La GFP – pour Green Fluorescent Protein – fut décrite pour la première fois en 1962. Découverte par le japonais Osamu Shimamura dans une espèce de méduse bien particulière, Aequorea victoria, elle possède comme son nom l’indique l’étonnante particularité d’être une protéine fluorescente.
Pendant 30 ans, cette protéine est restée une simple curiosité ; on ne sait même pas ce que sa fluorescence peut apporter aux méduses. Et pourtant à partir de 1992, la GFP est devenue en quelques années l’un des outils les plus puissants de la biologie moléculaire et cellulaire. A tel point qu’elle fut l’objet du prix Nobel de chimie en 2008.
C’est quoi un truc « fluo » ?
Avant de détailler les merveilles de la GFP, voyons un peu ce que signifie « fluorescent ». En physique, il s’agit pour une molécule de la capacité absorber de la lumière d’une certaine couleur, et de la réémettre dans d’une autre couleur. Par exemple la protéine de notre méduse peut absorber le bleu, le violet et l’ultra-violet, et ré-emettre cette lumière en vert. D’où son nom.
Un exemple bien connu de fluorescence, ce sont nos bons vieux feutres fluos. Comment fonctionnent-ils ? Prenons l’exemple d’un feutre jaune fluo : son encre a toujours l’air « plus jaune » que celle d’un feutre jaune normal. Comment fait-il ?
Pour le comprendre, il faut se rappeler que la lumière blanche est composée de toute les couleurs de l’arc en ciel : ainsi un objet que l’on voit jaune, c’est un objet qui réfléchit la composante jaune de la lumière mais pas les autres. La particularité du jaune fluo, c’est qu’en plus de réfléchir le jaune, il contient une molécule qui absorbe d’autres couleurs et rémet en jaune la lumière correspondante. C’est que qui est représenté de manière très simplifiée dans le dessin ci-dessous.
L’encre jaune fluo réémet donc plus de jaune qu’elle n’en reçoit, d’où son aspect « plus jaune que jaune ». Ca n’est pas représenté ci-dessus, mais les objets fluos absorbent aussi souvent la lumière ultraviolette pour la réemettre en lumière visible, ce qui explique que les objets fluos le soient particulièrement sous les néons UV des boîtes de nuit.
Revenons maintenant à notre GFP. Il s’agit donc d’une protéine qui se comporte comme une molécule fluorescente : elle absorbe l’UV, le violet et le bleu, et elle les ré-emet en vert.
La biologie cellulaire s’empare de la GFP
Comme je l’écrivais plus tôt, la GFP est restée longtemps une curiosité biologique. Mais en 1992, l’américain Douglas Prasher eut une idée géniale : utiliser la GFP pour suivre l’expression des gènes.
Euh, « l’expression des gènes« , kesaco ?
Comme vous le savez certainement, l’ADN de nos cellules est notre code génétique, qui représente le plan de montage de toutes les protéines utiles à notre organisme : un gène = une protéine. Quand une cellule de notre organisme fabrique une protéine à partir d’un gène, on dit que ce gène est exprimé dans cette cellule.
Or si les cellules de nos organismes contiennent toutes le même ADN (l’ensemble du code génétique), elles ne vont pas avoir besoin d’exprimer tous les gènes de ce code : on imagine volontiers que les protéines utiles à un neurone ne sont pas les mêmes que celles utiles aux cellules du foie. Il existe donc des mécanismes de régulation qui font que, dans chaque cellule, ce sont les gènes utiles qui sont exprimés.
Une question récurente en biologie cellulaire est : quel gène est exprimé dans quelle cellule ? Et c’est a priori difficile à savoir ! Et c’est là qu’intervient l’idée de Prasher : visualiser l’expression des gènes dans les cellules en utilisant la GFP.
Pour cela, l’idée est d’attacher le gène de la GFP juste à côté du gène que l’on souhaite suivre : si dans une cellule donnée le gène que l’on souhaite suivre est exprimé, la GFP le sera aussi. On pourra alors la repérer grâce à sa fluorescence, à l’aide d’un microscope et d’un bon coup d’UV : c’est ce qu’ont démontré Martin Chalfie et son équipe en 1994 dans un article de Science cosigné avec Prasher qui leur avait donné le gène de la GFP qu’il avait séquencé.
A partir de là ce fut l’explosion, tout le monde essaya d’utiliser la GFP pour suivre l’expression des gènes dans différents animaux, sachant que c’est beaucoup plus facile (et fun) avec des animaux un peu transparents comme le poisson-zèbre.
L’image ci-dessous illustre parfaitement ce que l’on peut faire avec la GFP. Il s’agit d’un embryon de poisson-zèbre pour lequel on a attaché le gène de la GFP à celui d’une protéine utilisée dans le système vasculaire : la GFP n’est donc synthétisée par l’organisme du poisson que dans les cellules vasculaires, et avec un bon coup d’UV sur le poisson, on peut visualiser le système vasculaire (source)
Festival de couleurs
Depuis, beaucoup de personnes ont essayé de muter la GFP pour la rendre plus efficace (ce que fit Roger Tsien en 1995 à partir du gène séquencé que lui avait envoyé Prascher), ou de modifier ses couleurs. On dispose maintenant de tout un tas de protéines fluorescentes couvrant tout le spectre visible, comme le démontre l’image ci-contre réalisée dans l’équipe de Tsien à San Diego, et où les couleurs proviennent de bactéries rendues fluorescentes.
D’autres ont eu des idées plus drôles et controversées, comme l’artiste Edouardo Kac qui collabora avec un laboratoire français pour mettre au point Alba, un sympathique lapin génétiquement modifié avec de la GFP, ce qui lui permet de fluorescer sous UV (très chic en boîte).
Depuis on a fait encore mieux avec des souris et même des cochons à la GFP !
Un prix Nobel controversé
En 2008, le comité Nobel dans sa grande sagesse a décidé d’attribuer son prix annuel en chimie pour la découverte de la GFP. Maintenant relisez ce texte et essayez de deviner qui l’a eu ?
La réponse est : Shimamura, Chaflie et Tsien. Et Douglas Prasher, le type qui a séquencé le gène de la GFP et a eu l’idée géniale de l’utiliser comme marqueur de l’expression des gènes ? Niet. Nada.
Il faut dire que le gars n’a pas eu de chance : son projet sur la GFP a capoté dans les années 90, il n’a pas réussi à obtenir de poste à l’université, et il a quitté la recherche. En 2008, quand le prix Nobel a été décerné, il était devenu chauffeur de van chez un concessionnaire automobile.
Beaux joueurs, Chaflie et Tsien l’ont invité à leurs frais à la remise du prix Nobel à Stockholm, et les 3 lauréats l’ont cité dans leurs discours, en insistant sur le fait que rien n’aurait été possible sans le travail de Douglas Prascher.
Heureusement l’histoire finit bien, il semblerait que Prascher ait fini par trouver un travail dans la recherche académique, à San Diego…dans le labo de Roger Tsien ! L’histoire est bien racontée cet article de Discover Magazin.
Pour aller plus loin : le brainbow
Récemment une application colorée et étonnante des protéines fluorescentes a vu le jour : le Brainbow, contraction des mots anglais pour « cerveau » et « arc-en-ciel ». L’idée est d’introduire 3 protéines fluorescentes (qui émettent par exemple en bleu, rouge et vert) et de coupler leur expression avec des gènes qui s’exprime dans les neurones de manière aléatoire.
L’effet de tout cela, c’est que chaque neurone fluoresce alors avec une couleur différente des autres, résultat de la quantité de bleu, rouge et vert qu’il exprime. Cette méthode permet alors de visualiser distinctement les différents neurones d’un tissus cérébral, comme le montre l’image ci-contre.
Cette méthode publiée en 2007 dans Nature par une équipe de Harvard semble permettre d’importantes avancées dans la compréhension de la manière dont sont connectés les neurones entre eux.
Références :
Chez mes collègues blogueurs :
- le blog de M.Colin : un OGM de compagnie
- Strange Stuff And Funky Things: Comme quoi les biologistes sont de grands enfants
- Tom Roud : Fish and chops, sauce GFP
Sur l’utilisation de la GFP comme marqueur de l’expression des gènes : Chalfie M, Tu Y, Euskirchen G, Ward W, Prasher D (1994). « Green fluorescent protein as a marker for gene expression ». Science 263 (5148): 802–5.
Sur le brainbow : Livet J, Weissman TA, Kang H, Draft RW, Lu J, Bennis, RA, Sanes JR, Lichtman, JW. Transgenic strategies for combinatorial expression of fluorescent proteins in the nervous system. Nature. 2007 Nov 1;450(7166):56-62.
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Sur les couleurs et leur perception « Sous les lumières blafardes des autoroutes«
20 Comments
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J’adore la GFP ! Très utile pour expliquer ce qu’est un gène à des élèves de 3e.
Pour l’histoire du lapin fluo, heu … voyez ce qu’en dit Louis-Marie Houdebine (INRA) : en résumé, Kac ment comme un arracheur de dents (de lapin) 🙂
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estce que le gene GFP est transmit de generations en generations ?
Très bonne question ! Si le gène est sur l’ADN d’une cellule, il doit pouvoir se transmettre lors de la division cellulaire. Mais dans la reproduction sexuée il faudrait qu’il soit placé dans l’ADN des gamètes. Je n’ai pas connaissance que ca ait été fait.
Vous avez bien raison je n’y connaît rien mais moi je suis pour sauver le bébe
phoques
*plus de 4 ans plus tard*
Il est tout à fait possible – et c’est d’ailleurs ce qui est fait chez la souris – de créer des lignées transgéniques. Le gène d’intérêt, GFP ou autre, est injecté dans l’ovocoyte (ou par électroporation dans des cellules ES), et de ce fait toutes les cellules, somatiques et germinales, auront ledit gène intégré dans leur ADN. Ensuite il faut faire des croisements, vérifier les animaux ayant reçu le gène (par PCR), et établir la lignée F1, puis F2 etc…Sujet complexe mais très intéressant. Je n’ai pas le courage de créer ma chaine youtube pour parler de sujets de bio, mais je suis persuadé que tu en ferai une très didactique !
(bravo pour toutes les vidéos de la chaine et les billets, du bon boulot !)
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