Puisque les fêtes approchent, penchons-nous sur un sujet festif : les gâteaux apéritifs ! Parmi ceux-ci, les mélanges de noix présentent un phénomène physique tout à fait intriguant : quand la boite a été bien secouée, les noix les plus grosses se retrouvent toutes à la surface du mélange.
Ce phénomène est appelé « effet Noix du Brésil », du nom des noix les plus grosses de ces mélanges. Et il n’en finit pas d’intriguer les physiciens, qui rivalisent d’explications, de simulations et d’expériences pour en comprendre la nature profonde.
Tout d’abord, observons l’effet
Pour recréer l’effet « Noix du Brésil », vous pouvez bien sûr acheter un paquet de gâteaux apéritifs. Mais pour cette fois, j’ai choisi un cas plus simple : un bocal, de la semoule et une grosse balle en caoutchouc. On place la balle au fond du bocal de semoule, on tape dessus, et…un film vaut mieux qu’un long discours !
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=SKvQzVFg27Q]
Et voilà ! En quelques coups la grosse balle est remontée en surface, exactement comme les noix du Brésil dans les paquets de gâteaux apéritifs.
Dans les milieux constitués de grains (dits milieux granulaires), on observe ce que les physiciens appellent une ségrégation par la taille : les objets les plus gros se retrouvent en surface et les plus petits au fond. Et ce même si la densité des gros objets est plus élevée que celle des petits !
Pour essayer de comprendre l’effet « Noix du Brésil », plusieurs explications sont en concurrence. Voyons ensemble les deux plus connues.
Une première explication possible : l’effet tamis
Pour expliquer la remontée des gros objets dans un milieu granulaire, on peut faire appel à un mécanisme intuitif relativement simple. Quand on secoue le bocal, tous les grains sont soulevés, et les petits peuvent se glisser dans les interstices, pour aller se placer sous les gros grains. L’inverse étant impossible (les gros ne passent sous les petits), au fur et à mesure les gros objets remontent en surface et y demeurent. Le milieu granulaire se comporte donc comme un tamis qui laisse tomber les petites particules, mais pas les grosses.
Ce mécanisme est représenté sur la figure ci-dessous.
Cette explication intuitive paraît assez naturelle; et à la fin des années 80, des simulations informatiques ont pu permettre de vérifier cette hypothèse numériquement. La question semblait presque réglée, mais en 1993 une équipe de l’université de Chicago a proposé une expérience montrant qu’un autre phénomène plus subtil intervenait : la convection granulaire [1].
Une deuxième explication : La convection granulaire
Pour arriver à leur nouvelle explication, les chercheurs de l’équipe de S. Nagel se sont livrés à un travail fastidieux : le suivi précis du déplacement des grains dans un bocal que l’on secoue. Pour cela ils ont marqué les grains avec de l’encre, et les ont suivis dans leurs déplacements au cours de l’expérience (aujourd’hui on le fait par IRM, mais c’était il y a 20 ans…)
Ils ont alors observé dans le bocal un phénomène nouveau : tous les grains sont soumis à un grand mouvement d’ensemble, qui les fait remonter par le centre et descendre par les côtés.
Ce type de déplacement (représenté à gauche sur le schéma ci-contre) est appelé convection granulaire, et rappelle les phénomènes de convection qu’on observe avec les fluides, comme dans l’atmosphère ou dans une casserole : l’air chaud (ou l’eau chaude) monte, se refroidit et descend par les côtés (voir la figure de droite sur le schéma).
Le mouvement de convection granulaire dans le bocal peut alors expliquer l’effet « Noix du Brésil » : les grosses noix sont remontées au centre par le mouvement de convection, mais sont trop grosses pour redescendre par le courant descendant qui s’établit juste au bord des parois.
En réalité, la largeur de la couche de grains qui redescend le long des parois dépend de la forme et de la manière dont on tape. J’ai pu reproduire ce phénomène avec ma semoule et ma balle en caoutchouc. Le film ci-dessous est en fait la fin et la continuation du film précédent. Vous allez voir la balle s’enfoncer au bord, puis réapparaître au centre !
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=idbsiSe6xk0]
Manipuler la convection granulaire
L’effet « Noix du Brésil » a de nombreuses conséquences naturelles (comme le fait bien connu des paysans que les gros cailloux remontent à la surface d’un champ) mais aussi plusieurs applications industrielles : le mélange des noix bien sûr, mais aussi celui des céréales, du béton, etc. Des chercheurs et des industriels se sont donc demandés s’il était possible de le limiter ou de le supprimer.
Eh bien grâce à leur compréhension du phénomène par la convection granulaire, les chercheurs de Chicago ont pu construire des cas permettant de limiter voire carrément d’inverser la convection granulaire.
Par exemple en diminuant les frottements contre les parois, on peut supprimer le phénomène de descente des grains. Le schéma ci-contre montre une expérience qu’ils ont réalisé [1] où la paroi de droite frotte beaucoup plus que la paroi de gauche : les grains descendent uniquement le long de la paroi de droite. Encore plus fort, en modifiant la géométrie du bocal, on peut inverser la convection granulaire : dans un cône renversé les grosses noix coulent au milieu et les petites remontent par les parois !
Encore beaucoup de travail…
Malgré ces découvertes dans des expériences bien contrôlées, il existe encore de très nombreuses zones d’ombre sur les phénomènes réellement en jeu dans l’effet « Noix du Brésil ». En voici une illustration étonnante.
A priori, on peut penser que dans ce phénomène, l’air ne joue aucun rôle. Il est notamment beaucoup moins dense que les grains. Et pourtant, S. Nagel et sa bande (toujours eux) ont montré que sous vide, le phénomène est sensiblement modifié [2].
A pression atmosphérique, ils ont constaté que la vitesse d’ascension des grosses particules dépend de leur densité, avec un maximum quand la densité des grosses est égale à la moitié de celle des petites. Mais sous vide, cette dépendance disparaît ! Donc l’air joue bien un rôle subtil dans la convection granulaire, via les frottements qu’il peut imposer aux grains. L’effet « Noix du Brésil » est encore loin d’avoir livré tous ses mystères !
[1] S. Nagel et al., « Vibration-indiced size separation in granular media : the convection connexion », Physical Review Letters, Vol. 70, N. 24 (1993) p3728.
[2] Matthias E. Möbius et al., “The Effect of Air on Granular Size Separation in a Vibrated Granular Bed”, Phys. Rev. E 72, 011304, (2005) / cond-mat/0502622.
Pour aller plus loin : quelques considérations thermodynamiques
Le phénomène de ségrégation par la taille dans les milieux granulaires est assez intriguant. Dans un fluide normal, le fait de secouer provoque un mélange et une homogénéisation, donc une augmentation de l’entropie. Dans les milieux granulaires, c’est l’inverse. Puisqu’en secouant on sépare les grains par taille, on fait diminuer l’entropie !
Pour résoudre ce paradoxe, il faut réaliser que dans un système comme celui-ci, on est très très loin des conditions de l’équilibre thermodynamique. Pour s’en convaincre, on peut comparer les ordres de grandeur des énergies mises en jeu.
Dans un gaz classique, le produit kT de la constante de Boltzmann par la température donne l’ordre de grandeur de l’énergie d’une particule du gaz. Dans le milieu granulaire, c’est très différent. Si on regarde la variation de l’énergie potentielle de gravité d’un grain qui tombe sur une hauteur égale à sa taille, on obtient mgd, où m est sa masse, g l’accélération de la gravité et d son diamètre.
Pour un grain de semoule, on trouve environ 10^-8 joules. Mais à température ambiante, kT = 4.10^-21 joules ! Donc l’énergie du grain est beaucoup beaucoup plus élevée que l’énergie thermique, ce qui nous permet de comprendre qu’on puisse se situer si loin de l’équilibre thermodynamique.
13 Comments
C’est drôle, à 7 ans environ j’avais demandé à ma mère pourquoi les gros grains se retrouvaient en haut, et les petits en bas. Elle m’avait expliqué l’effet tamis (sans me donner le nom). Toute ma vie je me suis fiée à cette explication toute simple, alors que c’est en fait plus compliqué, lol.
Très intéressant !
Je me pose des questions sur la comparaison à la fin avec kT:
On compare l’ordre de grandeur des énergies potentielles mises en jeux avec celui de kT en thermodynamique car la température est lié à l’agitation microscopique (thermique) du système. Ici l’agitation des particules du système n’est pas d’origine thermique mais purement mécanique: on agite la boite de gâteaux apéritif !
Du coup l’énergie cinétique des grains lors de la ségrégation n’a rien à voir avec kT.
Ce que tu démontres c’est que laissé a eux même à température ambiante les grains dans le paquets ne se ségrèguent pas tous seuls: ça on est d’accord !
Euh je suis d’accord, sauf avec ta dernière phrase : ce que je démontre c’est que laissés à température ambiante, les grains ne peuvent pas juste « par l’entropie » vaincre la ségrégation et retourner dans leur état mélangé.
On est d’accord !
Étonnant, en effet =) !
Un point cependant me turlupine (ou alors j’ai mal lu, ou mal interprété l’opposition « première »/« deuxième ») : la convection granulaire, titrée « une deuxième explication » (« seconde » eut été mieux :p) invalide-t-elle la « première » explication, celle de l’effet tamis ?
Je ne le pense pas, dans la mesure où j’ai du mal à me représenter comment la convection granulaire peut jouer dans le cas des grosses pierres remontant dans les champs, les « parois » étant, comparativement à la taille des pierres, extrêmement éloignées.
Ah et sinon, outre les différents cas cités, on peut aussi mentionner un cas qui rappellera je l’espère des souvenirs à beaucoup, celui que j’avais observé à l’école primaire avec mon pot de billes et de boulards ^^ (à l’époque, j’avais trouvé tout seul l’effet tamis, mais pas l’effet de convection alors même qu’il devait être important, vu le rapport entre le diamètre du pot et celui des « grains » ainsi que la « rugosité » des parois (une boîte à Benco, avec donc les fameuses « rainures » horizontales)).
Tu as bien raison, les deux explications sont a priori à l’oeuvre suivant les situations, et il peut y avoir d’autres mécanismes j’imagine (donc « seconde » est en effet plus correct).
Il est clair que le rôle d’un mécanisme ou d’un autre dépend de la géométrie, de la manière dont on secoue, etc. Dans les papiers publiés, ce sont des expériences super contrôlées, avec des chocs d’amplitude et de fréquence bien définis, etc.
Je ne te cache pas qu’avec mon pot de semoule et mes chocs pas contrôlés, je ne pensais pas que je mettrai en évidence la convection, et j’ai été fort surpris de voir ma balle disparaître et remonter (cf ma deuxième vidéo.)
On dirait qu’on a tous observé cet effet dès notre plus jeune âge! Pour ma part c’était avec une boîte de Benco…
Je ne savais pas du tout que les explications pouvaient etre si diverses et surtout pas tranchées…
Un petit bémol subtile sur l’entropie : la ségrégation diminue l’entropie des grosses particules mais celle des petites peut augmenter si le volume « libéré » (accéssible) est plus grand. Cet effet est à l’origine de phénomène d’agglomération de billes micrometriques en présence de polymères en solution (qui forment des toute petites pelotes). Cela signifie que si l’on rapproche beaucoup deux grosses particules il devrait y avoir une petite force d’attraction entre elles
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