Dernière rediffusion de l’été, car je n’ai pas eu le temps d’écrire un nouveau billet. Mais aussi parce que j’ai pu tester cette méthode pendant mes vacances, et ça marche pas mal ! Alors rendez-vous en fin d’article pour le récit de la manip !

Les vacances ont commencé et certains d’entre vous auront peut-être la chance de visiter des contrées lointaines. Pour ceux qui iront vraiment loin, vous subirez éventuellement un décalage horaire significatif.

Peut-être seriez-vous alors intéressés pour tester cette solution proposée dans Science par Clifford Saper, professeur de neurologie à Harvard : pour éviter le jet-lag, il vous faudra jeûner pendant 16 heures !

Jour/Nuit

Notre rythme biologique naturel, appelé rythme circadien, détermine nos phases de sommeil et d’activité. Il est d’une durée de 24 heures, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’il est conditionné par l’alternance physique des jours et des nuits sur la Terre. C’est ce rythme circadien qui est mis à mal lorsque nous subissons le jet-lag, du fait d’un décalage entre le fuseau horaire dans lequel nous vivons habituellement, et celui dans lequel nous nous rendons.

Puisque ce rythme de 24 heures est déterminé par l’alternance jour/nuit, il finit par se recaler sur l’alternance du pays d’arrivée, et après quelques jours sur place nous finissons par nous adapter aux nouveaux horaires. On dit que l’exposition à la lumière est un moyen de réaliser l’entraînement du cycle circadien. Mais l’exposition à la lumière n’est pas le seul moyen de réaliser l’entraînement du cycle circadien, il existe un autre : la nourriture.

L’entraînement à la nourriture

L’entrainement du cycle circadien à la nourriture a déjà été observé chez certains animaux. Si on les prive de nourriture pendant leur période d’activité normale, mais que la nourriture est disponible pendant leur période de sommeil normal, ils sont capables d’inverser leur horloge biologique et ce de manière rapide. Ceci leur permet d’être actifs pendant la disponibilité de la nourriture, et on comprend facilement l’avantage adaptatif que confère cette capacité.

Chez l’animal, la nourriture peut être un puissant vecteur d’entrainement des cycles circadiens, mais qu’en est-il de l’homme ? Ce qui ont déjà fait une hypoglycémie nocturne le savent : on peut bien être complètement claqué et en plein milieu d’une phase de sommeil profond, quand le corps a besoin de sucre, il sait y faire pour nous réveiller et nous mettre dans un état de vigilance extrêmement élevé !

Jeûner 16 heures pour rebooter son horloge

Donc chez l’homme comme chez l’animal, on peut être en pleine forme la nuit si c’est l’estomac qui l’exige. Tout porte donc à croire que pour caler les cycles circadiens, la nourriture est plus forte que la lumière.

Sur la base de ses travaux publiés dans Science, Clifford Saper a alors proposé une solution pour lutter contre le jet-lag : il suffit de réentraîner rapidement son horloge biologique grâce à la nourriture, sans attendre qu’elle le fasse toute seule grâce à la lumière. Et sa proposition est la suivante : un jeûne de 16 heures va agir comme une sorte de reboot de votre horloge biologique. Après un jeûne prolongé, votre organisme considèrera que le premier repas que vous allez prendre marquera le nouveau début de la journée.

Voici donc comment procéder : calculez l’heure du petit déjeuner de votre pays d’arrivée, jeûnez pendant les 16 heures qui précèdent (éventuellement dans l’avion ou dans votre pays d’origine si nécessaire) et faites-vous un bon petit déj’ synchronisé avec celui des autochtones. Si tout se passe comme prévu, à ce moment précis votre organisme va se dire « Tiens ! C’est le petit-déjeuner ! », et votre horloge biologique va se recaler d’un seul coup !

Communication scientifique

La proposition paraît sympa, alors comme d’habitude, j’ai voulu aller jeter un oeil à la publication d’origine, celle de Science [1]. Et là, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que l’article en question ne parle pas du tout de jet-lag, ni d’humains jeûnant pendant 16 heures, mais de souris à qui on injecte des gènes dans le cerveau.

Je trouve ce cas assez typique d’une certaine communication scientifique : on fait une publi (certainement de qualité), et on la « vend » au grand public via les médias en parlant de quelque chose qui ne figure pas du tout dans le papier ! Tapez « jet-lag 16 hours » dans Google, et vous verrez une tétrachiée de réponses venant de divers journaux citant cette publi de Science, mais quelle est l’origine de cette interprétation détournée ?

J’ai bien cherché, et l’origine semble être que Clifford Saper dans le Podcast du magazine Science [2] parle de ses travaux sur la souris, et mentionne une éventuelle applicabilité à la question du jet-lag ou bien celle des travailleurs ayant des horaires décalés. Mais je ne sais pas d’où vient ce chiffre de « 16 heures » que les médias ont repris comme un seul homme. Si quelqu’un trouve la source…

En tout cas si vous testez la méthode, vos récits sont les bienvenus en commentaire de ce billet !

Ajout de l’été 2013 : j’essaye !

Comme je l’annonçais en début, j’ai décidé de tester la méthode pendant mes vacances. Voici le protocole.

Je vis à Boston et je suis revenu en France pour 3 semaines : il y a 6 heures de décalage horaire. Je décollais vers 18 heures (heure de Boston) pour un atterrissage vers 6 heures (heure de Paris). On passe donc une nuit très courte dans l’avion. J’ai pris mon dernier repas au petit déjeuner le jour du départ (6h du matin à Boston), et mon repas suivant au petit déjeuner à Paris (7 heures du matin). Soit un jeûne d’environ 19 heures.

Premier commentaire : c’est pas simple ! Dans l’après-midi, j’avais sacrément les crocs ! Mais paradoxalement le matin à Paris, pas tant que ça. Je pense que mon corps devait se souvenir que c’était la nuit à Boston.

Dans l’après-midi, j’ai fait une grosse sieste de 3 heures, mais qu’on peut légitimement considérer comme du remboursement de dette de sommeil (ce qui n’est pas la même chose que le jet-lag), puisque dans ce sens on perd 6 heures de sommeil à cause d’une nuit super-courte dans l’avion. Le soir je me suis endormi normalement, et le lendemain matin réveillé en pleine forme vers 7h30. Aucun signe de jet-lag, et rien pendant les jours qui ont suivi.

Évidemment, ça n’est qu’une seule expérience, sur une seule personne, sans groupe de contrôle, etc. Ceux qui ont déjà fait ce voyage savent aussi que ça n’est pas le jet-lag le plus difficile qui soit à rattraper. Peut-être est-ce simplement de l’effet placebo ? En tout cas on ne peut pas exclure que ça puisse marcher.

A l’heure où j’écris ces lignes, je m’apprête à finir mon jeûne de retour. Je suis rentré hier après-midi, il est 5h30 du matin à Boston, et j’ai faim ! Je vous tiens au courant !

Pour aller plus loin : Un oeil sur le papier

Le papier d’origine est quand même sympa à lire. Les auteurs démontrent que l’entraînement à la lumière et l’entraînement à la nourriture trouvent leur origine dans deux zones différentes du cerveau.

Pour cela ils travaillent sur des souris et font des manipulations avec un gène, nommé Bmal1, qui joue un rôle clé dans l’entraînement des cycles circadiens. Tout d’abord les souris n’exprimant pas Bmal1 n’ont pas de rythme circadien. Elles ont des périodes d’activités réparties de manière totalement aléatoire dans la journée, indépendamment des heures du jour et de la nuit.

Puis les auteurs ont injecté le gène Bmal1 dans une région du cerveau des souris appelé noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus. Les souris ayant subi ce traitement localisé retrouvent alors leur rythme circadien calé sur l’alternance jour/nuit.

En revanche si on place ces souris dans le noir, elles perdent ce rythme, même si on essaye de le recréer en leur distribuant de la nourriture à des moments bien fixés. Pour ces souris, l’entrainement à la lumière a bien été restauré mais pas celui à la nourriture.

Sur un deuxième groupe de souris ne possédant pas non plus Bmal1 initialement, les auteurs l’ont injecté dans une autre région de l’hypothalamus, le noyau dorsomédian. Et pour ces souris, l’entraînement à la nourriture est restauré mais alors que l’entraînement à la lumière ne marche pas.

Les auteurs ont donc pu montrer que deux régions différentes du cerveau étaient à l’oeuvre pour réaliser l’entraînement des rythmes circadiens, suivant que cet entraînement se fait à partir de l’alternance jour/nuit, ou à partir de la disponibilité de la nourriture.

[1] C. Saper et al., Differential Rescue of Light- and Food-Entrainable Circadian Rhythms, Science 320 (2008)

[2] http://www.sciencemag.org/content/320/5879/1074/suppl/DC2

Comments

  1. Bon ben alors ??! Ce décalage horaire ?
    Le suspense est insoutenable… 😉

    • Eh bien comme je le disais sur le Boston-Paris j’ai trouvé ça pas mal du tout (placebo ?). En revanche sur le Paris-Boston je suis beaucoup plus sceptique. Plusieurs réveils vers les 4-5h du matin (comme d’habitude pour ce trajet).

      Je vais être obligé de me faire un voyage au Japon pour valider ou infirmer l’idée !

      • Avec mon expérience des voyages transat’, j’ai toujours trouvé le retour (des Amériques) plus difficile que l’aller.

  2. HOHL denis Reply

    je suis du genre sédentaire il y a bien longtemps que je suis allé à Vancouver, mais j’aime bien partager l’expérience des autres y puis j’ai ri, oui et ça c’est super important : « una tétrachiée », bon je l’adopte mais je ne manquerai pas de citer mes sources !

  3. J’ai déjà fait quelques voyages vers le Japon et le décalage est parfois particulièrement pénible.
    Je vais donc tester cette idée du jeûne 16h à l’avance à mon prochain voyage en décembre.
    Facile à réaliser (d’un point de vue pratique !!! pour le reste on verra…) : p’tit déj vers 7h du mat en France le jour j, et jeûne jusqu’au p’tit déj à l’arrivée vers 9:00 à j+1 soit 18h d’abstinence. Si je tiens le coup 😉
    On a le droit de mâcher du chewing-gum ? :))

  4. Pingback: Remettre à l’heure nos horloges biologiques

  5. Pour Singapour (12h d’avion), j’ai acheté une bouteille de vodka au duty free et j’ai simplement pris une cuite en vol. Ca marchait plutôt bien.

    D’expérience après une bonne cuite et au moment du réveil, je n’arrive pas à déterminer si c’est le matin ou l’après midi, c’est une sorte de reset de l’horloge biologique. Après mon expérience, j’ai fait des recherches sur google et je me suis rendu compte que c’était déconseillé à cause de la déshydratation et le fait que la faible pression de la cabine amplifie l’effet de l’alcool. Pour la deuxième raison ok c’est justement ce que je cherchais et pour la déshydratation je trouve le problème mineur.

  6. De retour du Japon la semaine dernière, comme promis, voici mon compte rendu, en commençant par la fin (et par la faim !) : cela a bien fonctionné ! Mais c’est difficile !

    Le Japon c’est +8 heures en hiver, avec un décalage solaire de 9h.
    Le départ a eu lieu le matin (10h50) d’un petit aéroport (Luxembourg), avec une correspondance à Amsterdam à 15h. Arrivée au Japon à J+1 9h30 heure locale (et donc on repart pour une nouvelle journée complète, c’est assez lourd).

    Mon programme :
    – Repas normal la veille, et petit dej léger le lendemain matin.
    – Rien dans l’avion vers Amsterdam,
    – Rien pendant la correspondance (dur dur !!! de 12h à 15h !).
    – Dans l’avion pour le Japon, ils vous proposent au bout de quelques heures un repas « soir », une nuit artificielle très courte, puis un « petit déj » 1h avant l’atterrissage. J’ai donc refusé ce 1er repas pour arriver à 16 heures de jeun. C’est… difficile ! la faim tenaille ! Par contre, une fois passé ce repas, on supporte bien le jeun.
    – J’ai accepté (avec fureur !) le petit déjeuner 2h avant l’atterrissage, soit à environ 7h30, pile pour recaler l’estomac.

    Verdict : aucun effet jet lag, juste un peu de fatigue « naturelle » par manque de sommeil (2 journées d’affilé sans nuit, en gros).
    Autre effet, à confirmer : j’ai bien mieux supporté le voyage en lui-même, j’ai pu « presque » dormir dans l’avion, alors que d’ordinaire je ne peux fermer l’oeil. A méditer.

  7. je voyage souvent en Asie (Singapour, Taiwan…) et j’habite en Autriche (même fuseau horaire que la France), soit 7h de décalage horaire.
    en général, quand je voyage, je pars à 5h du matin le samedi de chez moi + taxi + avion + correspondance + avion + correspondance + avion + taxi, et j’arrive à 15h le dimanche heure locale. soit 26h de trajet. pour le retour, a peu près la même chose sauf que je pars vendredi soir de la-bas et j’arrrive samedi matin ici.
    mon truc pour éviter le Jet-lag, c’est d’être creuvé quand je rentre dans l’avion, de ne pas dormir dans l’avion et et de me coucher a l’heure normal du pays ou j’arrive. comme par exemple pour aller en asie: le vendredi soir, je fais la fête, je ne dors presque pas (ou pas du tout), je prends le taxi pour l’aéroport le samedi matin, je ne dors pas dans l’avion, et quand j’arrive le dimanche soir en asie, je prends une douche, défait mes bagages, regardes mes emails pro, je sors un moment pour me balader et je mange a 17h30 ou un truc comme ca. et je vais me coucher a 20h ou 20h30. je dors comme un bébé jusqu’au lendemain matin ou je me réveille en forme. j’ai 34ans, et je n’ai pas de problème de jet-lag. le premier soir j’évite de sortir mais je ne me couche pas à 20h, mais plus à 22h. même si je ne suis pas fatigué.

    pour le retour je fais pareil. et le tour est joué.

  8. De retour des US ( cote ouest sur 15 jours) je me suis pris le jet lag en pleine figure je suis rentrée le 20 au matin ( ça fait donc 2 jours ) je n’imaginais pas que ça serai si dur car à l’allée tout c’est très bien passé et j’ai vécu jour et nuit tout à fait normalement, est-il trop tard pour tenter un « recalage » ?? des idées des conseils ? merci d’avance ;

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