Sommes-nous seuls dans l’Univers ? C’est pour répondre à cette obsédante question que de nombreux scientifiques ont participé depuis les années 60 au programme SETI : Search for ExtraTerrestrial Intelligence.

Une des principales méthodes d’observation du programme SETI consiste à utiliser un radio-téléscope. Ces télescopes géants (comme celui d’Arecibo en photo ci-dessous) permettent de capter des ondes, mais pas dans le domaine de la lumière visible. Au contraire d’une bonne vieille lunette astronomique, ces télescopes détectent les ondes radios.

La première observation en radio-astronomie du programme SETI fut réalisée en 1960 par l’américain Francis Drake, alors jeune astronome à l’observatoire de Green Bank en Virginie. Pour justifier sa tentative et estimer ses chances de pouvoir détecter une civilisation extra-terrestre, il a proposé un calcul approché, connu maintenant sous le nom d’équation de Drake. Voyons un peu le raisonnement derrière cette équation.

Combien y-a-t-il de civilisations intelligentes dans la galaxie ?

Pour commencer, l’équation de Drake se limite modestement à notre galaxie, la Voie lactée. Il existe quelques centaines de milliards de galaxie dans l’Univers visible, mais nos moyens de détection ne nous permettent de sonder que notre propre galaxie. Il faut donc se demander combien de civilisations intelligentes sont susceptibles d’y exister.

Pour cela on part du nombre d’étoiles dans la galaxie, noté \(N^*\), dont on sait qu’il est environ 200 à 400 milliards (voir mon billet sur le nombre d’étoiles dans l’Univers). Ensuite on le multiplie par le nombre moyen de planètes par étoile, noté \(n_P\). Le résultat \(N^*\ n_P\) représente le nombre total de planètes de la Voie Lactée.

Il faut ensuite multiplier cette quantité par la probabilité que la vie intelligente apparaisse sur une planète. On peut décomposer cette probabilité en deux parties : la probabilité que la vie apparaisse, notée \(p_V\), et la probabilité que la vie, une fois apparue, évolue vers une forme intelligente, notée \(p_I\).

On obtient donc un premier morceau d’équation qui nous donne le nombre de civilisations intelligentes susceptibles d’exister dans la Voie Lactée

\(N^*\ n_P\ p_V\ p_I\)

Quand peut-on capter une civilisation ?

Avec l’équation précédente, on a l’impression que l’on a une réponse à notre question. Mais ça n’est pas encore le cas ! En effet il ne faut pas simplement calculer le nombre de civilisations intelligentes susceptibles d’exister dans la Voie Lactée, il faut tenir compte du fait que pour détecter une civilisation donnée aujourd’hui, il faut aussi tomber au bon moment ! En particulier, il faut exclure de notre calcul toutes les civilisations qui ne sont pas encore au niveau technologique pour émettre de signaux, mais aussi toutes celles qui l’ont été mais se sont éteintes depuis.

Imaginons qu’il y ait une autre civilisation intelligente dans la Voie Lactée. Supposons de manière optimiste que la durée de vie de cette civilisation soit 1 milliards d’années. Si notre galaxie est vieille de 13 milliards d’années, cette civilisation a pu exister presque n’importe quand depuis la naissance de la Voie Lactée. Pour qu’on puisse la détecter, il faut qu’elle soit active en même temps que nous, et pas éteinte il y a quelques milliards d’années ! C’est ce qu’illustre la frise ci-dessous.

Vous pourrez certainement vous convaincre que la probabilité qu’une civilisation dont la durée de vie est \(L\) tombe en même temps que nous est \(L/T_G\), où \(T_G\) représente l’âge de la galaxie. En multipliant notre équation précédente par cette probabilité, on obtient le nombre de civilisations extra-terrestres actuellement détectables dans la voie lactée

\(N^* \ n_P \ p_V \ p_I \ \frac{L}{T_g}\)

Si on y regarde de près, le facteur \(L\) a en fait un sens plus précis : il s’agit non pas réellement de la durée de vie de la civilisation, mais de la durée pendant laquelle elle est à l’état technologique lui permettant d’émettre des signaux dans l’espace.

Alors combien ?

Si ça vous amuse, vous pouvez tester vous même vos paramètres dans l’équation de Drake. Pour ma part je me suis amusé à y mettre les valeurs qui me paraissaient raisonnables. J’ai pris :

  • 200 milliards pour le nombre d’étoiles \(N^*\);
  • 1 pour le nombre moyen de planètes par étoile \(n_P\);
  • 1% pour la probabilité d’apparition de la vie;
  • 1% pour la probabilité d’évolution vers une vie intelligente;
  • 1000 ans pour la durée de vie « à l’état technologique avancé »;
  • 13 milliards d’années pour l’âge de la voie Lactée.

En multipliant tous les facteurs, on trouve une valeur d’environ 1 ! Est-ce à dire que nous sommes seuls ou presque ?

Attention à la manière dont on interprète le résultat de l’équation de Drake ! Son objectif n’est pas du tout de fournir un chiffre précis, mais un ordre de grandeur : c’est-à-dire une estimation qui serait vraie au mieux à un facteur 10 près. L’objectif de Francis Drake était de vérifier que ce chiffre n’était pas extraordinairement petit, car cela aurait montré que le programme SETI était sans espoir. Si les chiffres que j’ai utilisé sont raisonnables, il existerait peut-être quelques civilisations extra-terrestres détectables actuellement dans la Voie Lactée.

D’autres valeurs pour l’équation de Drake

Chacun peut y aller de son calcul dans l’équation de Drake. Certains termes ne font pas trop débat, comme le nombre d’étoiles ou de planètes, mais d’autres sont beaucoup plus incertains ! De manière évidente, les probabilités d’apparition de la vie et de son évolution vers une forme intelligente sont très difficile à estimer. Certains veulent y mettre des valeurs assez élevées, d’autres des valeurs très très faibles. Mais la plus grosse incertitude vient en fait du facteur L, et c’était d’ailleurs ce que Drake avait identifié à l’époque.

Dans mon calcul ci-dessus, j’ai pris une valeur de 1000 ans. C’est assez pessimiste, car ça revient à supposer qu’une civilisation ayant acquis le niveau technologique pour émettre dans l’espace va disparaître en environ 1000 ans. Un optimiste mettrait plutôt une valeur de 1 milliards d’années, en arguant qu’une civilisation suffisamment avancée serait quasi-éternelle, car sa technologie lui permettrait notamment de s’adapter ou de se protéger des évolutions naturelles et autres catastrophes plus ou moins artificielles.

Comme vous le voyez, si vous mettez 1 milliard d’années à la place de 1000 ans dans mon calcul, vous obtenez 1 millions de civilisations actuellement détectables ! Bien sûr, même en admettant qu’il y en ait tant, il faut encore les trouver, c’est-à-dire pointer nos radio-téléscopes dans les bonnes directions, et correctement repérer les signaux « intelligents » au milieu du bruit de fond.

Cependant, comme le soulignait le physicien Enrico Fermi, s’il y a tant de civilisations extra-terrestres, pourquoi ne les a-t-on pas déjà détectées ? Une réponse possible, c’est justement que la valeur de L est assez petite. Si par exemple les civilisations technologiquement avancées ont une tendance systématique à s’autodétruire, le ratio \(L/T_G\) sera très faible. Il aura pu exister des tas de civilisations intelligentes, mais qui seraient toutes mortes depuis longtemps. D’une certaine manière, les civilisations extra-terrestres ne se cachent peut être pas dans l’espace, mais plutôt dans le temps : elles ont existé, mais il y a bien bien longtemps…

Mais soyons optimistes : à l’issue de la présentation où l’équation a été présentée pour la première fois, les participants ont trinqué « To the value of L. May it prove to be a very large number » (*)

Pour aller plus loin…

Si vous observez l’équation de Drake originelle dans l’image d’en-tête, elle est un peu différente de celle que j’ai présentée. D’une part Drake a inclus un facteur supplémentaire, qui est la fraction des formes de vie intelligente qui communiquerait vers l’espace. D’autre part, au lieu d’utiliser le nombre d’étoiles \(N^*\) et l’âge de la galaxie \(T_G\), Drake utilise le facteur \(R^*\) qui est le taux moyen de création d’étoiles dans la Voie Lactée, et qui vaut essentiellement \(N^*/T_G\).

Pour creuser un peu l’équation de Drake, on peut se demander quelle est son utilité. Vu l’incertitude énorme sur les facteurs, son pouvoir prédictif est quasi-nul ! En fait, elle a initialement formulée par Drake comme fil directeur d’un exposé qu’il a réalisé en 1961. L’idée était de « brainstormer » sur les facteurs pouvant influencer le nombre de civilisations extraterrestres. Apparemment lui-même n’avait aucune intention de l’élever au rang de « résultat scientifique » !

Si vous voulez jouer vous même avec l’équation de Drake, allez donc voir cette infographie de la BBC !

(*) Sur l’origine de l’équation, racontée par Drake lui-même, allez donc voir ici, publié 50 ans après le démarrage du programme SETI.

 

17 Comments

  1. Pingback: L’équation de Drake | C@fé des Sciences | Scoop.it

  2. silver account Reply

    Oui, nous resterons dans doute seuls pendant longtemps, du fait de la probabilité d’émergence de la vie et de la synchronisation dans l’espace temps.Le problème le plus critique est celui de l’émergence de la vie. Les biologistes sont très prudent sur ce sujet.A mon avis, la plus incertaine des probabilités est celle de l’apparition de la vie. Je dirais qu’on n’a encore aucune ordre de grandeur sur cette probabilité, qu’elle pourrait être de 10e-1000 aussi bien que proche de 1 pour une planète adaptée.Le deuxième problème est celui de la synchronisation dans l’espace-temps. L’univers, et même la voie lactée sont gigantesques par rapport à la vitesse de la lumière et la durée de vie des civilisations sans doute extrêmement courte.Rappelons quelques données sur la Voie Lactée : âgée de près de 15 milliards d’années, contenant entre 200 et 400 milliards d’étoiles, elle a pour diamètre 100 000 année-lumière et une épaisseur de 700 année-lumière au niveau du soleil, qui lui, est situé à 28 000 année-lumière de son centre.Pour cette discussion, voir : http://seulsdanslecosmos.hautetfort.com/archive/2011/01/16/transformons-l-e… Personnellement, je trouve Drake très optimiste, je ne suis pas le seul, le SETI a été arrêté car la NASA puis les sponsors lui ont coupé les crédits !

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  4. Super article, comme d’habitude ^^
    J’aime bien l’idée de cette équation, même s’il est évident que sortir un résultat est impossible. Tu l’as dis toi même, le terme L est difficilement estimable. Mais je voudrais préciser un autre point faible de cette équation : la probabilité pour que la vie apparaisse sur une planète devrait, à mon sens, être partagé en deux termes : quelle est la probabilité pour qu’une planète soit dans les bonnes conditions pour accueillir la vie (planète tellurique, positionnement par rapport au soleil, présence d’eau, etc.) puis qu’elle est la probabilité pour que la vie se développe sur cette planète.
    Je pense qu’aujourd’hui il y a une énorme différence entre nos critères pour ce qui serait une « planète pouvant abriter la vie » et les réels critères d’apparition de la vie sur une planète. Mais ça c’est une autre histoire ^^

    • Tu as tout à fait raison, et c’est d’ailleurs ce que Drake a fait dans son équation ! C’est moi qui est simplifié pour ne pas qu’il y ait trop de termes 🙂

      Dans l’équation que Drake écrit sur la photo tout en haut du billet, le terme « ne » le nombre de planètes « vivables » par étoile, et le terme « fl » la probabilité de l’apparition de la vie…

  5. Pingback: Les extraterrestres sont parmis nous ! (…c’est l’hypothèse la plus probable) | Science étonnante

  6. Bonne équation seulement il faudrait y inclure un autre facteur tel que le nombre de planètes viables dans notre galaxie ce qui malheureusement donnerait une résultat bien plus faible que celui obtenu par Drake, pour preuve, dans notre système solaire seulement 4 planètes « rocheuses » dont seulement 1 viable. Ce qui n’est pas le cas dans toute notre galaxie. Bien que je paraisse pessimiste je crois toujours en une vie extraterrestre dans ou en dehors de notre belle et douce voie lactée…

  7. Si la durée d’une civilisation émettrice est de 1000 ans (très optimiste, la nôtre semble en voie d’extinction avant la fin de son deuxième siècle), et que l’étoile la plus loin est à 72.000 ans il y a donc un facteur essentiel non pris en compte : la probabilité que cette civilisation soit éteinte quand on reçoit son message, et cette probabilité est énorme !

    Si nous ne pouvons donc pas communiquer avec eux, SETI serait donc une grande perte de temps et de moyens.

    Autre chose 1% pour la probabilité de développer une forme intelligente me semble très pessimiste, la vie s’organise justement vers l’intelligence, qui fait gagner dans la compétition des espèces.
    Perso j’aurais mis 99% ! Bien sûr ça met du temps, et la vie peut disparaître avant d’atteindre ce stade.

    A contrario 1% pour la probabilité d’avoir la vie me parait terriblement optimiste, je suis plus amène à penser comme Lars Von Trier dans Melancholia que la vie n’existe qu’ici, ça parait assez géocentriste hélas.

    La probabilité qu’une planète existe dans la zone habitable (ni trop chaud ni trop froid) est déjà faible (surtout dans votre hypothèse d’une seule planète par étoile, heureusement il y en a plus), mais en plus l’apparition de la vie est tellement compliquée que beaucoup d’experts encore estiment qu’elle vient d’ailleurs (ce qui ne résout rien) !

  8. Pour Gordiano Bruno et Jean-Pierre Petit :(Théologie et vie extraterrestre).

    -« Louange à Allah(Dieu en arabe), Seigneur des mondes. »Saint Coran 1:2

    – « Parmi Ses Preuves(signes) est la création des cieux et de la terre et des êtres vivants qu’Il y a disséminés. Il a en outre le pouvoir de les réunir quand Il voudra. » Saint Coran 42: 29 –

    Le spiritualisme pour chaque Exocivilisation dépend de sa variété : -« N’as-tu pas vu qu’Allah (Dieu en arabe) est glorifié par tous ceux qui sont dans les cieux et la terre; ainsi que par les oiseaux déployant leurs ailes ? Chacun, certes, a appris sa façon de L’adorer et de Le glorifier. Allah sait parfaitement ce qu’ils font. » sait Coran 24:41

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  10. Pingback: Vie extraterrestre : l'équation de Drake est un cul-de-sac - CS #4 - Qualitay.fr

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