La sélection sexuelle, c’est l’idée que la nature favorise ceux qui se reproduisent le plus, et le mieux. Il s’agit d’un des mécanismes de la sélection naturelle, qui explique certaines évolutions des espèces, comme le fait que les mâles et les femelles ont des apparences physiques différentes chez de nombreux animaux.
Nous allons voir que la sélection sexuelle pousse aussi parfois à certains excès, et pose quelques paradoxes : si ce sont les plus forts et les plus beaux qui réussissent le mieux, pourquoi les mâles ne sont-ils pas tous des Apollons super-balèzes ?
La sélection sexuelle
Rappelons pour commencer l’idée générale de la sélection naturelle : si certains individus d’une espèce possèdent une caractéristique qui leur donne un avantage, au fur et à mesure des générations cette caractéristique va se répandre dans la population. Mais dans cette phrase, qu’est-ce qu’on entend exactement par « un avantage » ?
Intuitivement comme « avantage », on pense à de meilleures capacités de survie; par exemple la résistance à une maladie, ou un trait qui améliore la capacité à chasser. Mais il existe d’autres capacités qui se trouve amplifiées par la sélection naturelle : celles de se reproduire efficacement.
La sélection sexuelle, c’est l’idée que les individus les plus efficaces pour se reproduire vont transmettre plus facilement leurs gènes. Comme l’avait déjà noté Darwin en 1859, il s’agit bien d’une composante de la sélection naturelle, mais dans laquelle le moteur est une compétition pour la reproduction plutôt que pour la survie.
Chez les animaux qui pratiquent la reproduction sexuée, cette compétition passe par une étape essentielle : il faut s’assurer des partenaires ! Et nous allons voir que le problème n’est pas le même suivant que vous êtes un mâle ou une femelle.
Deux stratégies différentes
Pour les mâles, le problème de se reproduire efficacement est assez simple : comme ce ne sont souvent pas eux qui portent les bébés et qui les élèvent, leur principal objectif est de féconder un maximum de femelles.
Pour les femelles, c’est plus compliqué : elles n’ont qu’un nombre limité d’œufs à féconder, et multiplier les copulations ne leur apporte pas grand chose. Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est être exigeantes sur la qualité du mâle. Elles vont donc chercher à choisir les meilleurs mâles pour s’assurer une descendance pleine de succès. Dans le monde animal, c’est ainsi souvent le mâle qui propose, et la femelle qui choisit !
Du fait de ces deux stratégies différentes pour les mâles et les femelles, on voit naître deux types de compétitions entre les mâles :
* Une compétition directe et physique pour l’accès aux femelles;
* Une compétition indirecte pour séduire les femelles et se faire choisir.
A cause de la sélection naturelle, ceux qui réussissent le mieux à ce petit jeu vont propager leurs gènes et leurs caractères à leur descendance. L’évolution va donc se faire dans le sens de mâles de plus en plus balèzes et séduisants. Et c’est ce qui explique nombre de leurs traits physiques.
Le dimorphisme sexuel
Non, le dimorphisme sexuel ça n’est pas « avoir un sexe difforme« , mais c’est le fait que chez de nombreuses espèces, le mâle et la femelle ne se ressemblent pas, voire pas du tout ! Et puisqu’il y a deux types de compétition sexuelle, on distingue deux types de caractères physiques favorisés chez les mâles par la sélection sexuelle : les armes et les ornements.
Les armes, ce sont tous les traits qui aident les mâles dans leur combat physique les uns contre les autres. On peut mentionner bien sûr les bois des cerfs, mais aussi toutes les cornes comme celle du narval (ce poisson cétacé bien connu des amateurs du « petit bac » et que l’on voit ci-contre en train de se battre.)
De manière assez basique, chez presque toutes les espèces, la compétition entre mâles les pousse aussi à être de plus en plus gros au fur et à mesure des générations.
Plus subtil, les ornements sont tous les caractères qui vont aider les mâles à séduire les femelles et les convaincre de faire crac-boum-hue. L’exemple le plus spectaculaire, c’est bien sûr le paon, dont la queue énorme et colorée lui permet de faire une roue qui apparemment impressionne Madame. La sélection sexuelle explique de manière analogue que chez la plupart des oiseaux, le mâle est plus beau et plus coloré que la femelle. (Messieurs, n’en tirez pas trop de fierté, rappelez-vous que la raison à cela, c’est que c’est la femelle qui a le pouvoir de choisir au final !)
Mais les ornements ne sont pas que physiques : ils peuvent être aussi comportementaux. Ainsi l’apparition des chants ou des danses pour faire la cour s’expliquent par la sélection sexuelle, tout comme cette habitude qu’ont certains oiseaux de préparer des nids sophistiqués et de les faire inspecter par madame pour achever de la convaincre de passer à la casserole.
L’ensemble de ces traits (armes et ornements) s’appellent les caractères sexuels secondaires. On réserve le terme de « primaires » aux caractéristiques qui sont indispensables à la reproduction (les organes génitaux en gros), et « secondaires » pour tous ceux qui sont superflus, mais qui donnent à leurs porteurs un avantage dans le grand jeu de la compétition sexuelle (exercice : déshabillez-vous devant une glace pour trouver les vôtres).
Les excès de la sélection sexuelle
Ainsi la sélection sexuelle pousse les mâles à être de plus en plus beaux et forts. Mais dans cette course à celui qui a la plus grosse et la plus belle, il y a quand même des limites : parfois les caractères sexuels secondaires deviennent ridicules voire contre-productifs !
Ainsi l’énorme queue du paon est superbe, mais elle l’handicape pour voler : pas facile pour échapper aux prédateurs !
Dans un autre genre, on pense que les Megaloceros, des sortes de cerfs géants aujourd’hui disparus, n’ont pas du être beaucoup aidés dans leur survie par leurs cornes devenues absolument gigantesques (voir un fossile ci-contre).
Les effets de la sélection sexuelle à outrance peuvent aussi se voir dans les différences de tailles entre mâles et femelles chez certaines espèces. Puisque les mâles les plus gros arrivent à battre leurs rivaux, ce sont eux qui sont favorisés par l’évolution. Ainsi l’éléphant de mer mâle peut atteindre 4 tonnes, contre seulement 900 kilos pour la femelle !
Dans l’image ci-contre, la femelle est la petite chose en dessous de la grosse bête.
La guerre des sexes
Un autre excès de la sélection sexuelle, c’est la compétition que se livrent mâles et femelles pour pouvoir maximiser leur stratégie : les mâles voudraient pouvoir s’assurer l’exclusivité d’un maximum de femelles, mais les femelles aimeraient pouvoir choisir au mieux leur mâle. Il en résulte une véritable course aux armements.
Chez certaines espèces d’insectes, les mâles ont ainsi développé des moyens de condamner l’accès à la femelle, afin d’empêcher qu’un autre mâle vienne la féconder par la suite. Cela va du « bouchon copulatoire » au dépôt de substances anti-aphrodisiaques pour rendre les femelles peu désirables aux yeux des autres mâles ! Dans les deux cas, l’effet est celui d’une ceinture de chasteté.
De leur côté, les femelles de certaines espèces d’insectes et de reptiles ont développé un système de sacs pour pouvoir retenir temporairement le sperme de leur partenaire après copulation. Cela leur permet de s’en débarrasser sans qu’il y ait fécondation, notamment dans l’éventualité où se présenterait une ouverture avec un autre mâle plus intéressant. Une sorte de clause d’annulation, quoi.
Les limites de la sélection sexuelle
Quant on regarde la liste de tous les caractères qu’ont développés certaines espèces à cause de la compétition sexuelle, on peut se demander jusqu’où cela ira ! Eh bien il y a quand même des limites, car comme vous avez pu le constater, ceux qui sont bien équipés pour réussir dans la compétition sexuelle ne sont pas forcément ceux qui vivront le plus longtemps (cf. James Dean). Et c’est cela qui explique pourquoi il n’y a pas que des super-mâles beaux et balèzes.
Une illustration très jolie de ce phénomène a justement été publiée récemment dans la revue Nature [1]. Les auteurs de l’étude se sont intéressés à une espèce de mouton sauvage, le mouton de Soay, qui vit sur une minuscule île isolée au large de l’Écosse. Chez le mouton de Soay, le mâle possède une belle paire de cornes (ci-dessous à gauche), sauf pour environ 13% des individus qui en sont dépourvus (ci-dessous à droite).
Les cornes des moutons de Soay leur servent essentiellement à se battre pour l’accès aux femelles, et bien sûr ceux qui ont les plus grosses sont avantagés. On peut donc se demander pourquoi le trait « pas de cornes » n’a pas au cours du temps été éliminé par la sélection naturelle.
Or il s’avère que le cas de ce mouton est particulièrement intéressant pour les scientifiques, car l’apparition ou non des cornes est gouvernée essentiellement par un seul gène. Ce gène existe sous deux versions, les allèles notés + et -, et bien sûr chaque individu possède 2 copies du gène. Les mâles +/+ et +/- possèdent toujours des cornes tandis qu’environ la moitié des -/- en sont privés.
Ce qu’ont montré les auteurs dans leur étude [1], c’est que les mâles +/- font presque jeu égal avec les +/+ dans les combats, mais qu’en moyenne il vivent plus longtemps qu’eux. Si on regarde leur production totale de descendants, les +/- sont donc les plus avantagés, et cela explique la persistance de l’allèle – dans la population. Il y aura donc toujours des individus -/-, et ce même si ceux qui n’ont pas de cornes ne peuvent jamais accéder aux femelles. Notons qu’il s’agit d’un des rares cas connus de dominance hétérozygote, c’est-à-dire une situation ou l’hétérozygotie (posséder à la fois + et -) est avantageuse par rapport à l’homozygotie.
Comme quoi il y aura toujours une place même pour les moches et faibles, pour peu qu’ils vivent plus longtemps !
Assez d’exemples animaux ! Je laisse maintenant en exercice au lecteur le soin de transposer toutes ces idées sur la sélection sexuelle au cas de l’homme. On peut ainsi démontrer que la pression de la sélection sexuelle pousse par exemple à l’infidélité des hommes, et même à la préférence des femmes pour les hommes infidèles !
Billets reliés, ici ou ailleurs
- Quand les animaux jouent à Pierre-Feuille-Ciseaux dans la compétition sexuelle
- Depuis quand s’accouple-t-on ?
- Le fabuleux destin du Pouillot verdâtre
- Chez Science de Comptoir, un billet sur l’emballement et le handicap dans la sélection sexuelle
- Chez Karim de Sweet Random Science, les techniques de séduction de l’oiseau jardinier
- Chez Homo Fabulus, la série « L’homme est-il un polygame refoulé ? »
- Chez Xochipilli du Webinet des Curiosités, la série « Bêtes de sexe«
Pour aller plus loin : comment naissent les choix des femelles ?
Avant de traiter cette question un peu plus subtile, je voudrais faire une remarque préliminaire : comme toujours il est très pratique d’expliquer les choses en termes de « la femelle veut ceci », ou « les mâles ont développé cela ». J’en ai abondamment usé dans ce texte, et c’est évidemment c’est un raccourci de langage ! Les femelles ne réfléchissent pas explicitement au succès de leur descendance, et les mâles ne conçoivent pas explicitement de stratégies. Pour reprendre l’excellent titre de l’excellent blog de mon collègue cafetier Marc, « Tout se passe comme si…« . En toute rigueur, j’aurai dû écrire « Tout se passe comme si » au début de chacune de mes phrases, mais je trouvais ça un peu lourd !
Ce petit pré/post liminaire expédié, revenons à la question.
Dans la compétition indirecte pour séduire les femelles, on peut se demander ce qui fait qu’un trait ou un autre finira par avoir leur préférence. Pourquoi les mâles d’une espèce sont-ils devenus rouges plutôt que bleus ou verts ? Une première hypothèse, c’est que les traits ornementaux (par exemple un ventre rouge) sont corrélés avec des traits de survie améliorée. C’est l’hypothèse dite des « bons gènes » : en gros l’ornement est un véritable signal d’avantage.
Il existe une autre hypothèse, celle du « fils sexy ». Dans cette hypothèse, les traits ornementaux sont sans influence sur la survie, et les choix naissent de manière arbitraire. Il s’agit donc véritablement d’effets de mode. La raison pour laquelle une femelle donnera sa préférence à un trait n’est pas l’avantage que sa descendance directe en tirera, mais le fait qu’elle espère que ses fils bénéficieront aussi de cet avantage de séduction. On peut comparer ça à quelqu’un qui achète un objet de collection simplement pour le revendre plus cher un jour : la préférence est arbitraire, et vient uniquement du fait qu’on parie sur le fait qu’elle existera encore plus tard chez les autres.
Une troisième hypothèse, c’est celle du handicap. Dans cette idée, les traits ornementaux des mâles sont carrément désavantageux, et la femelle les choisit car elle se dit que si un mâle peut survivre malgré cela, c’est qu’il doit avoir des sacrés bon gènes par ailleurs !
Références
[1] Johnston, Susan E., et al. « Life history trade-offs at a single locus maintain sexually selected genetic variation. » Nature (2013).
Crédits
- Lion HalilGokdal, Flicker/CC
- Narval, Wikimedia Commons
- Paon, Wikimedia Commons
- Megaloceros, Wikimedia Commons
- Elephant de mer, Wikimedia Commons
- Moutons de Soay, photos tirés de [1]
Comments
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Merci pour cet article fameux !
Deux petites anecdotes dans la même veine : j’aime aussi la compétition spermatique des baleines dont les mâles s’affrontent sur qui produira le plus de sperme (70L à chaque bataille pour la baleine bleue Balaenoptera musculus), et surtout le pénis goupillon des agrions (libellules ; Orthetrum cancellatum) : pour citer le Webinet des Curiosités, « Monsieur agrion […] nettoie d’abord l’intérieur de sa belle avant de l’ensemencer afin d’éliminer le sperme de ses prédécesseurs »…. Poésie, quand tu nous tiens !
PS: en passant, il me semble que le narval est un mammifère marin 😉 (et pour les pointilleux, sa « corne » est en fait une dent)
Ouille la boulette sur le narval ! C’est corrigé ! Merci 🙂
Effectivement la nature ne fait pas toujours dans la poésie !
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Merci pour ce billet. Il m’a fait pensé aussi à ces petites pieuvres qui se travestissent en femelles pour pouvoir les approcher malgré un prétendant trop gros et trop fort… Une question : l’explication du dimorphisme sexuel se trouve-t-elle forcément dans cette compétition acharnée qui se joue dans chacun des sexes ? N’y a-t-il pas aussi parfois des modes de vie différents, des rôles sociaux différents, sans parler directement de volonté de favoriser sa descendance ?
La question du dimorphisme sexuel se pose aussi dans l’espèce humaine : certains avancent que la plus petite taille des femmes viendrait de la préférence qu’ont les hommes d’avoir une partenaire plus petite…
C’est un article sympathique, mais j’avoue être resté un peu sur ma faim en ce qui concerne la réponse à la question initiale.
Si on considère par exemple qu’un sexe énorme puisse être un avantage en terme de séduction (sur ce sujet, les spams que je reçois régulièrement sont un peu en désaccord entre eux 😉 !), je conçois également que ça puisse être un désavantage en terme de survie. Il faudrait demander à Rocco Siffredi de courir un sprint tout nu, il est possible que ses « avantages » le gênent un peu pour échapper au seigneur lion Numa.
De façon un peu plus subtile, pour avoir connu plusieurs personnes dotées d’un sens de l’humour hypertrophié, je pense que ça peut également constituer un handicap en terme de survie individuelle : en gros, ils font énormément rire les autres (ce qui constitue un avantage qui n’est plus à démontrer en terme de séduction) mais malheureusement eux-mêmes sont loin de rigoler tous les jours 🙁
Mais en revanche, je doute que de larges épaules, des muscles bien développés, ou encore un nez bien droit puissent constituer un handicap en terme de survie de l’individu. Alors pourquoi tous les mâles n’ont-ils pas des épaules de catcheur et des petits fessiers bien ronds et toniques ??
Après réflexion, je me réponds à moi-même : il y a en jeu l’interaction entre le génome et l’environnement. En fait, lorsqu’un jeune garçon mange de façon équilibrée et fait du sport, il va le plus souvent acquérir une stature de sportif.
Attention à ne pas confondre génétique et qualité de vie… Ce n’est pas parce qu’il acquerra une stature de sportif que c’est un caractère qu’il transmettra à sa descendance. Cela fait plus de 2000 ans que les juifs et les musulmans sont circoncis à la naissance, ils naissent toujours avec un prépuce !
Que dis-je, je me corrige ! Il ne faut pas confondre Hérédité et expérience de la vie 😉
Le sujet est particulièrement intéressant. Mais votre exposé fait la part belle au mâle 🙂
Il faut aussi parler de la mante religieuse qui, après l’accouplement transforme volontiers le mâle en déjeuner et des lophiiformes où le mâle se transforme en parasite de la femelle et qui ne survit plus qu’à l’état de gonade.
Il y a aussi les stratégies de contrôle directe de la descendance : un gorille ou un lion qui chasse l’ancien mâle dominant et prend le contrôle d’un groupe de femelles extermine les nouveaux nés pour provoquer l’ovulation des femelles. Inversement, la plupart (85 % des espèces) des oiseaux mâles n’ont pas de pénis, la copulation suppose la coopération active de la femelle, ce qui lui donne le choix de son partenaire. Les femelles en profitent d’ailleurs puisque les oisillons du nid n’ont pas toujours pour père celui qui les élèvent –jusqu’à 75 % dans le cas du « Mérion superbe ».
Alors essayer de tirer de tout ce fatras des enseignements sur l’espèce humaine me parait bien délicat. D’autant plus que la meilleur stratégie est très dépendante des conditions naturelles et physiologique de l’espèce. Et que certaines adaptent leur stratégie en fonction du milieu naturel : les chats mâles en milieu rurale (relative rareté des ressources) contrôlent le territoire et s’assurent l’exclusivité des femelles présentes, en milieu urbain ils multiplient les coïts.
A la limite, l’étude comparée de l’appareil génital des mâles pourrait nous apporter quelques éclaircissements sur les conditions initiales. Mais rien n’est clair : le poids de nos testicules ramenés à notre corps nous situent entre les chimpanzés (promiscuité => multiplications des coïts pour s’assurer une meilleure descendance) et des gorilles (polygynie et copulation seulement pendant les périodes d’ovulations).
Et sociologiquement, toutes les formes d’appareillements sont représentées dans les sociétés humaines.
typo: «(…) c’est-à-dire une situation ou [où] l’hétérozygotie (…)»
J’aimerais aussi glisser que j’ai adoré ce billet, bien expliqué et divertissant!
Très bon article comme d’habitude, malgré un point de désaccord, qui se situe sur le choix des femelles pour un ornement plutôt qu’un autre. Si je suis plutôt d’accord sur les deux premières hypothèses, à savoir : l’ornement donne un avantage sélectif ou bien le choix résulte d’un simple goût. Entendons bien que dans le cas de la première hypothèse, on peut y trouver une autre subdivision : la réelle conscience de l’avantage face au prédateur par exemple, mais aussi qu’il peut s’agir d’un simple goût de la femelle (choix non réfléchit pour la procuration d’un avantage), goût qui lui est « imposé » par la force de la Nature et de la sélection : les femelles ayant les « mauvais » goûts produisent des rejetons désavantagés et donc le caractère « mauvais goût » aura tendance à disparaître au profit du « bon » goût.
La troisième hypothèse que tu évoques me semble pour moi impossible. Il ne peut y avoir de réflexion : « s’il survit avec ça, il doit avoir de bons gènes ». Au contraire, c’est contre sélectif, et comment différencier l’ornement désavantageux, mais compensé (par de « bons » gènes), de celui qui l’est carrément… Et plus que tout, personne (que ça soit humain ou tout autre animal) ne peut penser comme cela. Déjà faudrait-il que les animaux aient conscience du concept de « gènes ».
Bonjour Maurice, je vais essayer de vous répondre quant au principe du handicap, cette troisième hypothèse qui vous laisse sceptique. Si ces ornements diminuent les chances de survie (ou ‘fitness’) des mâles, comment expliquer que de tels traits aient perduré au fil des générations ? Si le moteur n’est pas la sélection naturelle, alors il faut chercher du côté de la sélection sexuelle. Effectivement, les femelles paon ne se disent pas littéralement « Quelle queue volumineuse, ça doit lui coûter cher en entretien donc il doit avoir de bons gènes », je pense que c’est un raisonnement indirect (peut-être lié à des capteurs visuels spéciaux qui déclencheraient des sécrétions d’hormones..? Aucune preuve ici, je spécule uniquement). Quoi qu’il en soit, j’avais regardé une émission scientifique sur la BBC (j’ai oublié le nom de l’émission ni le sujet exact), qui transposait la situation chez les humains: la question était « quel est l’intérêt évolutif d’acheter des vêtements coûteux? », une des hypothèses était également basée sur ce même principe du handicap: une femme voyant un homme habillé en Armani se dit « si ce type-là arrive à « survivre » en dépensant autant d’argent dans des fringues, alors il doit être un bon parti et donc indirectement avoir de bons gènes » (raccourci qui vire un peu à l’absurde ici mais le raisonnement ressemblait vaguement à cela). C’est le côté bling bling du ‘j’ai tellement de ressources que je m’en sers pour des choses futiles’.
Ensuite, « comment différencier l’ornement désavantageux, mais compensé (par de « bons » gènes), de celui qui l’est carrément ? »
je pense que c’est une question d’échelle de temps. A un temps t (une génération donnée), je pense qu’on ne peut pas différencier les deux types d’ornement. C’est seulement après plusieurs générations qu’on peut voir la différence: l’ornement désavantageux sur tous les plans aura été éliminé alors que celui qui présente un intérêt évolutif aura été conservé. Toutefois, il y a aussi une bonne part de hasard à prendre en compte au départ, j’imagine: si deux mutations sont développées par des mâles, diminuant autant la fitness des individus et susceptibles d’être appréciées de la même manière par les femelles, alors je pense que seul le hasard choisira entre les 2 mutations celle à conserver (voire même les 2, mais si ça coûte trop cher aux mâles j’en doute…). Si ces mutations ne sont pas équivalentes, la moins coûteuse sera probablement retenue, ou bien celle qui fait le plus d’effet à la femelle… Mais tout ça reste un raisonnement personnel, je n’ai pas cherché de preuves pour étayer mes hypothèses.
J’espère que ma réponse vous contentera, c’est vrai que ce principe du handicap est contre-intuitif mais c’est aussi ça qui m’a séduite 😉
Bonjour Valentine,
Prenons tout cela dans l’ordre 🙂 Je vais commencer par répondre à ton premier paragraphe. J’ai effectivement bien compris la sélection sexuelle, et la dernière hypothèse (à savoir « s’il a un désavantage et qu’il survit, c’est qu’il a de bons gènes ») fait justement un amalgame entre sélection naturelle et sexuelle. Je m’explique, cette hypothèse implique que la femelle choisisse (donc sélection sexuelle) selon l’avantage sélectif (donc sélection naturelle). Et le raisonnement indirect de la femelle, j’en parle dans mon commentaire précédent 🙂 Et c’est je pense, le principal moteur de la sélection sexuelle, c’est la pression de la sélection naturelle sur cette dernière, et non pas l’inverse (comme c’est le cas pour la théorie de la « réflexion » de la femelle pour des caractères soit-disant désavantageux). Quoiqu’il en soit, je trouve encore une fois choquant d’appliquer les lois de la sélection à des exemples évolutifs humains, car s’il ne faut pas mélanger sélection naturelle et sélection sexuelle, il ne faut pas non plus mélanger tout ceci avec la sélection « sociale », que l’on pourrait plus simplement appeler pression sociale…
Pour ce qui s’agit de la différenciation entre l’ornement avantageux du désavantageux, je parlais dans le contexte de l’hypothèse que la femelle choisit en fonction d’un caractère qu’elle jugera désavantageux. Ceci n’a pas de sens. Bien évidemment qu’il faut regarder à plusieurs générations, mais plus important du rapport qu’a le caractère avec le milieu de vie de l’individu. Un caractère avantageux ou désavantageux n’a de sens qu’en regard de l’environnement dans lequel vit l’individu porteur de ce caractère. Lorsque tu dis « je pense que c’est le hasard », tu touches un point, car tu peux enlever le « je pense ». Le hasard fait qu’un groupe de femelle choisira tel mâle parce qu’il sera gros, un autre groupe de femelle choisira un autre mâle parce qu’il sera mince. Les rejetons seront ou gros, ou mince, et selon les habitudes de l’espèce (combattivité…) ou son milieu de vie (besoin d’être mince pour grimper dans les arbres et échapper aux prédateurs), certains vont survivre et transmettre au fur et à mesure des générations une tendance pour les femelles à avoir un choix. Un choix non volontaire, mais un choix « génétique ». On déteste l’odeur du caca, c’est génétique, on n’est pas programmé pour ça. Le choix des femelles (par goût sexuel) sera progressivement imposé par la sélection. Et non le reflet d’une réflexion.
Vous avez « barré » le mot poison pour le narval, il faudra aussi barrer le mot « corne »; Ce n’est pas une
Sans oublier que les caractères sexuels secondaires sont (souvent) une signature honnête de la capacité de son porteur à vivre (et à acquérir de l’énergie ou autre) dans son environnement en s’infligeant des handicapes: « Regardes, je porte des bois énormes, qui me gênent et qui coutent cher à fabriquer, et pourtant, je suis en bonne santé »
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C’est aussi le cas pour les humains ? Les femmes font une pression génétique aussi non ?
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