C’est bien connu, l’eau gèle à 0°C. Ce sont les lois de la thermodynamique qui nous le disent. Et la thermodynamique, c’est une science sérieuse !
Et pourtant dans certains cas, la nature a des réticences à suivre les lois de la thermodynamique : avec quelques précautions, il est ainsi possible de refroidir de l’eau à des températures inférieures à 0°C, sans qu’elle gèle !
Surfusion et solidification
Pour réaliser cet exploit, il faut refroidir l’eau très précautionneusement, par exemple dans un extérieur calme ou un congélateur bien isolé des vibrations. Si vous avez de la chance et du doigté, vous pourrez obtenir de l’eau liquide à -15°C ! C’est ce qu’on appelle l’état de surfusion.
L’explication réside dans le fait que même en dessous de 0°C, la réaction de congélation de l’eau ne se déclenche pas spontanément : elle a besoin d’une perturbation pour démarrer. Cette perturbation peut être une vibration, une impureté, un choc, etc.
En revanche, comme nous allons le voir, dès que la solidification a pu démarrer quelque part dans le liquide, elle se comporte comme une réaction en chaîne et se propage rapidement dans tout le volume d’eau disponible.
Rien ne vaut une belle vidéo pour illustrer ça. Youtube en regorge alors ne nous privons pas. Sur celle-ci l’expérimentateur (qui a oublié sa blouse blanche) possède une bouteille d’eau liquide qui a été refroidie en dessous de 0°C.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=wzHXiGdMvkU]
Comme vous avez pu le voir, ça n’est que quand l’eau de la bouteille touche les glaçons qu’elle se solidifie. La solidification n’est pas instantanée, mais elle est assez rapide ! Les glaçons du verre jouent ici le rôle d’amorceur de la réaction en chaîne. Mais en secouant la bouteille ou en la tapant contre la table, on aurait obtenu le même phénomène.
Stabilité et métastabilité
Pour expliquer ce comportement bizarre, il faut savoir que quand on affirme que l’eau est solide en dessous de 0°C, on ne décrit pas vraiment l’état dans lequel se trouve l’eau, mais l’état dans lequel elle devrait se trouver. Encore faut-il que le processus de transition vers cet état puisse se dérouler ! Et comme nous l’avons vu, pour se dérouler il lui faut commencer avec une petite perturbation.
Pour comprendre cette situation, prenons une analogie mécanique. Si vous placez une boule sur la pente d’une vallée, elle sera dans une position instable et elle va descendre dans le creux de la vallée, qui est sa position stable.
Mais si la pente est rugueuse ou avec un creux intermédiaire, il se peut que notre boule reste coincée ailleurs que dans le fond. On parle alors de position métastable. Il faudra à notre boule une petite perturbation pour se sortir de cette position et rejoindre le fond de la vallée.
L’eau se comporte de manière analogue. Au-dessus de 0°C, l’état liquide est stable et si je perturbe mon eau, rien ne se produit. Quand je la refroidis en dessous de 0°C, l’eau surfondue devient métastable : elle peut demeurer ainsi quelques temps (comme la boule dans le creux intermédiaire), mais dès qu’une perturbation suffisante est appliquée, l’eau est ramenée dans son état stable : la glace.
Différents types de perturbations
Plusieurs types de perturbations peuvent être utilisées pour faire démarrer la solidification de l’eau surfondue. Le contact avec un glaçon représente la perturbation idéale, car il constitue alors une amorce de la réaction en chaîne, en formant un germe autour duquel la solidification peut se produire.
Un cas très spectaculaire est illustré dans la vidéo ci-dessous : l’eau se solidifie dès qu’elle touche la glace dans le bol.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=fSPzMva9_CE]
La perturbation la plus courante est la vibration. Comme votre congélateur vibre un peu, c’est cela qui fait que vous ne récupérez jamais de l’eau surfondue dans votre bac à glaçons. Le choc est également un bon déclencheur. C’est lui qui est à l’origine de certaines pluies verglaçantes, quand des gouttes d’eau de pluie surfondue impactent le sol et se solidifient.
Le déclenchement par choc est également un des principes des chaufferettes à main. Elles contiennent un liquide surfondu (de l’acétate de sodium) qui se met à cristalliser en cas de choc. La réaction de cristallisation est exothermique, ce qui réchauffe nos mains !
Enfin autre perturbation utilisable : la détente d’un gaz dissous dans le liquide. En d’autres termes : prenez une bière, mettez là au congélateur quelques heures (attention, sans vibrations !) et ouvrez la délicatement. A l’ouverture, le CO2 dissous dans la bière se met à dégazer, et cela déclenche la solidification de votre bière en surfusion. Supercool en soirée !
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=n_H5ZIoZSBo]
Pour les furieux : le petit creux qui fait que l’état liquide est métastable signifie qu’il y a une barrière énergétique à passer pour rejoindre l’état solide. Cette barrière est due au fait que la nucléation d’une phase solide dans la phase liquide est coûteuse en terme d’énergie de surface de l’interface solide-liquide. Mais dès qu’un noyau assez grand a pu se former, ce coût de surface devient faible devant le gain en volume dû à l’énergie de fusion : la réaction en chaîne démarre. Mais le phénomène est encore mal compris, et il y a de récentes recherches sympathiques sur le sujet.
24 Comments
Je pense que les deux vidéos que tu montres dans ton article sont en fait des cas de surfusion avec l’acétate de sodium:
http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.php?post/2009/10/09/Have-Fun-with-Sodium-Acetate
Oui j’ai vu que les commentaires de YouTube débattent à ce sujet…Le doute subsiste mais dans le cas de la première ça m’a l’air ‘assez’ vrai, il y a les glaçons dans le verre notamment, l’environnement, etc. Pour la seconde c’est plus douteux mais comme le même auteur a posté plusieurs autres vidéos convaincantes (notamment de surfusion), je suis plutôt enclin à le croire !
En tout cas je ne connaissais pas ton article, il y a dedans quelques joli vidéos aussi ! (quand bien même ça n’est ‘que’ de l’acétate de sodium, ça reste de la surfusion quand même !)
C’est marrant parce que juste après avoir posté mon commentaire, j’ai re regardé la seconde vidéo (et la chaine youtube de son auteur) pour arriver aux mêmes conclusions que toi et qu’il semble que ce soit plausible. J’ai réagit rapidement en regardant la première vidéo et en me souvenant que je l’avais trouvé sur un forum où ils discutaient de la possibilité qu’il s’agisse d’un faux réalisé avec de l’acétate de sodium. Je pense que le mieux, c’est de tenter l’expérience pour trancher (j’ai déjà fait mumuse avec l’acétate de sodium et c’est vraiment assez délire!).
Il se passe le même phénomène pour l’ébullition, si l’eau est chauffé au dessus de son point d’ébullition sans trop de perturbation, elle restera liquide (ce qui est possible avec un micro-onde).
J’ai constaté ce phénomène dans des micro-ondes sans plateau tournant (je suppose que les vibrations du plateau tournant suffiraient pour déclencher l’ébullition). L’eau se met à bouillir quand on la déplace.
Existe-t-il un moyen pas trop compliqué pour supprimer ces fameuses vibration du congélateur? Est-ce que par exemple, suspendre la bouteille de bière à un ou plusieurs fils ( élastique éventuellement, mais ça perd son élasticité au froid je crois?) pour amortir ces vibrations est un solution fonctionnelle?
D’après les élèves qui ont présenté des manips de surfusion aux Olympiades de la physique une bonne solution est de caler le récipient dans de la mousse.
Ils avaient essayé la solution du fil et ça n’avait pas marché.
Pour la petite histoire ils ont aussi fait du Beaujolais surfondu.
J’ai déjà vu ce genre de chose dans un bar en Espagne, ils avaient réglé le frigo trop froid, et en ouvrant une bouteille d’eau minérale, hop : un bloc de glace. Je dirais que la propagation va sensiblement plus vite que ce qu’on voit sur ces vidéos, qui rappelle en effet le comportement des chaufferettes à l’acétate de sodium.
Toujours dans ce groupe des Olympiades, ils avaient mesuré la vitesse de propagation du front de cristallisation. Ils trouvaient des valeurs de l’ordre du centimètre par seconde, mais avec un certain manque de reproductibilité si je me souviens bien.
D’accord! Merci beaucoup pour ces informations 🙂
Il ne me reste plus qu’à trouver un gros bout de mousse ^^
Joli article !
Je fais une référence à Jamy d’Incroyables expériences qui nous dit qu’avec des bouteilles d’eau minérale non ouvertes, ça marche super bien !
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bonjour, parfait ce blog.
Concernant les chaufferettes a l’acétate, j’ai passé beaucoup de temps gamin à les tripoter et il m’avait semblé remarquer que le déclencheur sensé amorcer la réaction en provoquant une onde de choque au seins du liquide la produisait même si on limitait son claquement. J’ai depuis lu un article quelque part (surement dans « pour la science ») qui expliquait qu’en fait de choc la petite pastille métallique déclenchait la réaction en mettant en contact l’acétate liquide en contact avec un « germe » microscopique d’acétate cristallisée coincé dans les micro-failles du métal..
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Bonjour, vous dites que pour de l’eau, nous avons une réaction en chaîne et qui donc se propage dans tout le volume.
J’aimerais donc savoir si c’est également vrai dans le cas d’une solution d’acétate de sodium sursaturée dans l’eau (solution utilisée dans les fameuses chaufferettes.
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Bonjour,
J’ai une question concernant cette expérience, je précise que je n’ai aucune connaissance en chimie.
Je fais des études de design industriel et pour un projet j’ai besoin de trouver une réaction chimique, de ce type la, produisant de la chaleur.
Dans l’idéal il faut qu’elle soit réversible mais je voudrait atteindre une température entre 60 et 80 degrés.
Savez-vous s’il est possible d’obtenir des températures plus élevées ?
Merci d’avance de votre aide
Manon
Salut,
Merci pour l’article : le sujet est bien vulgarisé !
Il y a une barrière énergétique entre le liquide et le solide … y en a-t-il une entre le liquide et le gaz ?
Si oui, en imaginant une absence de vibration (apport d’énergie), pourrait-on faire passer une masse d’eau liquide
sous forme gazeuse en un temps extrêmement faible ?
Ce serait un beau tour de magie !
Merci encore !
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Bonjour
Vous montrez 2 dessins pour illustrer la difference entre stablité et métastabilité mais les dessins montrent la difference entre INStabilité et metastabilité.