Avez-vous déjà remarqué que la coquille des escargots s’enroule presque toujours dans le même sens ? Si l’on regarde un escargot à partir du sommet de l’enroulement de sa coquille (qu’on appelle l’apex), la rotation se fait systématiquement dans le sens des aiguilles d’une montre. On dit que les coquilles des escargots sont « dextres ».
Mais en réalité, si l’on y regarde de plus près, une très petite proportion des coquilles d’escargots sont enroulés dans l’autre sens, on les appelle alors les senestres. C’est une forme rarissime, environ 1 cas sur 20 000 pour une espèce d’escargot comme le classique Helix Aspersa Aspersa dit « petit-gris ». Les coquilles senestres sont donc une rareté qui font le bonheur de certains collectionneurs qui les recherchent activement. Sur l’image ci-contre, vous avez un escargot dextre et un escargot senestre (respectivement à gauche et à droite, le monde est mal fait…)
En pratique, toutes les espèces de gastéropodes à coquilles ne sont pas dextres. Il existe quelques espèces exclusivement senestres et même quelques espèces présentant un mélange égal des deux formes.
Pour un escargot d’une espèce habituellement dextre, être senestre peut s’avérer un avantage ou un inconvénient. En effet pour eux, la reproduction avec la forme dextre peut être physiquement difficile et voire impossible [1]. En contrepartie ils sont mieux adaptés pour résister à certains prédateurs, comme certains types de crabes spécialement équipés pour attaquer les escargots dextres [2].
La génétique de l’orientation
A première vue, on peut penser que la génétique de l’orientation de l’enroulement est gouvernée par un modèle classique de type « Loi de Mendel » avec une forme dominante (dextre, notée D) et une forme récessive (senestre notée s).
On pourrait donc s’attendre à ce que tout fonctionne comme dans le cas des rhésus + et – : les escargots ayant un génotype DD, Ds ou sD, seront dextres et seuls les escargots de génotype ss auront un phénotype senestre.
Mais en réalité ça n’est pas ce qui se produit ! Par exemple deux parents senestres peuvent avoir ensemble des enfants qui seront tous dextres. Comment est-ce possible ?
Il s’agit en fait d’un effet dit « matrocline ». C’est-à-dire que le phénotype d’un individu ne dépend pas de son propre génotype, mais de celui sa mère. Ce qui veut dire qu’un escargot sera senestre si sa mère est de génotype ss. Ainsi une mère dextre de génotype ss et un père dextre de génotype DD donneront une lignée d’enfants tous de génotype sD, mais tous senestres, comme dans le schéma ci-contre.
Comment se développe cette orientation ?
Des chercheurs ont étudié l’origine de la formation de l’orientation des coquilles et cherché à comprendre l’effet matrocline.
Tout d’abord, l’existence d’une latéralisation de l’organisme n’a en soit rien de spécifique à l’escargot. Notre propre corps est également latéralisé puisque nos organes se trouvent toujours situés du même côté. Chez l’être humain, l’apparition de la latéralisation est notamment due à une protéine appelée Nodal, et qui s’exprime de manière asymétrique dans l’organisme, entraînant la différenciation gauche-droite.
Chez l’escargot cette protéine Nodal existe aussi et, dans une étude publiée dans Nature, des chercheurs ont pu constater son rôle sur l’enroulement de la coquille. Comme le montre l’image ci-dessous, le fait d’inhiber l’expression du gène Nodal donne naissance à des coquilles sans enroulement (ici à droite) ! Étrange…
Néanmoins si ce gène gouverne l’apparition d’un enroulement, il ne semble pas être responsable du choix d’une orientation dextre ou senestre pour celui-ci.
Cette question n’est pas à ce jour totalement résolue mais il a été constaté que le choix de l’orientation se fait très tôt dans le développement, quand l’embryon ne comporte que 4 cellules.
Comme le montre la figure ci-contre issue de cet article, suivant la manière dont ces 4 cellules primitives s’arrangent spatialement, la coquille de l’animal sera dextre ou senestre.
Bien que le mécanisme exact de cet arrangement ne soit pas encore compris, le fait qu’il intervient à un stade extrêmement précoce du développement explique qu’il puisse être conditionné par l’expression des gènes maternels, d’où l’effet matrocline.
En tout cas si vous trouvez un escargot senestre dans votre jardin, c’est votre jour de chance, il est temps de démarrer une collection !
[1] G. Dietl & J. Hendricks, Crab scars reveal survival advantage of left-handed snails, Biol. Lett. 2 (3) p439 (2006)
[2] A. Davison et al., Speciation and Gene Flow between Snails of Opposite Chirality, PLoS Biol. 3 (2005)
[3] Cristina Grande & Nipam H. Patel, Nodal signalling is involved in left–right asymmetry in snails, Nature 457 (2009)
[4] Y. Shibazaki et al., Body Handedness Is Directed by Genetically Determined Cytoskeletal Dynamics in the Early Embryo, Current Biology, Vol.14 (2004)
26 Comments
Intéressant ! Connaît-on des caractères matroclines chez d’autres espèces, en particulier chez l’homme ?
Hum, je n’ai jamais entendu utiliser « matrocline » en génétique humaine.
On parle d’« empreinte paternelle » et « maternelle ». En fait je subodore que « patrocline » et « matrocline » sont des termes qui étaient utilisés avant qu’on ne comprenne le phénomène d’empreinte génétique.
Il y a beaucoup de gènes soumis à empreinte, en particulier des gènes du développement embryonnaire. Voir par exemple http://en.wikipedia.org/wiki/Genomic_imprinting
Pour le situs inversus chez l’homme, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Situs_inversus
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/omim/244400
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/omim/270100
Il me semble que matrocline et empreinte maternelle sont différents.
Dans l’empreinte maternelle, on n’exprime que l’allèle hérité de la mère.
Dans l’effet matrocline, un aspect du phénotype (l’enroulement) dépend indirectement du génotype de la mère. En gros il se passe un truc du genre : la mère est [ss] donc elle exprime une certaine protéine dans son appareil reproductif qui induira une orientation gauche de la coquille de ses enfants.
Quelle différence en pratique : en effet matrocline une mère [sD] donnera toujours des enfants dextres, même si elle leur transmet l’allèle [s]. Alors qu’en empreinte maternelle, les enfants à qui elle passe le [s] seront senestres.
Ah OK ! j’avais pas compris la matroclinie, merci et au temps pour ma pomme.
Alors pour des exemples chez l’homme, euh, ben je sais pô mais je peux demander.
Bonjour,
Effectivement empreinte génétique et effet matrocline (ou maternel) sont deux phénomènes différents. Il existe aussi l’hérédité maternelle, qui se fait par l’intermédiaire du génome mitochondrial (les mitochondries du père ne sont pas transmis à l’enfant).
Les effets maternels sont le plus souvent explicables par le fait que lors des stades initiaux du développement embryonnaire les gènes de l’embryon ne sont pas exprimés. Par contre l’œuf contient plein de protéines et d’ARNs, stockés par la mère et donc déterminés par son génotype.
Merci pour ces précisions ! A la découverte du monde du non-M(endelien)…
Très intéressant comme toujours. J’avais écrit ce billet sur ces histoires de latéralité dans le monde animal, qui sont parfois fascinantes. Chez l’anableps par exemple (un poisson assez moche par ailleurs) le caractère dextre ou senestre des organes génitaux devient rapidement un casse-tête à la saison des amours…
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intéressant ! je me coucherai moins bête 🙂 et je regarderai les escargots de mon jardin d’un autre oeil !
– une grande majorité de gastéropodes sont hermaphrodites
– quid de l’effet matrocline?
En effet les escargots sont hermaphrodites, ce qui en pratique implique que deux escargots qui s’accouplent se fécondent mutuellement : mais un enfant escargot donné aura bien quand même un père et une mère. Et c’est la mère qui l’aura « porté » qui pourra influencer sa coquille par l’effet matrocline.
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la photo représente tout de même deux escargots de quimper…
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et dans l’hémisphère sud la coquille est elle senestre ?
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Je me souviens d’avoir lu autrefois 20000 lieues sous les mers:j’avais 12 ans ,j’en ai 82 ! Dans cet ouvrage un savant découvre sur une plage un coquillage enroulé à GAUCHE Hosannah ! Découverte inattendue:pour l’auteur ,TOUS les coquillages S’enroulaient à droite.Un malencontreux évènement brisa la merveilleuse coquille.Naif j’étais resté sur ce texte de Jules Verne.Il n’y a pas d’âge pour changer d’opinion !
Question idiote mais pourquoi pas? Le sens de rotation du globe peut-il avoir une influence?
Gilles
Bonjour, juste une remarque, vous parlez de dextre et de senestre et vous dites juste après respectivement gauche et droite alors que c’est l’inverse, ce qui me fait demander s’il y a un rapport entre la latéralité et la dyslexie :), Sabine
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Je souhaiterais avoir un avis. Comment décrire et s’accorder sur la gauche ou la droite avec une entité lointaine sans aucun lien physique ?
Permettez moi d’utiliser ici le terme « chiralité » de manière légèrement personnelle. Je définis ici une même chiralité comme une propriété donnant la même valeur pour la gauche et la droite ou le même sens horaire ou anti-horaire.
Visualiser et décrire une rotation demande nécessairement à se référer à la position de l’observateur. Observons un système planétaire depuis un point quelconque de l’univers. Pour simplifier considérons que les objets en orbite de ce système tournent tous dans le même sens. Si l’observateur se situe dans la partie supérieure ou inférieure du disque planétaire il pourra revendiquer un sens de rotation différent, mais l’univers ignore toute notion de haut ou bas.
Si nous avons la possibilité de communiquer avec une quelconque intelligence lointaine sans aucun repère commun, sans se référer un système visible des deux parties, nous pourrions leur indiquer dans un langage rudimentaire la différence gauche-droite mais ne pourrions être sûr qu’ils choisiraient la même chiralité.
A partir de là, je pousse l’expérience mentale plus loin, en classifiant les intelligences qui ont choisi statistiquement la même chiralité. Si l’on sélectionne un ensemble d’intelligences qui ont pu communiquer entre elles malgré qu’elles n’aient eu aucun repère physique pour ce référer nous devrions obtenir environ 50% qui choisiront la même que nous et 50% l’opposée.
En poussant le raisonnement plus loin pour deviner si un ensemble d’intelligences ont eu un repère physique commun il suffit alors d’observer statistiquement la cohérence de leur chiralité pour déduire qu’Ils ont été à un moment, en quelque sorte, « intriqués » par une observation commune d’un repère physique et une communication efficace pour se mettre en accord.
Intriguant, en définissant une intrication ainsi, cela me rappelle vaguement une autre intrication connue des physiciens depuis le 20° siècle…
Bsr, je suis a Madagascar, et un malagasy, je m’excuse car ce n’est pas tout a fait un commentaire mais une decouverte que j’ai trouve dans mon champ, deux coquillages senestres. J’ai cherche du client pour les acheter.
Merci
Si le dard calcaire est situé à la base de la corne oculaire droite de chaque partenaire hermaphrodite , où est situé en revanche le réceptacle séminal de chacun ?
A Pons Sylvain ou Sylvain Pons, bonjour.
Je viens seulement, suis-je donc sot, de prendre conscience que lorsque l’on désigne la gauche et la droite d’un animal ayant des membres, il est convenu universellement de désigner son côté droit et soin côté gauche, alors que pour un objet inerte c’est l’inverse. Pour des animaux inférieurs, c’est plus incertain.
Votre texte a le mérite de faire réfléchir.
A Toany, bonjour.
Je vais vous décevoir sans doute. Seule la rareté a quelque valeur. Ayant trouvé semble-t-il assez aisément 2 sénestrogyres, il est fort probable qu’ils appartiennent a une espèces où le deux sens sont assez partagés. auquel cas ils auraient peu de valeur sauf pour un pigeon peu connaisseur. Bonne chance.
A tous, bonjour.
– Ces études sont incontestablement intéressantes, d’autres le sont moins.
Avec des moyens dont seuls des labos disposent, il serait possible d’obtenir une sous-espèce de petits gris exclusivement dextrogyres Le résultat prévisible serait sans doute que la nature a avantagé les sénestrogyres car ils seraient mieux adaptés d’une façon ou d’une autre. Cela n’aurait guère plus d’intérêt que pour un chercheur du CNRS en mal de trouver une autre recherche inutile tel par exemple d’étudier la manière dont les ruraux parlent à leurs animaux de rente. Si vous avez connu un peu la vie d’une ferme autrefois, vous en aviez déjà la conclusion. Le plus généralement, les hommes s’occupent davantage des gros animaux et les femmes des petits, et que tout aussi généralement ils s’adressent les uns comme les autres sur un ton plus haut et plus rapide pour les petits que pour les grands. Pour cela il a bien fallu trois années sur un certain nombre de sites et quelques assistants et ordinateurs pour un résultat de peu d’intérêt.
Dans un avenir proche on trouvera là quelque discrimination coupable qu’il faudra corriger et compenser.
– Plus sérieusement. Je tiens comme quasi certain que la latéralité inversée existe dans une faible proportion chez l’espèce humaine, plus ou moins complète d’ailleurs. Qu’en est il en fait ? La simple inversion de l’appendice serait d’un inconvénient mineur. Celle intéressant le cœur et les poumons entrainerait de graves désordres et une vie abrégée. Qu’en est-il de celle des lobes du cerveau ? Celle-ci serait-elle liée au fait d’être gaucher. La latéralité gaucher-droitier est-elle au moins en partie génétique et est-elle liée elle aussi à des gènes spécifiques, et dans quelles conditions ? Voilà des questions dont la stupidité est à la hauteur de mon ignorance.
A Dogma, bonjour.
J’avais aussi remarqué cela, mais vu la rareté des exceptions, je ne l’avais pas relevé. L’inversion de l’image fautive aurait pu sans doute être faite avec une application. Ce qui m’a davantage gêné est que l’on avait omis dans cette représentation l’hermaphrodisme. Comme d’autres l’ont invoquée, je n’ai pas relevé; Je suis déjà trop bavard