Cette semaine vont avoir lieu les élections européennes. De jeudi à dimanche, les électeurs des différents pays membres de l’Union vont devoir se prononcer pour leurs candidats préférés.
Comme pour toute élection, ne doutons pas que cela va causer politique dans les chaumières, et débattre ferme dans les dîners en famille ou entre amis.
Mais au fait, êtes-vous vraiment sûrs que vous avez vraiment choisi vos opinions politiques ? Car en plus de l’influence avérée de notre environnement familial, depuis quelques années on soupçonne de plus en plus que nos opinions politiques puissent aussi dépendre de notre héritage génétique.
Les opinions politiques : innées ou acquises ?
Beaucoup de gens ont des opinions politiques bien arrêtées, et en sont fiers. C’est probablement car nous pensons que nos opinions sont le résultat de l’exercice de notre raison. Et pourtant il est bien connu qu’elles sont terriblement dépendantes de notre environnement, notamment familial.
Alors à n’en pas douter, l’idée que nos opinions politiques puissent aussi être génétiquement influencées va en faire hurler plus d’un. Et pourtant cela n’a rien d’a priori absurde ou impossible. Il est déjà connu que certains troubles de la personnalité peuvent avoir une composante génétique, et nous savons également que les niveaux de certaines hormones exercent une influence sur notre comportement. Alors pourquoi pas les opinions politiques ?
Évidemment, mettre en évidence cette influence n’est pas chose aisée, car il faut la démêler de l’influence de la famille. Si les enfants votent comme les parents, est-ce la génétique ou l’éducation ? Pour tenter de répondre à cette question, il existe une méthode : étudier les jumeaux !
Les études sur les jumeaux
En principe, pour séparer l’influence de la génétique de celle de l’environnement familial, la méthode reine est celle qui utilise des jumeaux séparés à la naissance, et ayant été élevés dans des familles différentes. Malheureusement, cette méthode est très difficile à appliquer – les jumeaux séparés, ça ne court pas les rues – et souvent pleine de biais.
Pour pallier à cela, une autre technique consiste à comparer les « vrais » et les « faux » jumeaux. Petit rappel : les vrais jumeaux sont issus du même oeuf qui s’est divisé, et leur patrimoine génétique est donc absolument identique. Les faux jumeaux sont nés de deux oeufs différents, et sont donc simplement des frères ou des soeurs ayant le même âge. En moyenne, les faux jumeaux n’ont que 50% de patrimoine génétique en commun, tout en ayant un environnement familial exactement identique.
Pour séparer l’influence de l’environnement de celle de la génétique sur un trait donné, on compare les similitudes de choix chez les vrais jumeaux d’un côté, et chez les faux jumeaux de l’autre.
Prenons un exemple fictif : imaginons que l’on s’intéresse à la taille des pieds et que l’on constate que la taille des pieds d’un vrai jumeau est parfaitement corrélée à celle de son frère (coefficient de corrélation très élevé). Pour savoir si c’est à cause de la génétique ou de l’éducation, on regarde la même corrélation chez les faux jumeaux. Si cette corrélation est plus faible, on peut conclure à une influence génétique (car les faux jumeaux n’ont que 50% de gènes en commun), si elle est également très élevée, on peut conclure à une influence de l’environnement. Notez que si on avait trouvé que – chez les vrais comme chez les faux jumeaux – la corrélation était faible, on aurait pu conclure que ni la génétique, ni l’environnement familial n’influait sur ce trait.
Les résultats de l’étude
Dans une étude menée à l’aide de données sur des vrais et faux jumeaux [1], des chercheurs ont regardé les réponses données au test dit Wilson-Patterson. Dans ce test, on soumet les individus à un terme comme par exemple « Socialisme » ou « Peine de mort », et les individus doivent répondre par « D’accord », « Pas d’accord » ou « Incertain ».
Pour chaque terme, en comparant vrais et faux jumeaux ont peu quantifier l’influence de la génétique et celle de l’environnement familial. Le graphique ci-dessous présente les résultats pour quelques mots-clés choisis (voir [1] pour les données complètes). J’ai représenté pour chacun la contribution de l’influence de la génétique, de l’environnement familial, et du « reste ».
On constate deux choses intéressantes : d’une part, la génétique a une influence non-négligeable dans tous les cas, autour de 30%; d’autre part la répartition entre influence familiale et « le reste » est assez variable suivant le thème considéré.
Il est intéressant de s’attarder sur ce que j’ai appelé « le reste ». Il s’agit par définition de tout ce qui contribue à former une opinion au-delà de l’influence génétique et de l’éducation familiale. On peut y mettre là-dedans le libre-arbitre, mais aussi l’influence de l’environnement à l’âge adulte : les gens, les évènements, les lectures et autres rencontres.
Un point intéressant mentionné dans l’article [1] : si on quantifie ces différentes influences pour « l’identification à un parti politique », on trouve que l’influence génétique est beaucoup plus faible (autour de 14%), mais l’influence familiale très élevée (41%). Cela peut paraître contradictoire, mais ça n’est pas forcément si illogique : l’identification à un parti peut relever essentiellement d’un processus de reproduction sociale, alors que les opinions au niveau plus « fondamental » sont soumises à un plus large champ d’influences, qui peut inclure une composante génétique.
Les mécanismes de l’influence génétique
Disons le clairement, bien qu’ils aient été reproduits avec différentes cohortes de jumeaux dans différents pays, les résultats comme celui-ci ne font pas l’unanimité ! (Voir [2] pour une critique en règle). Il faut dire qu’ils sont parfois présentés de manière exagérée, comme si tout se résumait à un gène du socialisme ou du conservatisme.
Il y a généralement deux conceptions erronées. D’une part on parle bien d’influence génétique, pas de détermination totale : le libre-arbitre existe et l’influence de l’environnement est déterminante. D’autre part il n’est jamais question d’un seul gène, mais probablement d’une multitude de gènes pouvant créer un terrain génétique favorable dans un sens ou dans l’autre (de même qu’il n’existe pas un gène unique gouvernant votre taille !).
Certains travaux ont quand même essayé de relier la tendance à participer aux élections à des gènes précis, comme ceux contrôlant la sérotonine [3], un neurotransmetteur dont on connait le rôle sur certains traits de personnalité. Mais ces études sont assez critiquées : le fait qu’elles soient publiés dans des revues de sciences politiques n’aide pas, car on peut supposer que le processus de relecture n’accorde pas assez d’importance à la qualité scientifique de l’aspect génétique.
Au delà de la question des gènes impliqués, il est également connu que pour beaucoup de traits, il existe un couplage entre génétique et environnement : l’influence de nos gènes pourrait ne pas être directe, mais s’exprimer en nous rendant plus ou mois sensibles à l’environnement (familial et ultérieur).
Alors, vos opinions politiques influencées par vos gènes, vous trouvez peut-être cela inquiétant; moi je trouve ça plutôt réjouissant au final ! En effet, cela veut dire que nos opinions ne sont pas le pur produit de notre raison, et qu’on devrait donc pouvoir dépassionner un peu les débats, et arriver à parler politique avec sa famille ou ses voisins, sans forcément en venir aux mains ou considérer l’autre comme un idiot ou un imbécile !
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Pour aller plus loin
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur le calcul détaillé des influences, voici comment on procède. Pour une question donnée (par exemple « La peine de mort »), on calcule le coefficient de corrélation entre les réponses des paires de vrais jumeaux, notons le VJ. Puis on calcule le même coefficient de corrélation dans les réponses des faux jumeaux, notons le FJ. Si il n’y a pas d’influence de la génétique, on s’attend à avoir FJ=VJ, inversement pour une influence purement génétique, on s’attend à VJ=1 et FJ=0.5 (puisque les faux jumeaux ont en moyenne 50% de gènes en commun).
Donc on peut quantifier l’influence de la génétique par ce qu’on appelle l’héritabilité, égale à 2*(VJ-FJ). L’influence « du reste » est simplement 1-VJ, puisque on s’attend à un coefficient de corrélation nul entre vrais jumeaux si ni la génétique ni l’éducation familiale n’influent. Par déduction pour que la somme fasse 1, l’influence familiale est égale à 2*FJ-VJ. Voir [1] pour plus de détails.
Références
[1] Alford, John R., Carolyn L. Funk, and John R. Hibbing. « Are political orientations genetically transmitted?. » American Political Science Review 99.02 (2005): 153-167.
[2] Charney, Evan. « Genes and ideologies. » Perspectives on Politics 6.02 (2008): 299-319.
[3] Fowler, James H., and Christopher T. Dawes. « Two genes predict voter turnout. » The Journal of Politics 70.03 (2008): 579-594.
Crédits
- Bulletins de vote, Wikimédia Commons
- Graphique : Science étonnante, à partir des données de [1]
Comments
Le plus impressionnant est que les différences d’orientation politique sont liées à des différences de perception, y compris à des niveaux aussi fondamentaux que l’odorat. Nous ne percevons pas le monde de la même manière, c’est-à-dire que nous vivons dans des mondes différents (Umwelt).
J’en avais fait une synthèse ici : http://neuromonaco.com/93
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Il y a un facteur d’influence dont tu ne parles pas: c’est l’âge (probablement classé dans « reste »). Il suffit de regarder la différence entre vote des retraités et des jeunes pour mesurer à quel point vieillir rend conservateur et méfiant vis-à-vis de tout « ce qui n’est pas comme avant ». Ca ne m’étonnerait pas que ce facteur ait plus d’influence que tout le reste, environnement et variété génétique confondus.
Encore un bon article où tu présentes toi même les limites de l’étude que tu présentes. Honnêtement, je ne suis absolument pas convaincu par ce genre d’étude qui réduisent le concept d’hérédité à bien peu de chose. Le public néophyte comprend et interprète souvent mal le concept de « c’est dans nos gènes ». Il ne faut pas oublier que ce qui est héréditaire, c’est ce qui provient de nos parents. Notre langue maternelle est un caractère héréditaire, et non pas seulement génétique. Premier point. Et c’est une différence soulignée par le facteur génétique (en rouge) du facteur familial (en bleu). Second point, c’est la méthode de séparation de ces deux facteurs que je trouve un peu limite et réductrice. Mais tu en parles toi même. N’oublions pas aussi les variables cachées. Comment savoir s’il n’y a pas un facteur caché derrière le caractère « opinion politique ». Et d’ailleurs c’est surement là la véritable critique. « Opinion politique » est-il un caractère ? Peut-il être considéré comme tel ? « Notre faculté à taper à la machine est-il génétique ? », « Notre amour des plantes est-il génétique ? » on n’en finit pas de chercher à connaître le rôle des gènes dans notre libre arbitre alors que leur rôle primordial reste avant tout physiologique et biologique. Le reste n’est qu’une interprétation du message génétique en rapport à l’environnement.
J’ajouterai un exemple des « variables cachées ». Le test présent est incapable de différencier le caractère « opinion politique » du caractère « très influençable par sa famille et/ou environnement ». Les VJ étant dans le même environnement familial, seront tous les deux très influençable et auront la même opinion. Les FJ, n’étant pas forcément tous les deux influençables, ils pourront avoir des opinions divergentes. Or ce n’est pas l’opinion qui est en jeu, mais la capacité à être influencé. Etudier des VJ séparé à la naissance éliminerai le cas de cet exemple, mais les « caractères cachés » sont là, c’est indéniable.
Et poser ce type de question « réductrice » est-il inscrit dans les gènes 🙂 🙂
« …le Libre-Arbitre existe… »….Ah bon?: 😉
Un excellen billet comme d’habitude. En revanche le verbe pallier est transitif donc il faut dire « pour pallier cela ».
J’allais faire la remarque… 😉
Vous affirmez : « En moyenne, les faux jumeaux n’ont que 50% de patrimoine génétique en commun, tout en ayant un environnement familial exactement identique. »
Le biais est grossier : 2 enfants clônes, jumeaux, ou pas, n’ont absolument jamais un environnement familial exactement identique.
En effet, la réalité physique du corps fait que très vite il y a corporellement, et dès lors psychologiquement, un 1er et un 2ème dans toutes sortes de situations (têter, aller au toilettes, avoir la faveur du câlin d’un chat, se prendre une gamelle, répondre à une question, que sais-je) et que l’histoire de chacun, ses problèmes, désirs, besoins, et les réponses qu’il va y trouver constituent des séquences émotionnelles différentent qui peuvent aboutir à des places, des rôles, des scénarios dans la famille, jusqu’à des personnalités différentes modelant également des différences de physionomie.
Cordialement, Emmmanuel
Influence du gène ou de la famille, j’en était arrivé aux mêmes constatations, à savoir que nos opinions politiques ne dépendaient que très peu de notre raisonnement, mais surtout de notre héritage. Mais j’en suis arrivé à une conclusion différente : « il ne FAUT PAS discuter de politique, parce que la plupart des gens ont des croyances qu’ils imaginent liées à leur libre arbitre alors qu’en fait nous sommes prédéterminés à voter pour tel ou tel parti ».
Différence de caractère 😉
Il est vrai que dès la naissance nous sommes conditionnés pour adhérer à telle ou telle idéologie politique. Cependant j’avoue être assez surpris des nombres fourni dans l’article, la partie génétique est quand même énorme je trouve ! Comme quoi, sujet assez philosophique, nous n’avons pas entièrement le choix dans ces domaines là.