu’il est question de publicité (art.10) à la télévision (art.1er), cela vise a priori les spots publicitaires, peut-être aussi la promotion commerciale de produits dans certaines émissions, et pas un générique de journal TV. La justice pouvait considérer manquer de base légale pour prononcer la moindre condamnation.

  13. Chers amis, j’attire votre attention sur la recommandation du CSA du 27 février 2002 : « En application de l’article 10 dudit décret « la publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales » entendues comme visant à atteindre le subconscient du téléspectateur par l’exposition très brève d’images. Or, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a récemment pu relever sur l’antenne d’un service de télévision la présence d’images subliminales, introduites lors des opérations de montage mettant en oeuvre des technologies numériques. La présence de telles images n’est pas conforme aux dispositions précitées. » Texte entier : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000403722&categorieLien=cid

    Le CSA a « relevé » la présence d’images subliminales à la télé française. Il ne nomme ni la chaîne ni le programme mais a adopté une recommandation, qui vaut ce qu’elle vaut, c’est-à-dire rien car qui est au courant ? Si vous avez des informations sur ces images subliminales de 2002, merci d’avance.

      • Le décret de 1992 qui crée le délit de publicité subliminale à la télévision (et je répète que cela ne concerne que la publicité et que la télévision) ne prévoit aucune peine pour ceux qui ne respectent pas l’interdiction. De sorte que le CSA, quand il a constaté que M6 avait enfreint l’interdiction, en 2002, n’a pu qu’adresser une « recommandation » à la chaîne privée, sans valeur contraignante, et sans saisine de la justice. Et depuis lors, plus rien. C’est ce qui s’appelle une parodie de législation et de justice.

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